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Rifkin avait raison ! La voiture individuelle décline en France

Par Judith Roussel, auditrice spécialisée dans la mobilité pour le cabinet d’audit canadien WWS.

Le 19/03/2015 par WeDemain
Par Judith Roussel, auditrice spécialisée dans la mobilité pour le cabinet d'audit canadien WWS.
Par Judith Roussel, auditrice spécialisée dans la mobilité pour le cabinet d'audit canadien WWS.

Dès 2000, l’essayiste américain prédisait une économie où l’accès aux objets dépasserait leur propriété, notamment en matière de mobilité. Notre contributrice explique qu’aujourd’hui, en France, la réalité rattrape cette prophétie : la voiture individuelle ne cesse de perdre du terrain.​

“D’ici à 25 ans, l’idée même de propriété paraîtra singulièrement limitée, voire complètement démodée. (…) C’est de l’accès plus que de la propriété que dépendra désormais notre statut social. ” 

En 2000, dans son livre L’âge de l’accès : la révolution de la nouvelle économie, l’essayiste américain Jeremy Rifkin dépeignait un capitalisme branlant, depuis toujours centrée sur la notion de propriété, et qui allait, en quelques années seulement, se transformer complètement. Une thèse qu’il confirmait en 2014 dans La Nouvelle Société du coût marginal zéro, ouvrage dans lequel il affirme que “le capitalisme va laisser place à une économie de l’échange et du partage”

PROPRIETÉ VERSUS MOBILITÉ PARTAGÉE

Quinze ans après les premières prédictions de Rifkin, ces dernières se réalisent sous nos yeux : l’économie collaborative ne cesse de progresser et la propriété s’étiole dans de nombreux secteurs de l’économie. Cela est particulièrement vrai en France dans le domaine de la mobilité.
 
Certes, la voiture reste le moyen de transport privilégié des Français. Mais le rythme de croissance du parc automobile, après une stagnation d’une dizaine d’années, ralentit nettement.

Particulièrement en milieu urbain. La présence des voitures individuelle diminue fortement en centre-ville, au profit des transports en commun certes, mais également de pratiques alternatives. Ce changement de comportement s’explique par différents facteurs, autant économiques que sociétaux. S’il met un terme à l’hégémonie des véhicules particuliers, il ouvre surtout la voie à une multitude de nouveaux marchés gravitant autour du concept de mobilité partagée.

Parmi ces derniers, figure en bonne place l’autopartage, qui permet de louer ponctuellement une voiture, la plupart du temps mise à disposition en libre-service par les villes. Si cette formule existe depuis les années 1970, elle se développe réellement depuis quelques années (avec des sociétés comme Autolib’ ou Citiz).
 
Selon une étude du cabinet d’analyses sectorielles Xerfi, entre 2005 et 2012, le nombre de sociétés d’autopartage publiques a été multiplié par quatre en France. Vingt-trois villes proposent aujourd’hui ce type de service. Les services de location de voitures entre particuliers se multiplient également. 

DES MONOPOLES MENACÉS

Le marché du transport à la demande est, lui aussi, en plein essor. Les sociétés de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) se sont multipliées en l’espace de quelques années. Elles représentent pour beaucoup le symbole du renouveau de la voiture en ville et profitent clairement de l’essor des nouvelles technologies, à l’image d’Uber. Et ce malgré de vifs conflits avec les taxis, qui voient leur monopole menacé par un service 20 à 30 % moins cher.
 
Les Français sont également de plus nombreux à user du covoiturage, qui se démocratise et s’industrialise, sous l’impulsion de Blablacar. À l’origine destinée aux longues distances, cette pratique s’étend désormais à de plus en plus petits trajets, en ville principalement. C’est le covoiturage urbain instantané.

Collaboratif par essence, ce service permet à ses utilisateurs de partager le coût de tout ou d’une partie d’un trajet, la plupart du temps pour aller au travail ou rentrer d’une soirée. Alors que la demande est de plus en plus forte, les prix sont stables et restent deux à trois fois moins élevés que ceux des taxis.
 
Mais surtout, le discours des Français sur la mobilité change. Selon une étude réalisée par TNS Sofres pour le Groupe Chronos, pour 51 % d’entre eux, la majorité des déplacements en 2030 se fera en véhicules partagés. 

DE NOUVEAUX VECTEURS DE LIBERTÉ

La possession d’une voiture, contrairement à il y a quelques années, n’est plus vue comme un vecteur de liberté. L’indépendance dépend désormais davantage de l’accès aux nouvelles technologies (smartphones, ordinateurs portables…) que de l’acquisition d’un véhicule particulier. L’Observatoire Cetelem révélait en 2013 que 45 % des Français perçoivent désormais la voiture comme une source de dépense, de pollution et un moyen de déplacement « parmi d’autres ».
 
La cause la plus évidente de ce changement de mentalité est avant tout économique. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le pouvoir d’achat annuel des ménages aurait diminué entre 2008 et 2015, de 1 630 euros par ménage.

Dans le même temps, le coût de l’utilisation d’une voiture individuelle ne diminue pas d’un pouce, s’approchant de 3 000 euros par an. Les frais sont nombreux, trop nombreux pour les Français qui préfèrent aujourd’hui prendre leur destin et leur porte-monnaie en main.

La surconcentration des voitures dans les villes et les enjeux environnementaux rendent la mobilité partagée nécessaire et irréversible. Une évidence que Jeremy Rifkin avait couchée noir sur blanc, alors même qu’Internet n’en était qu’à ses prémices.

Judith Roussel est auditrice spécialisée dans la mobilité pour l’entreprise d’audit canadienne WWS.

Contact : judith.roussel@outlook.com 

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