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Written by 17 h 52 min Déchiffrer, Planete

On ne sauvera peut-être pas les glaciers, mais on peut encore sauver ce qu’ils nous apprennent

Alors que le gouvernement promet une protection forte pour 100 % des glaciers français d’ici 2030, la réalité sur le terrain reste figée. Pendant ce temps, la fonte s’accélère, les scientifiques alertent, et quelques territoires, seuls, tentent de passer à l’action.

Le 25/03/2025 par Florence Santrot
mer de glace
Observation de l'état de la Mer de Glace, au-dessus de Chamonix, au terme de l'été 2024. Ces dernières années, ce glacier, plus grande de France, perd en moyenne 18 mètres d'épaisseur. Crédit : Florence Santrot / WD.
Observation de l'état de la Mer de Glace, au-dessus de Chamonix, au terme de l'été 2024. Ces dernières années, ce glacier, plus grande de France, perd en moyenne 18 mètres d'épaisseur. Crédit : Florence Santrot / WD.

Dans le cadre du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a rappelé jeudi 20 mars 2025 la volonté du gouvernement de placer 100 % des glaciers français “sous protection forte à l’horizon 2030”. Une mesure déjà annoncée par le Président Emmanuel Macron en novembre 2023. Un an et demi plus tard, derrière ces mots, toujours rien de concret, que ce soit sur le plan juridique ou directement sur le terrain… Et aucun budget dédié à l’adaptation en montagne n’est prévu. Il faudra donc se partager avec les autres territoires, notamment le littoral, les 1,6 milliard d’euros liés au PNACC, dont les 300 millions du fonds Barnier dédié à la prévention des risques naturels majeurs.

Des mesures très attentistes, loin de répondre à l’urgence actuelle. Chaque seconde, les glaciers de notre planète perdent l’équivalent de 3 piscines olympiques. “Les Alpes sont la région du monde où les glaciers fondent le plus vite, rappelle le glaciologue Jean-Baptiste Bosson, un des organisateurs du festival. La raison est double. L’Europe fait partie des régions du monde où le réchauffement climatique est le plus intense. Et les glaciers alpins dans les Alpes sont petits par rapport aux autres régions du monde. Ces deux facteurs ont un impact très fort sur nos glaciers.” Un constat qui commencent à faire bouger les acteurs locaux dans le bon sens.

Bourg-Saint-Maurice-Les Arcs s’engagent pour leurs glaciers

Le maire de la commune de Bourg-Saint-Maurice et des Arcs (8 000 habitants et deuxième station de montagne de France), Guillaume Desrues, a annoncé vendredi 21 mars, la création prochaine de mesures de protection pour deux glaciers situés à proximité : le Glacier des Glaciers et celui des Lanchettes. C’est à l’occasion du festival Agir pour les glaciers, qui s’est tenu pendant trois jours, du 20 au 22 mars sur son territoire, que le maire a annoncé cette volonté d’initier une politique volontariste de protections de ces colosses de glace aux pieds d’argile.

Glacier des Glaciers Tête Nord des Fours
Le Glacier des Glaciers photographié en août 2024. Crédit : Rémih / Wikipedia.

Concrètement, des mesures seront prises après six mois d’une consultation citoyenne qui intègrera tous les acteurs du territoire. “Nous allons, ensemble, imaginer le périmètre et le degré de protection de cette zone. Nous allons écrire l’avenir de ces géants avec intelligence et respect pour qu’ils restent debout le plus longtemps possible”, a expliqué le maire. Dans d’autres vallées aussi, l’idée de prendre sérieusement les choses en main commence à faire son chemin. Mais le temps joue contre nous.

