Partager la publication "Quand la fiction rencontre la guerre : une ère nouvelle pour la stratégie militaire"
Comment gagner la guerre avant la guerre ? De quelle façon l’armée française s’est-elle mise en ordre de bataille pour affronter les conflits actuels et futurs où la technologie joue plus que jamais un rôle de premier plan ? Comment se projeter dans les guerres futures et imaginer de nouvelles stratégies ? Pour répondre à ces questions, le Sommet Les Napoleons, dont WE DEMAIN est partenaire média, ont accueilli au siège de l’Unesco à Paris trois personnes en pointe sur le sujet.
La générale Anne-Cécile Ortemann, directrice de l’Agence du numérique de défense, a évoqué les questions cruciales de cyberdéfense et cyberguerre. Le général Philippe Pottier est venu expliquer les enjeux de l’Ecole de guerre, qu’il dirige. Et Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), a retracé son expérience au sein de la Red Team. Ce collectif d’auteur(e)s et de scénaristes de science-fiction a pour but d’imaginer les menaces pouvant directement mettre en danger la France et ses intérêts dans un futur plus ou moins proche.
L’importance de la technologie dans la guerre moderne
Plus que jamais, la technologie numérique tient désormais un rôle crucial dans les opérations militaires contemporaines. “Le ministère des Armées se doit de répondre à deux défis majeurs : garantir l’efficacité opérationnelle de ses équipes et la maîtrise de l’information sur les terres d’opération, rappelle de prime abord Anne-Cécile Ortemann. Concrètement, pour rendre cela possible, je supervise un portefeuille de systèmes d’information. Parmi eux, certains nous permettent de commander des opérations sur le terrain mais aussi de faire remonter ce qu’il s’y passe aux autorités. Celles-ci pourront ainsi prendre des décisions éclairées.” Tout comme le service de santé des armées est vital – en temps de guerre ou non –, l’Agence du numérique de défense occupe une place centrale pour l’armée française.
À cela s’ajoutent des systèmes d’information pour gérer la logistique et ce qu’on appelle le maintien de position opérationnelle. “Quand il s’agit de faire voler des hélicoptères, des avions… il faut faire en sorte qu’on dispose sur place de toutes les pièces pour les faire fonctionner, par exemple”, résume la générale. Mais sa mission inclut aussi le développement d’intelligences artificielles (IA) adaptées aux armées. “Il est hors de question que l’on ne maîtrise pas l’état de l’art dans la technologie donc nous avons de gros projets en la matière. C’est non seulement pour ne pas se laisser distancer, mais aussi parce que ça nous apporte des plus-values. Sur des automatisations, par exemple”, ajoute Anne-Cécile Ortemann.
L’École de guerre : une nécessaire coopération pour gagner en efficacité
Destinée aux officiers qui ont environ 15 ans de carrière, entre 35 et 40 ans, l’École de guerre est ouverte à tous les corps d’armée (Air, Terre, Mer, Gendarmerie…). Très sélective, elle a pour mission de former les chefs militaires de demain. “Je prépare mes stagiaires à assumer les responsabilités au niveau des armées mais également au niveau inter-armé, au niveau interallié, voire ministériel. À la fin de leur année de formation, ils doivent être capables de pouvoir coordonner des opérations avec d’autres pays, car c’est avant tout dans ce cadre que la France est appelée à intervenir. D’ailleurs, un tiers des stagiaires sont étrangers car l’ouverture sur le monde est extrêmement importante”, détaille Philippe Pottier.
Ayant la puissance nucléaire, notre pays fait partie des pays cadres d’engagement en cas de guerre.Ceux qui coordonnent les missions. Nous avons longtemps vécu, depuis la guerre froide, avec le continuum paix-crise-guerre. “Aujourd’hui, la conflictualité s’est étendue à un nombre conséquent de champs, au-delà du trio air-terre-mer. Elle concerne aussi l’espace, le cyber, l’électromagnétique, l’information… Cela veut dire que la conflictualité commence désormais bien avant la guerre. Il faut donc être présent dans tous ces champs pour pouvoir gagner la guerre avant la guerre”, pointe le général.
“La conflictualité commence désormais bien avant la guerre.”
Général Philippe Pottier, directeur de l’École de guerre.
