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Amazonie : à la chasse aux médicaments du futur

Les remèdes issus d’Amazonie sauvent déjà des millions de vies. Mais les plantes, animaux et savoirs ancestraux des populations de cet “enfer vert” n’ont révélé qu’une petite partie de leurs secrets… À l’heure des biotechnologies, les espoirs sont grands, à la mesure de l’avidité des entreprises à privatiser le vivant.

Le 12/06/2021 par Raphaël Meursault
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Les remèdes issus de la forêt amazonienne sont déjà utilisés dans la médecine d’aujourd’hui. (Crédit : Shutterstock)
Les remèdes issus de la forêt amazonienne sont déjà utilisés dans la médecine d’aujourd’hui. (Crédit : Shutterstock)

Depuis son apparition il y a un an, la pandémie de Covid-19 a fait de chacun d’entre nous un spécialiste des questions sanitaires, bouillant d’intervenir à tout moment dans les débats télé non-stop afin de les faire profiter de notre savoir et de nos solutions. C’est que nous en avons appris des choses, au fil de cette rude année. Par exemple, lorsqu’on nous a dit que les hôpitaux étaient menacés – entre autres – d’une pénurie de curare. Une substance dont l’évocation, jusqu’alors, évoquait plutôt des images de flèches empoisonnées tirées dans la jungle amazonienne… 

Il s’agit bien de ce poison, mais son usage médical n’étonnera pas ceux qui savent, depuis la découverte au XVIe  siècle par le médecin suisse Paracelse, le père de la toxicologie, que la différence entre un poison mortel et un médicament peut n’être qu’une question de dose. La preuve dans les services de réanimation, qui seuls sont autorisés à utiliser le curare. Dans le cas du syndrome de détresse respiratoire aigüe – stade gravissime du Covid –, il facilite la ventilation en permettant le relâchement maximum de la paroi thoracique.

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Et d’où provient ce messie des “réas” ? D’Amazonie. Comme d’autres médicaments existants, mais aussi à venir, promet l’ethnobotaniste Mark J. Plotkin dans un livre (non traduit) paru en 2020 aux presses universitaires d’Oxford*. 

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La morsure de l’araignée-banane peut causer la mort, mais elle provoque également une érection prolongée. Des chercheurs ont réussi à extraire de son venin une molécule permettant de traiter les dysfonctionnements érectiles.(Crédit : Dr M. Read/Shutterstock)

Des savoirs utiles dans la la lutte contre le Covid ?

À la tête de l’ONG Amazon Conservation Team, cet Américain œuvre depuis vingt-cinq ans à la protection de ce territoire, en partenariat avec les populations autochtones, lesquelles utilisent ancestralement ce toxique tiré des lianes Strychnos toxifera et qui a pour effet de paralyser les proies lors de la chasse. De même, leurs chamanes (sorciers-guérisseurs) maîtrisent-ils l’usage médicinal d’une infinité de plantes et d’arbres poussant à profusion dans la forêt tropicale.

Et si ces savoirs pouvaient leur être utiles dans la lutte contre le Covid-19 ? On sait que le virus, dévastateur au Brésil, s’est frayé un chemin jusque dans les profondeurs de la jungle et qu’il menace les tribus amérindiennes. À tel point qu’à l’unanimité, la Cour suprême brésilienne a ordonné en août à un gouvernement peu soucieux des peuples indigènes de les protéger contre la pandémie. En attendant, leurs chamanes ont fait avec les moyens du bord, c’est-à-dire les ressources de la forêt, comme l’a appris Mark J. Plotkin.

“Depuis le mois de mars, écrit-il dans une tribune publiée en octobre dans le New York Times, il m’a été impossible de retourner en Amazonie. Mais via WhatsApp, je communique de temps à autre avec des chamanes que je connais depuis longtemps. Ils me disent que pour tenir à distance le coronavirus, ils prennent régulièrement, une mixture de plantes immunostimulantes. L’efficacité de ce traitement doit évidemment être vérifiée de manière indépendante. Il montre en tous cas qu’il y a chez eux une quête médicale continue dans la forêt guérisseuse. 

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La sève de cet arbre d’Amazonie nommé sang du dragon est utilisée depuis des lustres par les indigènes pour traiter blessures, infections, inflammations… et plus récemment comme antidiarrhéique dans les traitements contre le VIH.(Crédit : I. Pap/Alamy Stock Photos)

L’Amazonie au crible des nouvelles technologies

Ces précieuses connaissances ancestrales et cette quête sont menacées par les agressions répétées des prédateurs de l’Amazonie, qu’elles viennent de forestiers brésiliens ou de braconniers chinois – le tigre se faisant rare en Orient, ceux-ci se rabattent sur le jaguar d’Amérique du Sud –, de mineurs canadiens ou de grands groupes agroalimentaires états-uniens… Elles sont aussi menacées par des laboratoires pharmaceutiques, et même par des centres universitaires, qui s’accaparent sans état d’âme les solutions thérapeutiques traditionnelles des tribus en les protégeant par des brevets.

D’autres deviennent des phénomènes de mode aux implications potentiellement ravageuses. C’est le cas du kambo, sécrétion de la rainette singe (Phyllomedusa bicolor), un opioïde naturel 40 fois plus puissant que la morphine. On l’obtient en frottant la peau de la grenouille mise en état de stress. C’est, depuis des lustres, le médicament à tout soigner des Matsés, qui vivent à la frontière entre le Brésil et le Pérou. Depuis quelques mois, il est également devenu le médicament préféré des adeptes occidentaux de la « médecine naturelle », qui malgré d’importants effets secondaires (notamment de forts vomissements) l’utilisent avec enthousiasme pour à peu près tout, du traitement de la dépression à celui de l’impuissance !

