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Russie : la guerre en Ukraine met à mal les politiques climatiques

Alors que l’Union européenne vient de conclure un accord sur l’embargo du pétrole russe, l’impact des sanctions liées à la guerre en Ukraine sur la transition énergétique de l’Europe et sur les efforts de décarbonation du monde est intensément discuté. Mais les sanctions ont également de fortes implications pour la transition écologique de la Russie, déjà lente et plutôt incertaine. Qu’il s’agisse de la modernisation de son secteur énergétique ou de la science du climat.

Ce que la Russie fait ou ne fait pas a une importance certaine pour le reste d’entre nous. La onzième économie mondiale est également le quatrième plus grand émetteur de gaz à effet de serre (GES). C’est aussi le deuxième plus grand exportateur de pétrole brut et le plus grand exportateur de gaz. L’économie russe est fortement tributaire de l’exploitation des industries à forte intensité énergétique et des énergies fossiles. Le pétrole et le gaz représentent à eux seuls 35-40 % des recettes du budget fédéral ces dernières années. Les hydrocarbures alimentent la richesse et le pouvoir de l’élite russe. Mais sont également présentés comme une source de sécurité énergétique et de bien-être pour les citoyens russes.

La décarbonation de la Russie en danger

Jusqu’à récemment, la Russie a longtemps été considérée comme un pays dont la position dans les négociations internationales sur le climat est peu reluisante. Au mieux, elle est un acteur passif, au pire un saboteur actif des ambitions internationales. Toutefois, les choses ont changé ces dernières années, notamment à partir de novembre 2021. A cette date, le gouvernement a adopté une loi-cadre sur le climat avec un objectif de zéro émission nette d’ici 2060. L’année 2021 seule a vu l’introduction d’un système de déclaration des émissions de GES pour les grands émetteurs. Mais aussi l’adoption de son premier plan national d’adaptation au climat. Et le lancement d’une expérience d’échange de carbone dans sa région éloignée d’Extrême-Orient visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2025.

Pourtant, il est indéniable que la crise économique, les sanctions et le renforcement de la rhétorique anti-occidentale engendrée par la guerre ont rendu plus difficile la poursuite les objectifs de décarbonation. Les politiciens et les lobbyistes qui s’étaient déjà opposés aux efforts climatiques ont saisi l’occasion. Et ont demandé le retrait de l’accord de Paris.

Un prétexte pour mettre à mal la réglementation environnementale

De nombreuses entreprises profitent de la situation pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il réduise la réglementation environnementale. Le but est de les aider ainsi à faire face à des circonstances économiques plus difficiles. Des projets de loi récents allant déjà dans ce sens. Plus précisément, le gouvernement s’est récemment entretenu auprès des entreprises du secteur de l’énergie sur la possibilité d’assouplir la déclaration et la vérification des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, un des fournisseurs majeurs de pétrole du pays, Lukoil, a fait pression sur le gouvernement dans ce sens. Il a demandé à ce que l’État supprime une législation obligeant les grandes entreprises énergétiques à vérifier leurs rapports sur les émissions de gaz à effet de serre auprès d’une société indépendante à partir du 1er janvier 2023.

Les restrictions sur l’importation de technologies, la diminution des sources de capitaux étrangers et le gel des programmes internationaux ont encore freiné les plans de modernisation des vieilles industries du pays. Le jeune secteur russe des énergies renouvelables a également été touché. Certains investisseurs internationaux (dont Vestas, Fortum et ENEL) interrompent leurs projets en Russie ou se retirent même complètement du pays.

Cette situation a incité les politiciens, les hommes d’affaires et les scientifiques à discuter des alternatives aux technologies étrangères. Et des options nationales pour financer la transition énergétique.

Un avenir sombre pour la science du climat en Russie

En outre, les sanctions ont fait payer un lourd tribut à la science du climat en Russie. Ce qui pose problème tant à ceux qui mettent en œuvre des mesures concrètes de décarbonation en Russie qu’à la communauté scientifique mondiale. Cette situation est particulièrement choquante par rapport à d’autres exemples dans l’histoire de la Russie où les scientifiques ont réussi à surmonter les tensions politiques avec l’Occident. Malgré la guerre froide, les climatologues sont parvenus à faire progresser la science du climat mondiale. Cela s’est fait dans le cadre de l’accord environnemental conclu en 1972 entre les États-Unis et l’URSS. Un accord permettant l’échange de données, d’équipements et de publications conjointes.

