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Sécheresse dans les Alpes : les glaciers, des bombes à retardement ?

Les refuges de Tête Rousse et du Goûter, qui jalonnent la voie classique de la montée au Mont-Blanc, sont fermés. Les guides de haute montagne refusent pour la plupart d’y accompagner des clients en raison de l’extrême danger du couloir du Goûter. Surnommé le “couloir de la mort”, des chutes de pierres incessantes rendent sa traversée suicidaire. D’impressionnantes crevasses se sont également formées sur les glaciers et aux abords du plus haut sommet des Alpes.

Ironiquement, Jean-Marc Peillex, le maire de Saint-Gervais-les-Bains, commune à laquelle est administrativement rattachée le Mont-Blanc, a proposé d’imposer une caution de 15 000 euros à toute personne souhaitant faire le sommet malgré tout. “10 000 pour les secours, 5 000 pour les obsèques.”

L’exemple du glacier de la Marmolada en Italie

Le Mont-Blanc n’est qu’un exemple. C’est l’ensemble des Alpes qui souffre de l’extrême chaleur et de la sécheresse cet été. Comme un avant-goût de ce qui nous attend ces prochaines années. Et cela ne concerne pas que la France, en Suisse et en Italie aussi, la situation est catastrophique. L’effondrement d’une partie du glacier de la Marmolada, le plus grand glacier des Dolomites en est la preuve. Alors même qu’il n’était pas classé “à risque”.

Ce triste événement a eu lieu le 3 juillet dernier, au lendemain d’un record de chaleur au sommet du glacier. La chute d’un sérac a été suivie d’une avalanche de glace et de roches. Une catastrophe naturelle qui a causé la mort de onze personnes et fait huit blessés.

Longtemps fierté des Alpes françaises, la Mer de Glace, située au-dessus de Chamonix, a perdu de sa superbe. D’une superficie de 31 km2 (équivalent de la ville de Lille), d’une épaisseur de 300-400 mètres et d’une longueur de 7 km, c’est le plus grand glacier français. Mais il perd 30 mètres de longueur par an depuis 2003 et 3 à 4 mètres d’épaisseur par an. Crédit : Florence Santrot.

Des glaciers sous haute surveillance dans les Alpes suisses

D’avis de glaciologues, les glaciers des Alpes pourraient connaître leur plus forte perte de masse depuis au moins 60 ans. C’est-à-dire depuis que des données sont recueillies dans le massif montagneux. Et le problème est que, année après année, le phénomène s’intensifie. En cinq ans, le Glacier Blanc, dans le massif des Écrins, a perdu 40 hectares. Côté suisse aussi, l’inquiétude est de mise, notamment en Valais. Depuis 2016, ce sont pas moins de 78 glaciers qui ont été placés sous surveillance élevée parmi les 620 que compte ce canton du sud. Parmi eux, sept sont jugés à haut risque. Dont celui du Weisshorn, plus haute montagne du Valais, qui culmine à 4506m.

Pour observer l’évolution des glaciers, on fait appel à la surveillance humaine, notamment avec l’aide des guides de montagne. Mais aussi à des radars interférométriques sont placés à différents points stratégiques. Ces capteurs mesurent les déplacements, mêmes infimes. Ils permettent donc de suivre à quelle vitesse un glacier se déplace. Cela peut permettre de prévenir des catastrophes naturelles comme la débâcle du Gietro en 1818.

La débâcle du Gietro, un drame resté dans les mémoires en Valais

“Le glacier du Gietro, qui culmine à quelque 3800 m d’altitude, se situe en amont du val de Bagnes, explique à WE DEMAIN Hilaire Dumoulin, 84 ans, photographe passionné qui a documenté depuis plus de 60 ans le recul des glaciers. Quelques années auparavant, en raison de conditions météorologiques très mauvaises, de la glace s’était accumulée pour former un cône glaciaire derrière lequel un lac avait peu à peu vu le jour. Au fur et à mesure de l’accumulation, la pression de l’eau est devenue de plus en plus inquiétante.” Le lac était long de 3,5 km et profond de 60 mètres. Au plus haut, son volume finira par dépasser les 30 millions de mètres cubes d’eau.

Il continue :“Les autorités ont dépêché un ingénieur pour trouver une solution à l’été 1818. Il a fait creuser un tunnel pour vidanger progressivement le lac. Mais le cône glaciaire s’est brisé alors que seulement un tiers de l’eau avait été drainé. Résultat : une crue, chargée de glace, de boue, de pierres et de bois. Elle a ravagé tout le val de Bagnes jusqu’à Martigny (tout en bas de la vallée, qui mesure 35 km, NDLR). Des dizaines de personnes sont mortes et de nombreux bâtiments ont été ravagés.” C’est quelque 20 millions de mètres cubes qui sont partis en débâcle dans la vallée.

Depuis la débâcle du Gietro, le barrage de Mauvoisin a été érigé à l’emplacement du cône glaciaire. Situé au fond du val de Bagnes, à une altitude de 1 975 mètres, il s’étend sur 4,9 km. Sa superficie est de 2,08 km2 et sa profondeur est supérieure à 200 mètres. Crédit : Florence Santrot

Une vitesse de fonte des glaciers inédite

Si les circonstances en 2022 sont bien différentes – de la sécheresse et de fortes températures au lieu d’une “petite ère glaciaire” –, de nouveaux risques sont apparus. Comme en atteste le drame du glacier de la Marmolada. C’est pour cela qu’il existe un Réseau suisse de mesure des glaciers (Glamos) qui surveille en permanence l’évolution des glaciers. Notamment ceux jugés les plus instables. “Ce n’est pas tant le fait que les glaciers reculent qui nous inquiètent, nous explique Raphaël Corthay, guide de montagne et ingénieur au service des dangers naturels à l’Etat du Valais. C’est la vitesse à laquelle ils reculent. C’est du jamais vu.”

En effet depuis 2010, la récurrence des années extrêmes en termes de perte de masse des glaciers suisses n’a cessé de s’accélérer. On peut citer 2011, 2015, 2017, 2018 et 2019 comme des années record. “On perd 20 cm d’épaisseur par jour sur les glaciers actuellement”, affirme Hilaire Dumoulin. Certains glaciers de petite taille ont même déjà disparu. C’est le cas du Pizol, situé à l’Est de la Suisse, à 2 700 mètres de hauteur. N’en subsiste plus qu’une portion congrue. Seulement deux capteurs restent encore placés sur ce glacier pour le surveiller et il faudra bientôt les enlever…

“D’ici 2100 il ne restera pas grand-chose des glaciers alpins”

Même en 2021, malgré d’abondantes chutes de neige l’hiver et un été plutôt frais, les glaciers n’ont pas cessé leur inexorable récession. On estime qu’ils ont en moyenne rétréci de 1 à 2 % cette année-là. Et 2022 devrait, hélas, afficher un chiffre record en la matière avec les nombreuses vagues de chaleur, la sécheresse actuelle et le faible taux d’enneigement en Suisse cet hiver. Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble et co-auteur du 6e rapport du Giec, estime que d’ici 2100 il ne restera pas grand-chose des glaciers alpins, a-t-il déclaré sur RFI. Selon le GIEC, au rythme où vont nos émissions de gaz à effet de serre, au moins 80 % des glaciers des Alpes pourraient disparaître.

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