Partager la publication "Thomas Breuzard (Norsys) : “La nature devient notre actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration”"
Voilà une stratégie inédite adoptée par Norsys. La semaine dernière, l’entreprise de conseil en assistance à maîtrise d’ouvrage et d’ingénierie informatique a annoncé trois changements majeurs visant à intégrer la nature au cœur de sa gouvernance. Cette ETI, qui emploie 750 personnes et compte 150 clients, tient à démontrer que prendre soin du vivant est possible, y compris pour une entreprise qui en est, en théorie, éloignée. Ces initiatives s’inscrivent dans la volonté de créer une véritable économie régénérative, où les décisions stratégiques ne se prennent plus sans considérer les enjeux de biodiversité et de préservation du climat.
Après avoir développé le concept de permaentreprise avec son père, Thomas Breuzard, directeur de Norsys, détaille pour WE DEMAIN les trois nouveaux dispositifs mis en place : la nature comme actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration, la création d’un Haut Conseil pour la nature, et la mise en place d’un Comité Social et Environnemental (CSE-E). Pour mieux comprendre les enjeux de ces mesures novatrices et la raison pour laquelle Norsys s’est engagée dans cette voie, nous avons échangé avec Thomas Breuzard, par ailleurs co-président de B Lab France, sur ces annonces.
La nature comme actionnaire : qu’est-ce que cela signifie concrètement pour Norsys ?
Thomas Breuzard : Cela signifie qu’une partie du capital de l’entreprise est désormais détenue par un fonds de dotation d’intérêt général, représenté par Frantz Gault. Ce fonds siège non seulement au conseil d’administration et dispose d’un droit de vote, voire d’un droit de veto sur certaines décisions stratégiques, comme la croissance externe. En clair, si une acquisition allait à l’encontre des principes de préservation de la biodiversité, ce fonds pourrait s’y opposer.
Autant, la marque de vêtement outdoor Patagonia ou encore la société britannique de cosmétiques et d’hygiène Faith In Nature ont déjà intégré un fonds pour la nature à leur Conseil d’administration, autant lui donner le droit de vote est une première. Nous espérons qu’en montrant que c’est possible, cela inspirera d’autres entreprises. Rappelons que la moitié du PIB mondial et 72 % des entreprises européennes dépendent directement de la nature.
Vous créez aussi un Haut Conseil pour la nature. Quelle sera sa mission ?
Le Haut Conseil pour la nature est une structure de gouvernance qui vise à donner une voix constante à la nature, au quotidien, même en dehors des réunions ponctuelles du conseil d’administration. Ce Haut Conseil inclura des experts externes (des scientifiques, des personnes engagées…) et des salariés formés pour représenter la nature dans tous les organes de gouvernance de l’entreprise. L’idée est de rendre cette présence plus régulière et, donc, de mieux ancrer les enjeux environnementaux dans la prise de décision quotidienne.
Mais nous faisons face à un véritable enjeu. Je tiens absolument à ce que les personnes externes qui vont accepter de nous rejoindre ne soient pas rémunérées. Pour moi, il est évident que, si on veut garantir une forme d’impartialité dans la représentation de la nature, si nous les payons, cela crée un biais. La question est de savoir si les personnes que nous avons en tête accepterons de nous suivre et de nous donner de leur temps…
En plus de cela, vous avez créé un Comité Social et Environnemental. Quelle est la différence avec un CSE classique ?
Nous souhaitons que les préoccupations environnementales fassent partie intégrante de la gouvernance de l’entreprise, au même titre que les questions sociales. C’est pourquoi nous avons élargi les prérogatives du Comité Social et Économique en ajoutant un volet environnemental, d’où le CSE-E. Les représentants du personnel seront également des contributeurs aux actions écologiques, et pourront faire valoir l’importance de ces sujets lors de chaque décision qui touche l’entreprise.
Pourquoi avoir choisi d’inclure la nature dans la gouvernance d’une entreprise numérique comme Norsys ?
C’est une question de valeurs personnelles et d’engagement à long terme. Mon père, qui a fondé Norsys, était président de Greenpeace France pendant 12 ans. Depuis toujours, nous souhaitons que Norsys soit une entreprise qui prenne ses responsabilités vis-à-vis du vivant. Au-delà des dirigeants actionnaires qui ont une forte sensibilité là-dessus, il y avait aussi cette envie de contribuer à quelque chose de plus grand et donc de prendre des décisions marquantes. Puis de les faire connaître pour que ça entraîne dans le sillage d’autres boîtes.
Le secteur du numérique est évidemment moins directement lié à la nature que d’autres industries. Pour autant, nous pensons justement qu’il est essentiel que chaque acteur économique prenne part à cette transition. Avec notre modèle de permaentreprise, nous essayons d’aller au-delà des simples gestes symboliques.
Comment les salariés ont-ils réagi à ces nouvelles orientations ?
L’adhésion est progressive, mais nous constatons une réelle évolution des mentalités. Nous ne recrutons pas en fonction d’une hypothétique sensibilité à l’écologie, au contraire l’idée est d’embarquer peu à peu tout un chacun. Nous avons mis en place des ateliers de formation pour que chaque employé comprenne les enjeux du modèle permaentreprise. Nous avons aussi mis à leur disposition des matrices d’aide à la décision pour essayer de faire en sorte que, quel que soit le sujet, un salarié puisse se référer aux trois principes éthiques indissociables du modèle permanent. Mais ce n’est pas simple car la moitié de nos employés sont à temps plein chez nos clients.
Mais nous savons quand même que l’impact de notre démarche va au-delà du cadre de l’entreprise, car de nombreux salariés nous disent que leur sensibilité écologique a également évolué dans leur vie personnelle. C’est cette cohérence que nous cherchons à construire. Et elle est aussi nécessaire auprès de nos clients. Dans ce domaine, il reste encore de gros progrès ou de gros leviers à activer. En mettant la nature au cœur de notre gouvernance et en communiquant sur le sujet, nous espérons provoquer un peu d’intérêt, voire de la curiosité, chez nos parties prenantes pour que cela infuse aussi chez eux.
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