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Paris 2024 : des Jeux Olympiques écologiques, un objectif illusoire ?

Paris 2024 s’est engagé à organiser les premiers Jeux Olympiques écologiques. En pleine urgence climatique, la compatibilité avec l’Accord de Paris et la réalisation d’objectifs ambitieux suscitent de nombreuses questions.

Le 19/07/2024 par WeDemain
stade paris 2024
Paris 2024 s'est fixé le défi de créer les premiers Jeux olympiques écologiques. Réaliste ? Crédit : master1305 / iStock.
Paris 2024 s'est fixé le défi de créer les premiers Jeux olympiques écologiques. Réaliste ? Crédit : master1305 / iStock.

Dès sa candidature, Paris 2024 a affiché une ambition claire : organiser des Jeux Olympiques à impact positif pour le climat. Mais, en pleine urgence climatique, un événement d’une telle envergure est-il vraiment compatible avec l’Accord de Paris de 2015 ? Les Jeux peuvent-ils être à la fois verts et inclusifs ? Les acteurs du BTP profitent-ils de ce « terrain de jeux » pour construire la ville de demain ?

Du 26 juillet au 8 septembre, tous les regards seront tournés vers la France. Pour Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, c’est une « opportunité historique de montrer qu’il est possible de conjuguer loisirs, sport et défi climatique ». Il faut le reconnaître, c’est la première fois que l’ambition est aussi élevée : diviser par deux l’empreinte carbone par rapport aux deux éditions précédentes. « Les Jeux de Paris 2024 ont placé la barre très haute en matière environnementale, avec une ligne directrice forte : livrer des Jeux responsables alignés sur l’Accord de Paris et l’agenda 2030 de l’ONU », a déclaré Georgina Grenon, Directrice de l’Excellence environnementale.

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Les défis écologiques des grands événements sportifs

Jusqu’à présent, manifestations sportives et écologie font rarement bon ménage. « Surtout quand il s’agit de grands événements planétaires qui déplacent athlètes, journalistes et visiteurs, le plus souvent par avion, et consomment d’immenses quantités de ressources matérielles », a concédé Pascal Canfin, ex-directeur du WWF France. L’ONG a accepté d’accompagner le comité d’organisation qui a théoriquement suivi une partie de ses recommandations : réduction de moitié des émissions carbones, 100 % d’approvisionnement en énergies renouvelables, 100 % de l’alimentation certifiée, 100 % des sites accessibles en transports en commun et à vélo.

Paradoxalement, la durabilité n’est pas mentionnée parmi les principaux objectifs du Comité International Olympique (CIO) sur son site officiel. L’organisation des Jeux repose sur un partenariat entre le CIO et le comité d’organisation des Jeux Olympiques (COJO). En termes de management de l’événementiel responsable, le CIO a obtenu la certification ISO2012:2012 pour ses propres événements institutionnels. Une norme qui avait été créée à l’occasion des Jeux de Londres.

Management de la transformation écologique et du carbone

Dès sa candidature, le COJO a mobilisé un Comité afin d’accompagner la transformation écologique par domaines clés : carbone, biodiversité, économie circulaire, énergie, restauration, numérique, construction, innovation et accompagnement au changement. Présidé par le biologiste Gilles Bœuf, il est composé d’experts d’organisations référentes : l’ADEME, l’I4CE – Institute for Climate Economics, l’Iddri, ORÉE, l’agence Chartier Dalix, l’Institut du Numérique Responsable, l’Agence Internationale de l’Énergie, le label ISR et du chef cuisinier, Thierry Marx.

Le lancement d’un nouveau calculateur carbone a pour fonction d’accompagner les équipes organisatrices dans leur impact personnel et professionnel. Ce « Coach Climat événements » a été adapté et mis à disposition du secteur sportif et événementiel français. En outre, la flotte de véhicules des équipes organisatrices est majoritairement constituée de véhicules électriques et hybrides, fournis par Toyota, partenaire mondial mobilité des Jeux de Paris 2024.

Objectif de neutralité carbone et mécanismes de compensation pour Paris 2024

Sur le volet du pilotage des émissions globales, Paris 2024 s’est fixée de ne pas dépasser 1,58 million de tonnes équivalent CO2. « La définition d’un budget carbone avant les Jeux est une bonne chose. Toutefois, la méthodologie utilisée pour calculer cette empreinte reste opaque », décrypte Guillaume Kerlero de Rosbo, ingénieur, Directeur Transition écologique à l’Institut Rousseau, cofondateur du collectif climat-énergie « éclaircies ».

Selon le comité d’organisation, le budget carbone des Jeux de Paris 2024 se décompose comme suit :

L’association a co-publié, avec Carbon Market Watch, une évaluation de la stratégie climat des JOP et de sa communication. Quid de la flamme, le symbole des Olympiades ? Si le voyage, effectué pour la première fois à la voile depuis la Grèce, a envoyé un message en faveur de la transition, le parcours complet interroge – du Péloponnèse à Athènes, puis des territoires ultramarins aux nombreux sites de la Métropole, en terminant par la capitale. Impossible de calculer son bilan exact.