Un nouveau triptyque, compétition-contestation-affrontement
En lieu et place de paix-crise-guerre, le nouveau triptyque est le suivant : compétition-contestation-affrontement. “La compétition, c’est le mode normal d’affirmation de la puissance de la part d’un État, explique Philippe Pottier. Cela concerne tous les domaines (militaire, diplomatique, politique, culturel, économique, juridique…). Puis il y a la phase de contestation. C’est une remise en cause de l’état de droit par le fait accompli.”
Et d’ajouter : “Le but, pour gagner la guerre avant la guerre, est d’empêcher que la compétition ne passe en phase de contestation. Pour éviter, in fine, l’affrontement. En parallèle, nous nous devons d’être prêt à passer à l’action à tout moment. Être prêt à combattre dans tous les milieux et tous les jours.” Le retour des conflits de haute intensité – notamment la guerre entre l’Ukraine et la Russie – est marqué aussi par un changement de position pour la France. “Nous ne sommes plus simplement face à des guerres choisies – acception en Afghanistan entre 2001 et 2014, refus en Irak en 2003 – mais devons faire face à des conflits imposés.”
L’imaginaire pour se préparer aux nouvelles guerres
Directrice de recherche au CNRS en sciences du politique et en sociologie de l’innovation dans les organisations, Virginie Tournay – également autrice de science-fiction – a participé avec la Red Team. Avec des scientifiques, écrivains, chercheurs, scénaristes… elle a mené une réflexion sur les futures crises géopolitiques et les ruptures technologiques impliquant des militaires.“L’objectif n’était pas de prédire ce qui pouvait arriver, selon les probabilités avérées. Mais plutôt de faire du plausible, de conduire des expérimentations, des expériences de pensée sur le mode du ‘et si ?’, raconte Virginie Tournay. Et si toutes les infrastructures numériques s’effondraient du jour au lendemain ? Que se passerait-il si toutes nos données étaient révélées au grand public ? S’il n’y avait plus de données confidentielles ? Qu’arriverait-il si nos armées étaient contraintes de fonctionner en basse énergie ? À chaque fois, nous nous efforçons de trouver une réponse possible à ces cas de figure.”
Ces travaux ont déjà donné lieu à la publication de livres aux Éditions des Équateurs. Un nouvel opus de Ces guerres qui nous attendent devrait paraître en ce mois de janvier 2024. Il ne comporte pas cependant l’intégralité des hypothèses et des réponses car certaines sont classées “secret défense”. Pourquoi ? “On va pas non plus donner des idées à des gens qui sont déjà très mal intentionnés”, déclare la chercheuse. Guerres cognitives (sur le terrain des connaissances), pirates d’un nouveau genre, conséquences des conflits sur les sociétés civiles… ces guerres multi-opérations – qui se jouent à de nombreux niveaux et pas uniquement sur le plan militaire – s’attaquent bien souvent à la question de la cybersécurité.
Le numérique, une guerre non déclarée
À l’instar de l’excellente mini-série britannique The Undeclared War (disponible en France sur la plateforme myCanal), la cybersécurité et la cyberdéfense sont devenues des thématiques cruciales dans les conflits. Qu’ils soient latents ou officiels et ce, au niveau mondial. Avec des capacités encore décuplées par l’intelligence artificielle générative. Celle-ci rend de plus en plus simple la fabrication de photos et vidéos inventées de toute pièce. Mais aussi par la diffusion d’informations non vérifiées et d’alimentation des conflits par l’entremise de discussions orientées sur les réseaux sociaux. TikTok et X/Twitter en tête.
Comment s’en sort la France dans tout ça ? “Avec les moyens à notre disposition, nous sommes très bien placés. Cela n’a rien à voir avec les budgets et les moyens déployés par les États-Unis mais, à notre niveau, la France se débrouille très bien. Notre force numérique est une première étape de dissuasion”, affirme la générale Anne-Cécile Ortemann. Face aux fake news et à la désinformation, l’Hexagone a mis en place depuis quelques années ce qu’elle appelle une “stratégie d’influence”. Difficile de savoir exactement la forme que cela peut prendre mais “nous restons toujours dans le cadre légal de notre réglementation”, assure le général Philippe Pottier.
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