La cyber-géopolitique était l’un des thèmes majeurs de l’événement we are_DEMAIN, organisé par WE DEMAIN et we are_ les 10 et 11 novembre 2023. Piratages, ingérences, menaces à grande échelle comme les “rançongiciels”, course aux cyber-armements… Le monde de demain sera bouleversé par la dissémination des moyens numériques. Guy-Philippe Goldstein, chercheur et consultant sur les questions de cybersécurité et cyberdéfense, nous livre son analyse sur le sujet. Pour lui, on se dirige vers une “guerre froide 2.0”.
Ils sont indissociables. Dans la puissance d’un pays, nous sommes passés d’un temps du territoire au temps des réseaux. Telle est ma conviction depuis l’écriture de mon roman d’anticipation, Babel Minute Zéro, paru en 2007. J’y imaginais un conflit dans le cyber espace entre les Etats-Unis et la Chine autour de Taïwan. Ce livre a eu une audience particulière auprès des responsables politiques et militaires en Israël jusqu’au niveau du Premier ministre, dans le cadre de leur réflexion sur le cyber.
Les cyberattaques sont le plus souvent le fait des États-nations. Rappelons-nous, en 2021, l’attaque contre 4 300 stations essence en Iran ou la cyberattaque russe qui a paralysé le parc éolien allemand. Certes, il existe des actions menées par des groupes criminels via le dark side – citons la cyberattaque contre Colonial Pipeline sur la côte Est américaine. Mais l’on constate souvent que ces groupes sont hébergés dans certains pays. Dans ce cas, il s’agissait de la Russie.
Durant la crise du Covid, on a vu agir des groupes cybercriminels originaires de pays hostiles qui en faisaient des outils de déstabilisation et d’affaiblissement. L’attaque la plus spectaculaire a été celle qui a visé l’an dernier trois aciéries en Iran. Les images montrent une opération menée au moment où les salariés étaient absents des fourneaux. Depuis, on assiste à une escalade de ce que l’on peut appeler une guerre froide 2.0.
La robotisation va s’accélérer et, avec elle, la vulnérabilité des systèmes. La multiplication des avatars sur les réseaux sociaux va aller de paire avec les stratégies de manipulation à échelle chirurgicale ou de masse. On le voit avec les modèles de langage LLM [Large Language Models, NDLR] utilisés pour l’intelligence artificielle générative qui produisent du contenu basé sur des instructions de saisie en langage humain. Il existe aussi un risque de “confiance implicite” lorsque les voix sont transformées par l’IA.
Par ailleurs, on estime que le cyber armement russe est efficace à 20 ou 30 %. Imaginons les conséquences si l’on passait à plus de 80 %…
D’un côté, nous avons un bloc de pays réfractaires – des autocraties comme la Chine et l’Iran –, de l’autre le bloc occidental avec des pays sur des lignes de crête comme Israël, la start-up nation, l’Estonie face à la Russie ou encore l’Ukraine dont 20 % du PIB vient du numérique. Les lignes de fracture sont du côté de Taïwan et ses microprocesseurs les plus avancés du monde, la Corée du Sud face à la Corée du Nord, l’Inde face à la Chine. Il y a en effet des tensions dans les contreforts de l’Himalaya.
Quand les “méchants” coopèrent dans le “darknet” (partie d’internet cachée) il nous faut agir sur ce que j’appellerais le “brightnet” en associant États, experts et les entreprises. Beaucoup de cyberattaques les visent et je pense que leurs dirigeants n’en sont pas encore suffisamment conscients.
Dans une version optimiste, on peut imaginer que le bloc occidental peut sortir vainqueur comme ce fut le cas après la première guerre froide. Mais cela implique des chocs à vivre comme la guerre en Ukraine ou la crise actuelle autour de Gaza. On peut même imaginer des crises nucléaires. Ce qui apparaît comme un facteur déterminant c’est la fragilité des deux piliers très différents de ce monde instable.
La Chine pourrait faire face à une crise financière et sociale qui pourrait être compensée par un nationalisme visant à unir la population sous le drapeau. Les États-Unis vont être confrontés à la montée des inégalités s avec le risque d’explosions sociales sur fond de populisme. Or, l’on sait bien que les pays hostiles profitent de ces tensions et testent les grandes puissances notamment par le biais du cyber à travers l’ingérence cyber.
Cyberdéfense et cyberpuissance au XXIe siècle – Les nouvelles missions de l’Etat et de l’entreprise, Guy-Philippe Goldstein, Éditeur Balland, mars 2020, 354 pages, 22€.
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