Les premiers Jeux avec une « contribution positive pour le climat », vraiment ?

En 2023, le comité d’organisation (COJO) a dû revenir sur cette formulation pour respecter la recommandation de l’ADEME. Benjamin Lévêque, Responsable Climat et Biodiversité de Paris 2024 a confirmé sur franceinfo : « Nous trouvons que ce n’est pas raisonnable scientifiquement et compte tenu de l’urgence ». Il s’agit de ne plus laisser penser qu’une compétition de cette ampleur est neutre en termes d’impact climatique. « Ce changement de dénomination ne signifie en aucun cas une baisse des ambitions en la matière », a cependant déclaré le Conseil d’administration des Jeux de Paris 2024. Mais sa stratégie repose essentiellement sur des mécanismes de compensation carbone. Il s’agit d’un « soutien massif à des projets positifs pour le climat », de restauration et de conservation des forêts et des océans.

En résumé, Paris 2024 s’est fixé des objectifs ambitieux pour réduire son empreinte carbone et promouvoir des pratiques durables, mais le chemin pour atteindre ces objectifs reste semé d’embûches. Les critiques sur la méthodologie de calcul de l’empreinte carbone, la faisabilité des engagements pris, et l’efficacité des mécanismes de compensation soulèvent des questions essentielles sur la capacité réelle des Jeux à être véritablement écologiques.

Martin Müller (géographe) : « La promesse d’un bilan carbone positif s’est retournée contre les organisateurs »

Professeur à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne, Martin Müller étudie la transition écologique dans sa dimension urbaine. Ses recherches portent notamment sur les grands évènements sportifs, comme la Coupe du monde de football et les Jeux Olympiques. En 2021, il publie une étude dans Nature Sustainability sur ce sujet.  

WE DEMAIN : Quelle est l’empreinte carbone moyenne des Jeux ?

Dr Martin Müller : Pour les Jeux Olympiques d’été, les émissions se situent entre 3 et 4,5 millions de tonnes de CO₂e. Cela équivaut à peu près au budget carbone annuel d’une ville de 1,5 à 3 millions d’habitants en 2050, qui respecterait l’Accord de Paris. Il s’agit donc d’un volume assez important. La première source d’émissions est constituée par les vols des visiteurs. Viennent ensuite les émissions grises des nouveaux bâtiments, qui varient considérablement en fonction de l’ampleur du programme de construction de l’hôte. 

Que pensez-vous de la promesse de départ de Paris 2024 d’organiser des Jeux « neutres en carbone » ? 

La promesse d’un bilan carbone positif s’est retournée contre les organisateurs. Ce type de formulation marketing repose sur un tour de passe-passe de la comptabilité carbone. Le CIO a pris un engagement en faveur de Jeux neutres, fondé surtout sur la compensation carbone. Des recherches ont montré que nombre de ces crédits de compensation ne sont pas fiables, car non réglementés. La plupart ne compense pas ce qui est promis. Les organisations sérieuses commencent à abandonner ce mécanisme. L’opinion publique et la recherche scientifique ont progressé ces dernières années sur ce sujet. Par exemple, des ONG ont fait reconnaître le greenwashing de la FIFA, qui avait présenté la Coupe du monde de football au Qatar comme « neutre en carbone »

Le nouvel objectif carbone des Jeux de Paris vous paraît-il raisonnable ?

Cet objectif me paraît très ambitieux. Certes, la réduction de constructions neuves à un minimum est une manière importante de réduire l’empreinte carbone. Sur ce plan, Paris 2024 fera probablement mieux que la plupart des villes hôtes précédentes. Cependant, je ne vois pas de politique pour diminuer les déplacements en avion, l’autre grande source d’émissions qui devrait être la priorité. C’est la seule sur laquelle le CIO peut avoir une influence directe. 

Pourrait-on imaginer des Jeux compatibles avec la transition écologique ?

Oui, ce ne serait même pas très difficile. Le déplacement de millions de personnes en avion pour assister à une compétition ou deux, n’est plus tenable. Une étape importante consisterait à amener les Olympiades au peuple, plutôt que l’inverse. Je pense à des stades beaucoup plus petits et à des « fan zones » conviviales partout dans le monde, qui éviteraient de parcourir la planète en avion. Durabilité ne rime pas avec absence d’amusement, au contraire ! D’ici 2050, les Jeux d’été devraient arriver à émettre autour de 0,5 million de tonnes de CO₂e. Il sera donc nécessaire de privilégier les transports publics et de s’abstenir de constructions neuves.

Article réalisé par Marie Vabre.

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