En revanche, les gouvernements et les organismes scientifiques du monde entier ont désormais sanctionné les institutions de recherche russes. Entre-temps, l’UE a suspendu la participation de la Russie à son programme de recherche phare Horizon Europe. Et les conseils nationaux de recherche de plusieurs États européens ont mis en pause les collaborations avec la Russie.

Un blocus de l’Europe sur la recherche scientifique

Les domaines de recherche qui dépendent des équipements étrangers sont particulièrement touchés. Par exemple, l’Institut Max Planck (MPI) en Allemagne a reçu une liste de 64 pages. Celle-ci énumérait les appareils électroniques que l’UE interdit aux scientifiques de partager avec leurs collègues russes. Le motif ? Ils pourraient être utilisés à des fins militaires. Début février, le gouvernement russe a annoncé (au moment de la rédaction de cet article, environ 92 millions de dollars) dans la recherche sur le climat et la décarbonation, et créer un système russe de suivi des émissions de carbone.

Cependant, Alexandre Tchernokoulski, un climatologue de l’Institut de physique atmosphérique à l’Académie des Sciences russe, nous a dit que le futur du projet demeure incertain en l’absence de cet équipement étranger. De la même manière, depuis plusieurs années, des scientifiques russes et allemands mesurent les changements de concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis l’observatoire ZOTTO, situé dans une grande tour de la région de Krasnoïarsk, dans le sud-ouest de la Sibérie.

Cette région est considérée comme un endroit sensible en vertu de son potentiel de stockage – et par conséquent, fuite – de grandes quantités de carbone. Là encore, lors d’un échange d’e-mails, la scientifique du MPI Sönke Zaehle a mis en garde quant au futur de la station dans un avenir relativement proche. La raison est le manque d’entretien du côté germanique.

Accentuer la recherche dans la zone arctique

La recherche dans la zone arctique est cruciale afin de comprendre le changement climatique. Ici aussi, au moins une douzaine de collaborations internationales avec la Russie ont été retardées. La maintenance des systèmes de mesure à long terme, cruciaux pour la modélisation des changements climatiques, pose des problèmes particuliers. “Il y a cette crainte d’un angle mort, quel que soit le sujet de recherche dans l’Arctique que vous abordez”, nous a confié Anne Morgenstern, coordinatrice de la coopération scientifique de l’Institut allemand Alfred Wegener avec la Russie.

Les climatologues russes ont également perdu l’accès au Climate Data Store. Ce dernier fournit un point d’accès unique à un large éventail de données climatiques pour les climats passés, présents et futurs. Notamment des observations par satellite, des mesures in situ, des projections de modèles climatiques et des prévisions saisonnières. Ils ne peuvent plus non plus accéder aux superordinateurs basés dans d’autres pays. Et le départ d’entreprises technologiques telles que Intel entraînera à terme une détérioration des capacités de calcul en général, selon Evguéni Volodine, modélisateur climatique à l’Institut de mathématiques computationnelles de l’Académie des Sciences de Russie.

L’environnement mis de côté le temps de la guerre

Les préoccupations environnementales risquent d’être mises de côté en temps de guerre. Cependant, à un moment de l’histoire du monde où les possibilités d’atténuer la catastrophe climatique s’amenuisent, nous pensons que subordonner les questions climatiques aux diktats et aux temporalités de la guerre n’est pas une option. Les tentatives d’arrêter la guerre doivent s’accompagner d’efforts pour faire avancer la coopération et l’action climatique transnationale. Et ce, malgré les dommages et les dilemmes causés par la guerre de la Russie.

Des objectifs climatiques internationaux ambitieux, y compris l’élimination progressive de la production de pétrole et de gaz aussi rapidement que possible, sont essentiels pour accroître la pression sur l’industrie des combustibles fossiles et la machine de guerre. Et pour soutenir les forces qui, en Russie, s’accrochent encore à la décarbonation.

Cet article a été écrit en collaboration avec Angelina Davydova, journaliste spécialisée dans l’environnement et le climat. Elle est actuellement membre du programme Media in Cooperation and Transition (MICT) basé à Berlin. Et coordinatrice de N-ost, un réseau de journalisme transfrontalier.

À propos des auteurs :
Katja Doose.
Senior researcher, University of Fribourg.
Alexander Vorbrugg. Geographer, Université de Berne.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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