Partager la publication "Pourquoi la monoculture est le pire ennemi des forêts"
Les forêts représentent un important volume de carbone capté puis stocké dans les troncs des arbres, leurs racines, et dans les sols. À ce titre, elles jouent un rôle crucial dans la régulation du climat à l’échelle planétaire. Elles forment également un exceptionnel réservoir de biodiversité et constituent une protection contre l’érosion des sols. Sans oublier qu’elles sont une source de bois pour la construction, le chauffage ou la fabrication du papier. Et ce ne sont là que quelques exemples de nombreux services fournis par ces écosystèmes.
En bref, les habitants de la Terre ont grand besoin d’elles. Et pourtant, les incendies ravagent les forêts de l’Ouest américain ou de l’Australie. En Europe, c’est la sécheresse qui entraîne des dépérissements massifs, et les chaleurs de cet été 2022 ne vont guère arranger les choses. Des centaines d’hectares de forêt amazonienne sont également abattus pour faire place aux terres agricoles. Un peu partout dans le monde, des maladies émergentes et des ravageurs exotiques envahissants menacent la survie de nombreuses espèces d’arbres.
Face à ce paradoxe, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour planter des arbres, avec l’idée que les arbres seraient la solution au changement climatique. L’idée est séduisante, mais peut être simpliste, notamment parce que toutes les plantations ne se valent pas.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, les forêts plantées représentent aujourd’hui 294 millions d’hectares à l’échelle mondiale. C’est 7 % de la surface forestièr totale. Elles sont en constante augmentation (+171 millions d’hectares depuis 1990). La moitié d’entre elles sont des forêts de plantation dédiées à la production industrielle de bois.
Ces plantations sont majoritairement monospécifiques, des monocultures. Elles sont généralement établies à partir d’un nombre limité d’essences (eucalyptus, pins, épicéa, peuplier, hévéa, teck), souvent exotiques ; elles sont gérées de manière intensive.
La question n’est pas de savoir si la monoculture est bien ou mal. Ni même de savoir si les forêts plantées sont des forêts ou non. Elles aussi peuvent avoir un intérêt, mais ces grands massifs monospécifiques présentent des risques.
Face aux défis que représentent le changement climatique, les introductions d’espèces invasives et la transformation des habitudes des citoyens consommateurs, il convient donc de les évaluer.
Le risque associé à la monoculture le mieux documenté est un risque sanitaire lié à la propagation des ravageurs et des agents pathogènes. Nous venons de publier une méta-analyse de la littérature scientifique démontrant que, sur plus de 600 cas d’études, les insectes herbivores causent en moyenne 20 % de dégâts en plus dans les monocultures que sur les mêmes espèces d’arbres poussant dans des forêts mélangées.
Bien sûr, c’est une moyenne et des contre-exemples existent, mais notre analyse permet d’identifier les mécanismes par lesquels les forêts mélangées seraient plus résistantes vis-à-vis des attaques d’insectes herbivores.
Déjà, il faut réaliser que la plupart des insectes herbivores sont plus ou moins spécialistes, dans le sens où ils ne sont capables de s’alimenter et de se reproduire (donc de causer des dégâts importants) que sur un nombre restreint d’espèces d’arbres plus ou moins apparentées. On parle d’arbres hôtes. Un arbre hôte est reconnu comme ressource alimentaire par les insectes herbivores qui disposent des adaptations pour contourner les défenses de cet arbre. Au contraire, un arbre non hôte n’est pas reconnu comme ressource, ou ses défenses sont telles qu’elles ne permettent pas à l’herbivore de l’exploiter.
Ceci posé, le premier mécanisme par lequel la diversité des arbres réduit les dégâts causés par les insectes herbivores est purement statistique : les arbres hôtes sont d’autant moins nombreux (plus “dilués”) dans une forêt que le nombre d’espèces d’arbres, notamment non-hôtes, augmente. Il y a de fait moins de chance qu’ils soient trouvés par leurs herbivores. Le même mécanisme de dilution agit d’ailleurs sur les agents pathogènes.
Ensuite, parce que les insectes sont capables de reconnaître les hôtes et d’éviter les non-hôtes, la diversité des arbres agit comme un brouilleur de signal : les signaux répulsifs émis par les arbres non hôtes empêchent les insectes de repérer et de s’orienter vers leurs arbres hôtes.
C’est ce mécanisme qui serait à l’origine du rôle protecteur des haies d’arbres feuillus contre les attaques des pins par la chenille processionnaire dans la forêt (monospécifique) des Landes de Gascogne.
Le risque sanitaire associé à la monoculture peut être étendu aux dégâts d’origine « abiotique » (c’est-à-dire non liés au vivant) causés par le vent, le feu ou la sécheresse. Les résultats de la recherche sont plus récents et, de fait, plus équivoques que dans le cas des ravageurs ; mais plusieurs éléments suggèrent que les forêts mélangées seraient plus résistantes et plus résilientes (elles se remettraient plus vite après une perturbation) que les monocultures.
Ainsi, les feux de forêt se propagent plus facilement dans les forêts dominées par les conifères que dans les forêts mélangées associant des conifères à des essences feuillues, moins inflammables.
Même constat par rapport au vent : les forêts mélangées semblent en moyenne plus résistantes aux tempêtes quand elles associent conifères et feuillus. La situation est plus controversée dans le cas de la sécheresse : certaines essences bénéficient du mélange, d’autres pas.
Il n’est pas raisonnable en l’état actuel des connaissances scientifiques de présenter les plantations mélangées comme la panacée contre tous les problèmes de santé des forêts. Même si l’examen de la littérature scientifique plaide largement en faveur des mélanges pour favoriser la résistance des forêts aux risques biotiques et abiotiques, des contre-exemples existent.
Une constante se dégage toutefois de notre analyse. Ce n’est pas le nombre d’espèces associées dans une forêt qui favorise sa résistance aux attaques d’insectes, aux tempêtes, au feu, c’est la composition du mélange d’espèces. Un pin maritime et un pin radiata se ressemblent beaucoup plus entre eux qu’ils ne ressemblent à un bouleau ou un chêne. Ainsi, du point de vue de l’herbivore, ou face à la propagation d’un incendie, un mélange de conifères se comporte comme une entité bien plus homogène qu’un mélange de conifères et de feuillus.
La recherche en écologie forestière des dernières décennies a mis en évidence la vulnérabilité des monocultures d’arbres vis-à-vis des risques naturels. Elle permet également de dégager une constante dans la diversité des études scientifiques : ce n’est pas le nombre qui compte, mais la qualité des assemblages d’arbres. Les mélanges de conifères et de feuillus apparaissent à ce titre prometteurs pour encourager la résistance des forêts aux aléas.
À propos des auteurs :
Bastien Castagneyrol. Chercheur en écologie, Inrae.
Hervé Jactel. Directeur de recherche en écologie forestière, Inrae.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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