Partager la publication "Pollution sonore sous-marine : retrouver le silence de la mer"
Les océans n’ont jamais été autant soumis à la pression des activités humaines qu’aujourd’hui : pêcheries industrielles, omniprésence des plastiques, augmentation du trafic maritime… Ces pressions se répercutent sur les paysages sonores des océans. Ceux-ci ressemblent désormais à une véritable cacophonie sous-marine ,qui impacte profondément la biodiversité que ces milieux abritent. Et cette pollution sonore sous-marine ne date pas d’hier.
Ces problèmes, pourtant dénoncés depuis le siècle dernier (Alain Bombard dans les années 60, Cousteau dans les années 90…), sont loin de s’arranger. Les États ont même organisé leur intensification, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à travers des mécanismes de subventions qui ne tiennent pas compte de leurs impacts sur les écosystèmes marins, comme le rappelait l’Unesco en 2024.
Malgré l’investissement par l’Europe d’un milliard d’euros par an pour soutenir la pêche durable, le compte n’y est pas. Dans le même temps, les aides économiques à la marine marchande ont débouché sur des supertankers toujours plus imposants. Les plastiques, eux, continuent d’être utilisés, et forment désormais un « continent » en pleine mer.
Toutes nos activités en mer génèrent des bruits qui, malheureusement, se propage très bien dans les profondeurs et parfois sur de très grandes distances, modifiant les paysages sonores naturels. Dans certaines zones, ils se complexifient de plus en plus, avec une multitude de sons, extrêmement divers et qui parfois se recouvrent.
On regroupe ces sons sous-marins en trois grandes catégories :
Lorsque l’on s’intéresse à la qualité sonore des océans, l’objectif est de mesurer différents critères, tels que les formes de ces sons, les bandes fréquentielles et les intensités acoustiques dont les valeurs varient de la plus faible (jet ski) à la plus forte (explosifs TNT).
Il faut également citer le temps d’exposition, c’est-à-dire la durée des bruits présents dans un écosystème. Ainsi, le trafic maritime génère un son continu, en particulier sur les « autoroutes de la mer ». On peut également citer la recherche pétrolière qui utilise des canons à air dont les explosions, à intervalle régulier, s’enregistrent à 500 km de distance.
De même, les constructions de plates-formes ont parfois recours à des explosifs ou des battages de pieux pour percer le fond marin (par exemple, pour enfouir les mâts des éoliennes offshore dans le sol). Le bruit des bateaux de pêche, enfin, tend à s’accroître, puisqu’on utilise désormais des émetteurs acoustiques (appelés « pingers ») dont l’efficacité pour limiter les captures accidentelles de cétacés reste à confirmer.
Mais comment mesurer ces sons, inaudibles autrement que sous l’eau ? En effet, la surface de l’océan se comporte comme un « miroir acoustique » : les bruits restent dans le milieu marin, et il est difficile de se représenter le vacarme des profondeurs.
Pour cela, il faut recourir à des hydrophones (microphones étanches). Trois méthodes sont envisageables :
Les enregistrements sont ensuite analysés. Parfois, on peut les identifier et les répertorier, mais le principal défi représente la masse de données produites, s’agissant souvent de systèmes qui enregistrent 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. On mobilise de plus en plus souvent des techniques d’intelligence artificielle pour faciliter leur tri, et parfois même l’aide d’internautes anonymes via des projets de « sciences citoyennes ».
Ces mesures acoustiques ont permis de révéler les effets du bruit sur certaines espèces, à commencer par les cétacés qui émettent des sons, dont l’écholocalisation, dans leurs activités vitales et leurs interactions sociales.
Divers travaux scientifiques ont montré les risques de masquage acoustique par des sources anthropiques, de changements de comportement ou d’éloignement des habitats, de pertes auditives temporaires ou définitives, de stress et même d’échouages.
Quant aux poissons, les bruits sont susceptibles de les affoler voire de tuer pour ceux munis de vessies natatoires qui explosent sous le choc de l’onde acoustique. Des études récentes ont montré que même les coquilles Saint-Jacques et le plancton sont sensibles aux bruits sous-marins.
Des normes et réglementations internationales existent mais avec quelle efficacité ? La pollution sonore des océans fait partie des préoccupations internationales depuis la fin des années 2000. Certaines organisations incitent à sa réduction, comme les Nations-Unies ou la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (Conservation of Migratory Species CMS).
Les secteurs professionnels se saisissent également de ce sujet. Ainsi, dès 2012, l’Organisation maritime internationale a publié des recommandations à destination des armateurs. En 2023, elle a réactualisé ses directives et a lancé le projet GloNoise pour aider les pays à s’emparer du sujet.
Au niveau régional enfin, on peut citer la Convention pour la protection de l’Atlantique du Nord-Est, l’Accord sur la conservation des cétacés de la mer Noire, de la Méditerranée et de la zone atlantique adjacente (Accobams), l’Accord sur la conservation des petits cétacés de la mer Baltique, du nord-est de l’Atlantique et des mers d’Irlande et du Nord (Ascoban)…
En ce qui concerne les cétacés, la Commission baleinière internationale a ouvert les discussions en 2008, et 10 ans plus tard, elle a adopté une résolution visant à réduire le bruit pour diminuer les effets nocifs.
Au niveau européen, enfin, la Commission a voté en 2008, la directive-cadre stratégie pour le milieu marin. Sur les 11 indicateurs permettant de caractériser le « bon état écologique du milieu marin », on en retrouve un spécifiquement dédié aux sons d’origine anthropique (D11).
Le bruit sous-marin est donc explicitement reconnu comme facteur de nuisance, de stress et peut être responsable de mortalité. L’objectif des réglementations est alors de mesurer les niveaux sonores et de les ramener à des valeurs compatibles avec la durabilité des écosystèmes.
Malheureusement, les partenaires européens n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur les seuils qui définiraient des niveaux sonores acceptables pour les écosystèmes marins.
La prise en compte de la pollution sonore est donc nécessaire à la conservation des écosystèmes. Mais cela n’a de sens que si on la considère comme une des multiples pressions anthropiques subies par les océans.
Si l’on considère des populations de cétacés par exemple, il ne s’agit pas uniquement de s’assurer d’un niveau sonore sous-marin, mais d’évaluer les prélèvements des pêches sur leur territoire, le risque de collision avec les bateaux, la présence de macro et micro plastiques dans leur habitat, les changements dus au réchauffement climatique… C’est l’évaluation régulière de cet ensemble dans sa globalité, et sa comparaison année après année qui permet de caractériser sérieusement le bon état ou la fragilité des espèces marines.
Au cours des dernières années, la sensibilisation sur les impacts de nos activités en mer s’est étendue aux décisionnaires, aux professionnels et également pour le grand public. Des documentaires, des médias, des ONG et même de personnalités publiques comme Leonardo DiCaprio ont aidé à cette prise de conscience.
En France, le président Macron a déclaré cette année « l’année de la mer », et il va organiser, à Nice en juin 2025, la 3e édition de la Conférence des Nations unies sur les Océans. Espérons que ce grand rassemblement politique international qui se veut ambitieux, voire historique, soit à la hauteur des enjeux environnementaux. Il s’agira de consolider les mesures de régulations des activités économiques en mer et surtout de mettre en place les moyens nécessaires pour les faire appliquer. Pour que l’idée d’un « océan durable » ne reste pas un oxymore.
À propos de l’auteur : Olivier Adam. Bioacousticien, Sorbonne Université.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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