Partager la publication "Take Eat Easy, Uber & co : nouvelles technologies, vieilles organisations ?"
Heurs et malheurs de l’entreprise pyramidale
Dans l’entreprise managériale, le travail “vivant” se réduit de plus en plus à quelques objectivations financières, à une poignée d’indicateurs de performance qu’il s’agit de surveiller et d’optimiser. Le travail “vivant”, difficilement perçu depuis le cockpit financier du manager, fait désormais l’objet de prescriptions de plus en plus lourdes mais qui, du fait de la distance avec les réalités du terrain, se montrent contradictoires et inapplicables.
Au final, le travail dans l’entreprise managériale se trouve contraint par de nombreuses procédures sur ce qu’est la bonne manière de travailler (les “best practices”), réduisant le pouvoir d’organisation des opérationnels, tout en se montrant difficilement applicables… Et donc nécessitant au contraire de fortes marges de manoeuvre. Une situation qui rend fou, et que les plateformes numériques se proposaient de challenger !
Libérer le travail par la technologie ?
En stimulant les mécanismes du marché, Uber aurait acté l’obsolescence de la firme ! Avec l’avènement des plateformes numériques, les entreprises pyramidales se trouvaient défaites de leur monopole d’organisation du travail. Loin des contraintes du management, les travailleurs des plateformes se trouveraient ainsi libres de maîtriser le sens et les processus de leur travail.
Travailler quand on le souhaite comme on le souhaite, telle semblait être la promesse des plateformes comme Uber. Les algorithmes ? Heureusement semblables à la “main invisible” chère à Adam Smith, les algorithmes ne modifieraient pas les mécanismes du marché mais, au contraire, leur donneraient libre cours et seraient plus efficaces que le raisonnement humain dans la coordination des activités productives.
Uber en veut pour preuve le mécanisme de “zones de majoration tarifaire” : le juste prix d’une transaction émergerait sans biais, selon le niveau de l’offre et de la demande à un instant T. De même, la métaphore de la “plateforme” transforme l’acteur politique et entreprise socialement responsable Uber en une machine technologique neutre.
De la “tech company” à l’entreprise de services
Reprenons l’exemple d’Uber : les chauffeurs subissent un mécanisme d’acceptation à l’aveugle des courses, en ayant seulement 15 secondes pour accepter ou rejeter une demande, sans que ne soit montré à l’écran la destination du passager ou la tarification de la course. Or, pour être éligibles à une tarification minimum, les chauffeurs doivent obéir à des prescriptions davantage strictes : accepter 90% des demandes de course, compléter au moins une course par heure, être en ligne au moins 50 minutes par heure, obtenir de bonnes notes de satisfaction, etc.
Des indicateurs de performance ré-apparaissent, contrôlés à distance par des responsables des plateformes. Nouvelles technologies, même management désincarné ? Plutôt qu’une concurrence sur les prix pour trouver des clients, les travailleurs des plateformes sont mis en rivalité entre eux pour pouvoir continuer à utiliser l’application. L’entreprise pénalise ceux qui ont les moins bonnes statistiques : qu’il s’agisse d’une désactivation du compte sur Uber, ou de difficultés à obtenir des créneaux de livraison sur Deliveroo. De quoi limiter l’autonomie de leurs “partenaires” ?
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