Glaciers : histoire d’une mort annoncée et sans doute inéluctable

Dans les Alpes comme dans les Pyrénées, les glaciers rétrécissent à vue d’œil. Pour Jacques Mourey, géographe et glaciologue au Conservatoire d’Espaces Naturels de Haute-Savoie, il ne s’agit plus de sauver les glaciers, mais d’accompagner leur disparition. “On observe un effondrement très rapide de la surface glaciaire dans les Alpes du Nord. D’ici 2100, 90 % des glaciers pourraient avoir disparu”, résume-t-il avec sobriété. En 1850, la surface englacée dans les Alpes françaises était d’un peu plus de 600 km2. Aujourd’hui, elle serait de moins de 215 km2. Et la fonte des glaces n’est pas qu’un phénomène visuel. Elle entraîne une cascade de bouleversements pour les territoires. “Les glaciers sont des réservoirs d’eau douce, des régulateurs thermiques, mais aussi des marqueurs culturels et touristiques forts. Leur disparition rebat les cartes”, souligne Jacques Mourey.

Dans les Pyrénées, la situation est encore plus critique. Pierre René, lui aussi glaciologue, suit depuis des années l’agonie des petits glaciers pyrénéens. “Nous sommes dans une logique de compte à rebours. Sur les 44 glaciers encore présents en 2000 – 5 km2 –, il n’en reste qu’une dizaine aujourd’hui, sur une surface de moins de 2 km2. Et ceux-là sont devenus de simples reliques, souvent incapables de se régénérer après l’été.” Autrement dit : même les hivers neigeux ne suffisent plus à compenser la fonte estivale. Les deux scientifiques dressent un constat à la fois lucide et terrifiant : les glaciers sont condamnés. Mais leur mémoire, elle, peut encore être sauvée.

Un réchauffement hivernal plus rapide encore

Ce qui frappe les scientifiques, c’est la dynamique du réchauffement. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les étés brûlants qui accélèrent le plus la disparition des glaciers, mais les hivers trop doux. “C’est en hiver que l’on recharge un glacier, rappelle Jacques Mourey. Et aujourd’hui, les températures hivernales augmentent encore plus vite que celles d’été. Cela veut dire que même si la neige tombe, elle ne tient pas, ou elle tombe sous forme de pluie à moyenne altitude.”

Ce phénomène rend le manteau neigeux plus instable, plus humide, et limite la capacité des glaciers à s’épaissir pendant la saison froide. Résultat : chaque été, la fonte part d’une base déjà trop fine. “C’est comme si on grignotait les réserves sans jamais les remplir”, résume Pierre René.

Entre science et mémoire

mer de glace
Luc Moreau, Luc Moreau, spécialiste de l’hydrologie sous-glaciaire, perce un trou dans la Mer de Glace. Une canne de bambou sera ensuite insérée afin de mesurer le retrait progressif du glacier au fil des mois. Crédit : Florence Santrot / WD.

Face à cette réalité, les deux glaciologues ne baissent pas les bras. Ils redoublent d’efforts pour documenter, archiver, transmettre. “On ne sauvera pas les glaciers, mais on peut encore sauver ce qu’ils nous apprennent, affirme Jacques Mourey. Ils sont des témoins précieux du climat passé, des sentinelles du changement climatique, et des éléments fondateurs de l’identité montagnarde.”

Dans les Pyrénées, Pierre René photographie, mesure, cartographie les moindres traces de glace. “Chaque été, je retourne sur les mêmes sites. Parfois, la fonte a été telle qu’un glacier a disparu en un an. Mais cette surveillance permet de quantifier la vitesse du changement. C’est aussi une forme de témoignage.” Un témoignage pour les chercheurs, les élus, mais aussi pour les habitants de ces territoires.

S’adapter aux paysages qui changent

Au-delà des mesures, une autre question se pose : comment apprendre à vivre avec des montagnes sans glaciers ? “Le changement est irréversible à l’échelle humaine, admet Jacques Mourey. Mais il ne faut pas céder au fatalisme. La disparition des glaciers oblige à repenser nos usages de la montagne, nos infrastructures, nos récits aussi.” Car derrière la glace, c’est tout un imaginaire collectif – celui des stations de ski, des alpinistes, des randonneurs – qui s’effrite.

Cette mutation demande de l’écoute, de la patience, et une certaine humilité. “Le rôle du scientifique n’est pas seulement de produire des données. C’est aussi de tisser des liens entre les savoirs et les émotions, entre la connaissance et le territoire”, souligne Jacques Mourey. Et d’ajouter, comme une mise en garde : “Il ne faut pas attendre que tout ait fondu pour prendre conscience de ce que l’on perd.”

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