Partager la publication "Yamina Saheb (GIEC) : “Contre le réchauffement climatique, il faut tout miser sur les jeunes”"
Yamina Saheb fait partie des scientifiques qui ont rédigé le dernier volet du 6e rapport du GIEC sur le réchauffement climatique. Chaque rapport (le premier ayant été publié en 1990) nécessite 5 à 6 ans de travail de la part des scientifiques. Pour ce troisième volet, dédié aux solutions, ce sont pas moins de 278 experts (29 % de femmes) qui ont contribué à sa rédaction de manière bénévole. Ces scientifiques étaient issus de 65 pays différents, dont 41 % de pays en voie de développement.
Docteure en ingénierie énergétique et économiste, Yamina Saheb est notamment une spécialiste des politiques énergétiques. A l’occasion du salon ChangeNOW, qui s’est tenu du 19 au 21 mai 2022, elle est intervenue sur différentes conférences thématiques en tant que coautrice de ce troisième volet du rapport du GIEC. L’occasion pour WE DEMAIN de lui poser quelques questions.
Yamina Saheb : Le premier volet sur la physique du climat était forcément très complexe à comprendre. Il s’adresse avant tout à la communauté scientifique. Le deuxième, qui concerne l’adaptation nécessaire de notre planète au réchauffement climatique, a permis de souligner le fait que cela concerne tout le monde, pas que les pays en voie de développement. Le troisième, celui auquel j’ai participé, est le plus politique mais aussi celui qui nous concerne tous directement. Il détaille les mesures à prendre au plus vite pour réduire le réchauffement climatique puis l’inverser pour tenter de retrouver des niveaux corrects.
Hélas, pour la France, ce volet du rapport du GIEC a été dévoilé entre les deux tours de l’élection présidentielle. En conséquence, il est relativement passé sous silence. Ce que l’on a pu voir lors du débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, c’est que les journalistes n’étaient pas à la hauteur et que les candidats non plus. Alors même que la France fait partie du G7 et donc figure parmi les pays qui sont les premiers responsables de la catastrophe climatique qui est en train de survenir.
Le dernier rapport s’est, pour la première fois, penché sur la question de la demande et non plus que l’approvisionnement (décarbonation des énergies, énergies renouvelables, etc.) pour trouver des solutions pour ne pas dépasser cet objectif des 1,5 °C de hausse des températures. Pour la première fois, nous nous sommes demandés quel serait l’impact de la réduction de la demande. Nous espérons que cela va changer la donne sur la manière de réfléchir à la lutte contre le réchauffement climatique. La question à se poser, c’est “de quoi avons-nous besoin pour notre bien-être en tant qu’être humain sur la planète ?”
Ces besoins sont les mêmes, qu’on vive à Paris, Dakar, New York… Nos besoins essentiels sont les mêmes partout dans le monde : un abri confortable pour vivre, fonder une famille, travailler, de quoi manger, de quoi boire… La question à se poser est comment répondre à ces besoins primaires dans les limites de ce que peut fournir notre planète. Donc cela remet en question la manière dont on envisage toutes ces questions. Une maison n’a pas forcément besoin d’être belle, elle doit avant tout être construite dans le respect des objectifs de limitation du réchauffement climatique. Toutes les politiques devraient être fondées là-dessus à compter de maintenant. C’est en tout cas ce que nous espérons au GIEC.
Dire que les scientifiques ne sont pas les meilleurs communicants du monde est un euphémisme ! Nous sommes sur des sujets d’une complexité incroyable et nous sommes nuls en communication. Les journalistes, eux, ne sont pas formés sur ces sujets scientifiques. Ils ne sont donc pas capables d’organiser des débats sur le fond avec les femmes et les hommes politiques. Et ces derniers, dans nos démocraties, mettent en place des politiques de court terme alors que la lutte contre le réchauffement climatique a besoin de mesures sur le long terme. C’est impossible que cela prenne dans ces conditions. Il faudrait déjà que les scientifiques, qui sont un peu trop dans leur tour d’ivoire, mettent en place des formations pour les journalistes, ce serait une bonne première étape.
