Partager la publication "World Living Soils Forum 2024 : l’heure de prendre la mesure des sols vivants"
La deuxième édition du World Living Soils Forum (WLSF) s’est achevée après deux jours intenses de rencontres et d’échanges à Arles les 8 et 9 octobre 2024. Cet événement, désormais incontournable dans le monde de l’agriculture durable, a rassemblé plus de 500 participants sur place et une centaine de contributeurs supplémentaires en duplex depuis la Chine et les États-Unis. Scientifiques, politiques, dirigeants, startups, agriculteurs et agricultrices, acteurs publics et privés se sont retrouvés pour partager leurs réflexions et actions autour d’un objectif commun : la régénération des sols. Une nécessité : l’Union européenne considère que 60 à 70 % des terres ne sont plus considérées comme “saines” à cause des activités humaines.
Organisé avec l’ambition de transformer les pratiques agricoles et viticoles, le WLSF a permis de confronter idées, initiatives et solutions concrètes pour accélérer la transition vers des méthodes de production plus durables. À travers quelque 70 tables rondes, conférences, ateliers… et 164 intervenants de tous pays, les participants ont abordé la complexité des sols vivants, en soulignant leur rôle essentiel dans la biodiversité et la résilience climatique. “Nous n’avons pas toutes les solutions, mais nous souhaitons incarner le rôle de catalyseur auprès des parties prenantes pour aller vers un objectif commun de préservation et de régénération des sols”, a affirmé Philippe Schaus, CEO de Moët Hennessy, lors de son discours d’ouverture.
Abîmer les sols, c’est porter atteinte à notre survie
“La santé des sols, c’est notre santé”, a martelé Marc-André Selosse, mycologue et expert en la matière, lors de l’une des interventions les plus marquantes du forum. Il a souligné l’importance de comprendre que les sols ne sont pas seulement un support pour l’agriculture, mais qu’ils jouent un rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes, la préservation de la biodiversité, et même la qualité de l’air que nous respirons. “Les sols vivants sont un maillon crucial de notre santé à tous”, a-t-il rappelé.
Et d’ajouter : “Quand nous, humains, avons commencé à produire de la nourriture et à exploiter le paysage, nous n’avions aucune idée des règles, du fonctionnement du sol. Nous avons commencé à labourer, à fertiliser, à donner de l’air au sol, à arracher les mauvaises herbes et à utiliser certains herbicides. Or, cela tue la vie du sol exactement comme cela tue les plantes. Sauf que cela ne tue pas les bactéries. Celles-ci respirent alors davantage parce qu’elles ont davantage d’oxygène à disposition puis elles commencent à manger plus. Conséquence : une perte de matière organique de 50 % en Europe depuis les années 50. Et si on perd ça, cette espèce de ‘colle du sol’, ce dernier ne retient plus l’eau. Et on perd peu à peu notre sol. Dans la région méditerranéenne, si les sols sont si pauvres, c’est la conséquence de cinq millions d’années de labour.”
De plus en plus de maladies liées à des terres en mauvaise santé
Marc-André Selosse a aussi souligné que les engrais minéraux s’infiltrent dans les eaux douces puis dans les eaux littorales, favorisant la prolifération des algues, ce qui n’est pas bon pour la santé des populations environnantes. Même chose pour le cadmium, un contaminant du phosphore. “La moitié d’entre nous avons une surdose de cadmium dans le corps. La conséquence, c’est une hausse de 3 % des cas de cancer du pancréas par an en Europe. Et cela représente aussi 30 % des causes d’ostéoporose chez les femmes âgées”, souligne-t-il.
Enfin, il a évoqué notre utilisation des pesticides. “Le sol fait du bon travail en matière de pesticides, car nous estimons que 80 % des pesticides qui atteignent le sol finissent par disparaître. Mais 10 % restent dans le sol et se retrouvent ensuite dans vos aliments. Et 7 % se retrouvent dans l’eau douce, cette eau qui vient du sol et et que vous buvez. Enfin, il y a une petite partie des pesticides qui sont hydrophobes. Donc, quand il pleut, ils contaminent l’air. Nous réalisons maintenant que nous respirons des pesticides, dont certains sont interdits d’utilisation depuis plus de 20 ans mais étaient restés présents dans la terre. Et nous respirons cela quotidiennement. Donc ce World Living Soils Forum n’est pas tant un forum sur les sols qu’un forum sur la santé humaine.”