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Appelées en anglais “grenouilles à flèches empoisonnées”, les dendrobates recèlent de nombreux alcaloïdes ayant conduit à une meilleure compréhension des anesthésies locales et des anticonvulsifs. (Crédit : Shutterstock)

Un potentiel médicinal sous-évalué

Et le pillage n’est pas près de cesser. “Le potentiel médicinal de l’Amazonie, dit Plotkin, est en train de croître parce que les nouvelles technologies nous permettent de trouver, d’isoler, d’évaluer, de manipuler et d’utiliser les produits naturels, plus rapidement que jamais.” Ce pourrait être une bonne nouvelle… si la technologie n’était majoritairement entre les mains de prédateurs de la nature et du vivant. Le temps où “nous n’aurons pas à choisir entre l’homme-médecine et la puce électronique, où la coopération entre les deux mondes produira de nouveaux traitements“, ce temps, souhaité par l’ethnobotaniste américain, se fait attendre.

Le rôle positif de la technologie dans cette histoire, c’est qu’elle va permettre de combler l’ignorance (‘phénoménale” selon Plotkin) que l’on a de la faune et de la flore amazoniennes. Sur les 16 000 espèces d’arbres estimées au sein de cet écosystème sans équivalent, plusieurs milliers n’ont pas encore été “baptisées” par les scientifiques. Encore plus nombreux ceux dont l’éventuel potentiel médicinal n’a pas été évalué. Combien de “potions magiques” sommeillent dans leur tronc, leurs branches, leurs feuilles ? Dans les années 1950, le guide d’une botaniste s’était blessé dans la jungle. Un chamane a alors incisé l’écorce d’un croton nommé sangre de drago (sang du dragon), et l’a appliquée sur la plaie… qui ne s’est pas infectée. Mieux, elle a rapidement cicatrisé ! Aujourd’hui, un composé de cette sève – le crofelemer – est le premier antidiarrhéique approuvé par l’Agence américaine des médicaments (FDA) pour les traitements contre le VIH.

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La chauve-souris détient dans ses glandes salivaires la bien nommée draculine, qui fluidifie le sang de ses proies. (Crédit : Westend61 GmbH/Alamy Stock Photo)

Précieuses grenouilles d’Amazonie

Et que dire des animaux ? Entre  1999 et  2009, une espèce nouvelle était découverte tous les trois jours dans la jungle, élargissant un peu plus le champ des recherches. Et des espoirs d’enrichir la pharmacopée « made in Amazonia », avec l’aide des chamanes des quelque 400 tribus de cet « enfer vert ».

Une autre famille de batraciens que la rainette singe a apporté sa contribution : les dendrobates, dont l’Amazonie abrite à peu près 75 espèces. Appelées en anglais « grenouilles à flèches empoisonnées », leurs peaux ont permis de découvrir 400 nouveaux alcaloïdes – et l’étude de ces molécules a déjà conduit à une meilleure compréhension du fonctionnement des anesthésies locales, des anticonvulsifs et même celui de certaines toxines du corps humain.

Le jararaca, un serpent à sonnette, possède lui un venin dont l’étude a abouti à la synthèse du captopril, un des médicaments contre l’hypertension les plus efficaces – et les plus lucratifs – jamais conçus. Il a ouvert la voie à toute une classe de médicaments qui ont sauvé la vie de millions de personnes.

Un autre venin a des propriétés plus que prometteuses : celui de l’araignée-banane – malgré son nom sympathique, la plus meurtrière des arachnides. Sa morsure, qui peut causer la mort, provoque également chez sa victime une érection de plusieurs heures.

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En frottant la peau du dos de la rainette singe, on obtient le kambo, un opioïde naturel 40 fois plus puissant que la morphine  ! (Crédit : Bjorn Svensson/Alamy Stock Photo)

Triomphe des chamanes

Voilà qui a donné des idées à des chercheurs brésiliens. En 2019, ils ont expliqué dans le Journal of Sexual Medicine avoir réussi à extraire de ce venin une molécule, le PnPP-19, qui pourrait permettre de traiter les dysfonctionnements érectiles des 30 à 35 % de patients insensibles au Viagra.

Les animaux suceurs de sang ne sont pas en reste. La chauve-souris vampire et la sangsue géante d’Amazonie (qui prend ses aises dans la gueule même des caïmans !), ont chacune dans leurs glandes salivaires un anticoagulant : la draculine (pardi !) pour la première, l’hementine pour la seconde. Leur synthèse devrait bientôt renforcer la liste des médicaments contre la coagulation du sang, à l’origine des attaques cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux.

Il y a enfin les champignons, dont les variétés utilisées à des fins thérapeutiques par les chamanes sont nombreuses. « Le développement médical le plus significatif de ces dernières années impliquant des organismes tropicaux, estime Plotkin, est l’introduction des hallucinogènes dans la médecine occidentale. » Le triomphe des chamanes, dont ils sont les outils ultimes dans le diagnostic et le traitement des maux à l’origine émotionnelle ou spirituelle ? Oui, à condition que la médecine moderne ne les dépossède pas de leurs remèdes. « Qui devrait bénéficier prioritairement des trésors pharmacologiques de l’Amazonie ? interroge l’ethnobotaniste. La réponse est claire : les Amazoniens. »

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Ces dernières années, on assiste à un regain d’intérêt de la médecine occidentale pour la psilocybine, l’ingrédient actif des champignons magiques, utilisée dans le traitement de l’anxiété, de la dépression et du stress post-traumatique.(Crédit : Dr Morley Read/Shutterstock)

*Lire : The Amazon. What Everyone Needs to Know, de Mark J. Plotkin, Oxford University Press, 2020.

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