Partager la publication "Réchauffement climatique : les villes en première ligne pour expérimenter des solutions"
Novembre 2022 : la COP27 s’achève sur des engagements manquant d’ambition, étouffés par les producteurs d’énergies fossiles et des garanties financières nettement insuffisantes ; cette fin de conférence mondiale sur le réchauffement climatique avait ainsi laissé les observateurs frustrés et déçus. Malgré la déception, l’espoir de trouver des solutions à la hauteur de ces problématiques de plus en plus complexes demeure.
Le constat est bien connu : les politiques ambitieuses, à l’image d’un Green New Deal européen ou des traités approuvés par l’ONU, se heurtent à l’éternelle difficulté d’emporter l’adhésion politique, et sont en outre notoirement peu fiables. Parmi les échecs récents, citons le fiasco qu’a constitué en 2017 la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. Donald Trump avait alors clamé avoir été élu pour représenter « les habitants de Pittsburgh, pas ceux de Paris ».
Ce qui aurait pu apparaître comme une mise en garde contre l’imprévisibilité des États à s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique a finalement servi à nous rappeler que les actions concrètes s’opèrent souvent à d’autres échelles.
En 2017, il a ainsi fallu moins d’une semaine aux maires de Pittsburgh et de Paris, Bill Peduto et Anne Hidalgo, pour publier un communiqué commun réaffirmant les objectifs de l’Accord de Paris. Depuis, des centaines de villes aux États-Unis et dans le monde ont adhéré à des pactes pour le climat, à l’image de la campagne « We’re Still In » ou le Global Covenant of Mayors, initiatives soutenues par des philanthropes et des personnalités politiques.
La volonté des maires de jouer un rôle significatif dans la résolution des problèmes les plus urgents de la planète suggère qu’un des moyens d’inverser le cours du changement climatique est de se concentrer sur l’expérimentation et l’innovation à partir de la base.
Au lieu d’essayer de mettre en œuvre de grands projets ambitieux, les villes et les communautés peuvent continuer à montrer la voie par l’expérimentation.
Les villes méritent-elles un tel optimisme ? Oui, avec une réserve, comme le montre l’exemple de la construction économe en énergie, que j’ai étudiée ces dernières années au sein du Laboratoire de la vie civile des villes de l’université de Stanford et à l’Institut Mansueto d’innovation urbaine de l’université de Chicago.
La construction verte représente une part essentielle de la solution au problème du changement climatique. Selon les estimations, 40 % des émissions carbone dans les villes industrialisées sont générées par le secteur du bâtiment, tandis que la construction verte connaît depuis deux décennies une croissance rapide et constante.
Les innovations technologiques utilisées dans la construction de bâtiments verts existent déjà. Leur application généralisée, en introduisant des standards raisonnablement élevés dans la construction et la rénovation de bâtiments, pourrait marquer une différence significative dans la lutte contre le changement climatique à l’échelle mondiale.
Si les investissements dans l’efficacité énergétique des bâtiments n’ont jamais été aussi élevés, un rapport de situation de la COP27 indique toutefois que l’augmentation des émissions de CO2 engendrées par les nouvelles constructions surpasse l’efficacité énergétique des bâtiments. Si construire des bâtiments plus écologiques n’est pas suffisant, la construction verte montre que les villes peuvent se trouver à l’avant-garde de profonds changements.
Pour autant, la recherche globale de solutions techniques ne rend pas compte d’un élément essentiel dans l’action menée par les villes en faveur du climat : toutes n’ont pas adhéré d’emblée à ce mouvement en direction de constructions plus vertes, et certaines demeurent à la traîne. Les municipalités de plus petite taille, plus pauvres et dirigées de manière plus conservatrice sont moins susceptibles de prendre des mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique.
Mes recherches suggèrent que cette situation n’est pas seulement liée à des raisons politiques ou à un manque de moyens financiers, mais aussi à l’absence d’une société civile dynamique.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue American Journal of Sociology, j’ai analysé le recours au LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) – une certification développée par le US Green Building Council qui promeut la haute qualité environnementale des bâtiments – dans plus de 10 000 villes et villages aux États-Unis.
Dans ce cadre, j’ai répertorié les villes qui se sont tournées les premières vers la construction verte. Puis j’ai inventorié le nombre de bâtiments d’une ville faisant partie des quelque 60 000 à avoir reçu la certification LEED, 15 ans après être devenue un standard disponible dans le domaine du bâtiment.