Un futur menacé : “Il nous reste 60 récoltes”, selon Louise Baker
Louise Baker, directrice du Global Mechanism à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, a lancé un avertissement sévère : “Il nous reste seulement 60 récoltes de qualité si nous ne changeons pas nos pratiques.” Cette phrase, reprise dans de nombreuses discussions, a agi comme un électrochoc pour rappeler que la dégradation des sols est un phénomène mondial qui menace directement notre capacité à produire de la nourriture.
Louise Baker a également insisté sur la nécessité d’un changement systémique, non seulement au niveau agricole, mais aussi au sein des politiques publiques. “Si nous voulons combattre le changement climatique, nous devons nous occuper des sols. Ils représentent 30 % des solutions pour la réduction du carbone et l’adaptation aux sécheresses et aux inondations”, a-t-elle précisé, appelant à intégrer la santé des sols dans les stratégies politiques et économiques mondiales.
“Les sols représentent 30 % des solutions pour la réduction du carbone et l’adaptation aux sécheresses et aux inondations.”
De la nécessité de créer des standards de mesure de la santé des sols
La régénération des sols est désormais reconnue comme un enjeu central pour l’avenir de l’agriculture et la lutte contre le changement climatique. Pourtant, un obstacle majeur persiste : l’absence de standards clairs pour mesurer la qualité des sols. Sans indicateurs précis, il est difficile de comparer les initiatives, d’évaluer leur efficacité ou d’assurer une gestion durable à long terme. Actuellement, les agriculteurs et les décideurs manquent d’outils communs pour suivre l’évolution de la santé des sols, ce qui rend complexe l’adoption généralisée des pratiques régénératrices.
“L’harmonisation des méthodes de mesure permettrait de donner une valeur tangible à la santé des sols, au même titre que l’eau ou l’air, et faciliterait le suivi de leur restauration”, explique Claire Chenu, directrice de recherche à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). L’instauration de ces standards est d’autant plus urgente que les sols, déjà fragilisés par des décennies de pratiques intensives, sont soumis à des pressions croissantes dues aux aléas climatiques.
19 indicateurs de la santé des sols
“Pour que cela fonctionne, il est nécessaire de faciliter le processus de mesures le plus possible. Et de s’entendre sur ce qu’on mesure et comment. Dans le projet de Directive européenne sur la surveillance des sols, il est question de 19 indicateurs différents, pour évaluer les paramètres physiques, chimiques et biologiques des sols”, détaille Kerstin Rosenow, directrice de la recherche et de l’innovation à la DG AGRI. Si certains de ces indicateurs font encore l’objet de discussions, les principaux indicateurs font l’objet d’un accord collégial.
Des critères comme la teneur en matière organique, la biodiversité microbienne ou la capacité de rétention d’eau des sols figurent parmi les indicateurs essentiels pour garantir la régénération des sols. Ces données pourraient ensuite être partagées entre les agriculteurs, les scientifiques et les décideurs, permettant de renforcer les politiques publiques et de guider les subventions vers des pratiques agricoles réellement durables.
Duplex avec les États-Unis et la Chine
Cette année, le WLSF a franchi une nouvelle étape en internationalisant ses débats et en dupliquant son forum dans deux pays majeurs, à savoir les États-Unis et la Chine. Ces derniers ont enrichi les échanges en croisant pratiques agricoles et défis culturels. Des ateliers pédagogiques ont également permis de sensibiliser sur les enjeux de la santé des sols, en misant sur une approche participative.
Le Forum s’est achevé avec un message clair : pour préserver nos sols, nous devons tous être les ambassadeurs d’une nouvelle agriculture, plus respectueuse et régénératrice. La route est encore longue, mais la mobilisation grandit.
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