Partager la publication "Réindustrialisons la France ingénieusement avec le “scale out”"
L’Europe au XIXe siècle, l’Amérique au XXe siècle, puis la Chine au cours des dernières décennies ont toutes connu une croissance économique exponentielle en faisant du “scale up“, c’est-à-dire en passant à l’échelle verticalement en centralisant les activités industrielles dans de grosses usines. Mais ce modèle de production de masse énergivore a épuisé les ressources naturelles et gravement endommagé notre environnement.
Lorsque la crise du Covid-19 a éclaté, les États-Unis et les pays européens ont été confrontés à de graves pénuries de produits essentiels comme les fournitures médicales, ayant massivement délocalisé leurs activités industrielles vers des pays à moindre coût, ils ont reconnu le besoin urgent de relocaliser et de ramener la fabrication dans leur pays d’origine.
Navi Radjou était l’invité spécial du numéro 41 de WE DEMAIN, intitulé “Vive la crise !”
En 2023 le gouvernement français veut accélérer la “réindustrialisation” en France pour renforcer la souveraineté nationale. Mais il ne suffit pas juste de remplacer une usine en Chine par une usine en France. Il faut aussi simplifier les chaînes logistiques hyperglobalisées et hyperpolluantes qui sont devenues très complexes à gérer et nuisent à la planète. À leur place, il faut construire de nouvelles chaînes de valeur « propres » et « sobres » localisées de bout en bout en France – qui seront plus simples à gérer et plus impactantes.
Au XXIe siècle, plutôt que de s’obstiner à faire du “scale up” (en construisant des “giga-factories“, des méga-usines), la France devrait faire du “scale out” (passer à l’échelle horizontalement) en construisant des micro-usines (des usines de taille modeste) hyper-agiles ancrées dans nos territoires.
Approvisionnées par des fournisseurs locaux et des Makers, ces micro-usines valoriseront les ressources locales au plus près des marchés. Réactives et flexibles, elles pourront fabriquer rapidement une grande variété de produits personnalisés à petite échelle et de façon durable. Ce serait l’antithèse du modèle industriel chinois de production standardisée à grande échelle et hyper-polluante.
Voici trois entreprises industrielles en France qui pratiquent le “scale out”, créant ainsi plus de valeur dans les territoires :
La France pourrait aussi créer des plateformes collaboratives comme Entrepairs, Laserhub, Fictiv, Tolery, Xometry, qui ambitionnent de devenir “l’Amazon de la fabrication à la demande”. Ces plateformes utilisent l’intelligence artificielle et l’Internet des objets pour mettre en relation de grosses entreprises industrielles avec des milliers d’ateliers d’usinage au sein d’une région, qui peuvent produire rapidement des pièces de qualité économiques et sur mesure.
Un tel modèle distribué de “fabrication à la demande” permet aux propriétaires de petites usines et ateliers dans les territoires en France de faire fonctionner leurs machines en permanence, maintenant ainsi les emplois même durant une crise économique (notons qu’Entrepairs et Tolery sont deux start-up françaises).
La production décentralisée en mode “scale out” soutenue par des micro-usines et des chaînes de valeur hyper-locales est vitale pour que la France réussisse le pari de l’autosuffisance alimentaire et énergétique dans ses grandes villes (comme Paris, qui ambitionne de devenir une “ville du quart d’heure“, et Dijon, qui va créer des quartiers autosuffisants en énergie, voire à énergie positive) et arrive à redynamiser l’économie locale dans ses territoires, qui sont gravement affectés par la crise.
À présent, étudions comment appliquer le “scale out” dans un domaine industriel de pointe : la production d’hydrogène.
La France mise beaucoup sur l’hydrogène pour décarboner massivement la mobilité et l’industrie. “En matière énergétique, je considère que sur l’hydrogène vert nous avons la capacité d’être le leader mondial. [Nous avons] les technologies, l’argent public, les industriels et la volonté commune : c’est un gage de succès et je suis sûr qu’en matière d’hydrogène vert, nous allons réussir”, a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.
Mais l’argent et la technologie ne suffiront pas à rendre la France compétitive dans le domaine de l’hydrogène. La France n’a pas les moyens de s’engager dans une course à la grandeur contre la Chine où Baofeng Energy a inauguré en 2021 la plus grande centrale photovoltaïque-hydrogène du monde, qui elle-même va être dépassée en 2023 en taille par une centrale encore plus énorme construite par Sinopec.
Au lieu de faire comme les Chinois du “scale up” en centralisant la production d’hydrogène dans quelques grosses usines, la France – et l’Europe – devrait pratiquer le “scale out” en décentralisant la production d’hydrogène dans plusieurs usines modestes qui créent de la valeur localement au plus près de la demande.
Voici les pionniers de la production décentralisée d’hydrogène dans nos territoires :
En réindustrialisant la France ingénieusement en mode “scale out”, nous pourrions produire durablement dans les territoires à plus petite échelle, créant ainsi une économie frugale qui génère plus de valeur localement avec moins de ressources.
Cet article est extrait de L’innovation jugaad : Redevenons ingénieux (édition augmentée) publié par Diateino en mars 2023.
SOUTENEZ WE DEMAIN, SOUTENEZ UNE RÉDACTION INDÉPENDANTE
Inscrivez-vous à notre newsletter hebdomadaire
et abonnez-vous à notre magazine.
Cofondateur de la marque de vêtements techniques Lagoped, Christophe Cordonnier défend l'adoption de l'Éco-Score dans…
Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…
Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…
À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…
Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…
Face aux pressions anthropiques croissantes, les écosystèmes côtiers subissent une contamination insidieuse par des éléments…