Je montre que les villes qui témoignent d’une présence plus importante d’organisations à but non lucratif et d’une volonté à prendre des risques pour s’engager dans une mission sociale ont emprunté plus tôt le virage vers la construction verte. Les villes qui jouissent d’un secteur associatif plus vigoureux comptent également un nombre plus élevé de bâtiments efficaces sur le plan énergétique.
Washington DC, par exemple, fait partie des villes leaders aux États-Unis en termes de construction verte et bénéficie d’un riche réseau d’organisations à but non lucratif. Un des planificateurs urbains de cette ville m’a dit en 2017 que « le nombre de bâtiments LEED représente un critère de référence important de l’impact du secteur du bâtiment sur le climat ».
Pourquoi ce lien si étroit ? Dans des villes comme Chicago, Cincinnati et San Francisco, ce sont les musées, les laboratoires et les fondations qui, au début des années 2000, ont ouvert la voie aux premiers bâtiments verts. Les immeubles de bureaux, les résidences d’habitation et les commerces leur ont emboîté le pas lorsqu’il est apparu évident que les bâtiments possédant une bonne efficacité énergétique permettaient à la fois de réaliser des économies et de bénéficier d’une reconnaissance nationale. Le lien manifeste entre organisations à but non lucratif et construction verte demeure, même lorsque l’on prend en compte les mesures de réglementation municipales qui relèvent les standards environnementaux.
Cela ne signifie pas que les maires peuvent se contenter de déléguer les initiatives pour le climat aux communautés locales. La législation locale crée une réelle différence. D’après mes analyses, environ 10 à 18 bâtiments écologiques supplémentaires sont construits chaque année après que la mairie a adopté une mesure d’incitation ou d’obligation d’obtention d’une certification verte pour les nouveaux bâtiments.
Le législateur adopte surtout de telles mesures dans des villes qui possèdent déjà une forte proportion de bâtiments écologiques, construits par des promoteurs passionnés de durabilité. Les États peuvent alors s’inspirer des réglementations locales réussies en matière de construction verte et placer la barre plus haut pour les municipalités et les promoteurs.
En conclusion, ces résultats suggèrent que les initiatives en faveur de la construction écologique ne sont pas issues des politiques nationales et internationales, ni même des politiques proactives développées par les maires.
La solution provient des organisations à but non lucratif qui attestent concrètement de la validité d’un concept, des organismes spécialisés engagés (tels que le World Green Building Council ou encore le Urban Sustainability Directors Network), qui élaborent et diffusent des protocoles d’action, ainsi que des administrations des villes qui rendent les meilleures pratiques visibles – voire obligatoires lorsqu’elles ont fait leurs preuves.
De nombreuses villes, de New York à Buenos Aires en passant par Copenhague, s’engagent sur la voie de la neutralité carbone. Si nous voulons atteindre cet objectif, nous devons faire en sorte que dans les villes du monde entier puisse s’épanouir une société civile qui aura la place d’expérimenter et de partager ses expériences.
Il est donc primordial de soutenir le tissu associatif et les communautés locales qui œuvrent pour lutter contre le dérèglement climatique, même lorsque les retours sur investissement ne sont pas immédiats. Cela veut dire fournir à ces structures les moyens financiers et les ressources qui leur permettront de prendre des risques.
Les solutions de « haut niveau », mobilisant de grandes ambitions, ne régleront pas le problème du changement climatique. Les événements tels que la COP demeurent un lieu essentiel pour que les administrations infranationales partagent leurs meilleures pratiques. Néanmoins, la majeure partie de l’action devra s’opérer aux interfaces entre les administrations locales et les organisations citoyennes.
La prochaine grande idée sur la manière dont nous parviendrons à enrayer le changement climatique ne viendra pas de Dubaï, qui accueillera la COP28 en 2023, mais de Lyon, Montréal, Nairobi, Grenoble ou Vienne. Pour que cela se concrétise, nos dirigeantes et dirigeants doivent s’inspirer d’expérimentations et d’innovations vues sur le terrain et s’employer à cultiver une société civile dynamique avec au moins autant de sérieux qu’elles et ils mènent les pourparlers entre États centrés sur leurs propres intérêts.
À propos de l’auteur : Christof Brandtner. Assistant professor in organisational and economic sociology, EM Lyon Business School.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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