Partager la publication "“Si Biden est élu, on peut espérer beaucoup pour le climat”"
Le réchauffement climatique un “simple canular”, “ça finira par se refroidir”, “je ne pense pas que la science sache vraiment” … Donald Trump n’a jamais caché son climato-scepticisme. Le président américain a d’ailleurs signé le retrait de l’Accord de Paris et annulé bon nombre de lois de protection de l’environnement.
Quelles seraient les conséquences de sa réélection pour le climat ? En face, Joe Biden a-t-il les moyens de redresser la barre ? Le point avec David Levaï, chercheur associé à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et chercheur invité à la fondation des Nations Unies.
- WE DEMAIN : Au-delà de son climato-scepticisme affiché, quel est le bilan de Trump en matière climatique ?
David Levaï : Dévastateur. L’administration Trump a toujours considéré que l’environnement est une question subalterne, dominée par la compétition avec la Chine et les nécessités du marché interne. Elle s’est donc évertuée à détricoter l’ensemble du corpus réglementaire existant, jusqu’à limiter les prérogatives de la puissante agence qui s’occupe de l’environnement. Il n’y a rien à sauver dans le bilan Trump sur l’environnement.
- Dans quelle mesure sa politique fédérale a-t-elle été compensée malgré tout par celle d’Etats et d’entreprises volontaristes ?
Lors de la signature de l’accord de Paris, les États-Unis s’étaient engagés à baisser leurs émissions de 26 à 28 % d’ici 2025. On est autour de 20 %. Cette baisse est d’abord la suite d’une transition vers le gaz naturel, au détriment du pétrole et du charbon. Mais surtout, en effet, à la mobilisation d’États volontaristes – New York, la Californie, Washington – galvanisés par le retrait de l’accord de Paris, qui ont formé la US Climate Alliance pour continuer à mettre en œuvre les engagements pris. Aujourd’hui, cette alliance regroupe la moitié de la population et 55 % du PIB : une partie substantielle de l’économie américaine. Cette résistante a permis de limiter la casse, mais il faut maintenant faire des efforts supplémentaires pour compenser les années Trump et freiner davantage le réchauffement.
- Plus largement, quelles ont été les conséquences des années Trump sur la diplomatie climat ? La Chine, le Japon et l’UE semblent avoir avancé malgré tout…
On a d’abord eu très peur. Finalement aucun autre pays n’a osé quitté l’accord de Paris. L’UE n’a jamais cessé d’avancer pour répondre à la demande de sa population et de son marché. Le Japon vient d’annoncer la neutralité carbone pour 2050. Mais ne soyons pas dupes, sans le poing américain pour taper sur la table, les États les plus sceptiques, ceux du Golfe ou la Russie notamment, dont les économies sont les plus fondées sur les énergies fossiles, se sont sentis libres de ne pas reconnaître le consensus scientifique, de faire trainer les négociations. Ils ont pu avoir une politique d’exploration des énergies fossiles plus agressive.
Le retour des États-Unis dans les négociations serait donc bénéfique, cela permettrait aussi de rétablir une émulation constructive avec la Chine, qui a une position un peu ambigüe. Le pays est à la fois très volontariste sur les énergies renouvelables tout en restant l’un des principaux investisseurs dans les infrastructures hautement carbonées.
- Si Trump est réélu, que risque-t-il de se passer ?
L’enjeu est assez simple et crucial : si c’est Trump, il ne se passera rien. Même si on essaye d’avancer via d’autres prismes, que ce soit sur les dommages des événements climatiques extrêmes ou les transports, aucune de ces dimensions n’a jamais intéressé l’administration Trump. Il n’y a pas de raison que cela change. Or l’Amérique pèse quand même beaucoup dans les émissions mondiales et a un rôle moteur à jouer dans la dynamique multilatérale.
- En face, Joe Biden sera-t-il capable de reprendre le leadership climatique ?
Oui, s’il est élu, on peut espérer beaucoup. Son programme est même plus ambitieux que ceux des précédents candidats démocrates, que ce soit Obama ou Hillary Clinton. Il a promis d’importants financements pour créer des infrastructures durables, d’atteindre la neutralité électrique en 2035, la neutralité carbone en 2050… Et ce n’est pas un plan élaboré sur un coin de table. Il se base sur des travaux sérieux de l’administration Obama, sur l’expérience concrète des États de la Climate Alliance. Il a aussi été musclé par la primaire démocrate : la compétition a obligé Biden a intégrer des mesures plus progressistes dans son programme, par exemple celles d’Alexandria Ocasio-Cortez ou de Bernie Sanders.
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- Mais aura-il les moyens d’appliquer ses promesses, notamment sans majorité au Congrès ?
Vous posez la bonne question. Il lui faut aussi reprendre le Congrès, le Sénat en particulier. C’est la polarisation extrême de la politique qui a empêché Obama d’avancer sur les questions environnementales. Avec un Sénat qui lui était opposé, il a dû se résigner à travailler par décrets, sur lesquels il est facile de revenir pour l’administration suivante. Il faut que Biden puisse compter sur un Congrès qui vote des lois solides.
- Dans quelle mesure ces questions climatiques peuvent peser dans la présidentielle et l’élection des futurs représentants ?
Sans être centrales, les questions écologiques ont été présentes dans tous les débats présidentiels, alors qu’elles étaient absentes historiquement. C’est aussi un sujet de politique locale, avec une multitude d’événements climatiques extrêmes. Quand on ne parle pas des feux de forêt, on parle des ouragans ou d’inondations… Les médias restent prudents car le sujet divise, mais la préoccupation monte dans la population. Un récent sondage montrait que l’électorat était prêt à ce que l’Etat fédéral régule davantage sur la question climatique, alors que les représentants actuels sont plus sceptiques. Donc oui cela pourrait jouer dans les votes à venir, les représentants peuvent aller chercher le vote des plus jeunes, plus sensibles à ces questions. On est en plein dans la recomposition…
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