Quand on voit les nominations qui ont été faites, cela ne colle pas avec ce qui est annoncé. Pour moi, il est impossible que cela fonctionne et ait de vrais effets dans ces conditions. Mais je suis de nature optimiste. Je vois chaque problème comme une opportunité. Je crois dans nos démocraties et je suis persuadée que ce sont les peuples qui auront le dernier mot. Même si on est coincés dans le processus démocratique, nos voix comptent. Quand on sort dans la rue, on compte. La prise de conscience est de plus en plus importante dans notre société. Il faut maintenant connecter les gens pour créer un vrai mouvement. On a besoin de tout le monde… sauf des pollueurs !
Le changement dans le comportement des individus, c’est très bien mais ce n’est pas cela qui fera changer les choses assez vite. Il faut remettre le politique au centre des politiques climatiques. Pour moi, il faut un véritable plan Marshall européen – une politique relativement dirigiste – sur les rénovations énergétiques. On a besoin d’une intervention publique forte sur ces sujets. Je n’ai pas envie de continuer à payer avec mes impôts les profits de grands groupes privés énergétiques ou du bâtiment.
En outre, il faut que les hommes et femmes politiques prennent conscience d’une chose : les démocraties ne pourront pas survivre à l’élimination de la classe moyenne. Il faut que la majorité de la population appartienne à la classe moyenne pour qu’une démocratie fonctionne sereinement. Or, nous assistons à une antagonisation entre classe pauvre et classe riche avec le dérèglement climatique et tout ce que cela induit sur le prix des énergies, de l’alimentation, etc. Il y a danger.
Moi, j’ai décidé de tout miser sur les jeunes. C’est eux l’avenir. Je donne cours à Sciences Po sur les risques climatiques et j’essaie de leur expliquer qu’il faut agir maintenant. Faire pression sur le gouvernement car la lutte contre le réchauffement climatique viendra des grandes démocraties. Moi, je crois que les jeunes vont imposer la solution donc je me mets à leur service pour les former. J’espère qu’ils vont faire en sorte que mon fils de 2 ans n’ait pas à se battre pour manger. Parce qu’on en est là, même si on se voile la face.
Je ne suis pas exemplaire mais je fais des efforts pour limiter mon empreinte carbone. Avant, je voyageais beaucoup pour le travail. En 2003, le WWF a mis en ligne un outil pour calculer son empreinte énergétique. Pendant un temps, j’ai fait la différence entre mon bilan énergétique personnel et celui lié à mon travail. On va dire que ça me permettait de me regarder dans la glace… Même s’il aurait fallu quinze planètes si tout le monde avait vécu comme moi. Et puis en 2019, j’ai décidé de limiter au maximum mes déplacements, quels qu’ils soient. Je n’ai pas pris une seule fois l’avion depuis ça.
La pandémie a aidé à comprendre que les réunions en visioconférence sont finalement très efficaces. habitant Paris, j’ai la chance de pouvoir me déplacer à vélo, à pied ou en transports en commun facilement. Si je dois absolument me rendre quelque part en France ou en Europe, je prends le train. A côté de cela, je ne mange plus de viande depuis des années, je consomme des fruits et légumes de saison… Je ne fais même plus le calcul annuel de mon empreinte carbone, je n’en ai plus besoin.
À titre personnel, je n’aime pas les salons. Je n’ai pas besoin de ça pour m’informer et je ne comprends pas bien l’idée de devoir forcément se rencontrer “en vrai”. Mais certains ont encore besoin de cela, semble-t-il. Pour moi, il faut vraiment aller vers des salons totalement hybrides [c’était le cas pour ChangeNOW, NDLR] si ce n’est en 100 % visioconférence. Nous n’avons pas besoin d’être partout, tout le temps. Et cette idée de compensation carbone d’un événement ou d’un déplacement est vraiment une idée néo-libérale. L’émission carbone a eu lieu, on ne peut pas revenir en arrière. Pour moi, c’est un concept choquant qu’il faudrait éradiquer. Cela permet de continuer à polluer en se donnant bonne conscience.
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