Cette marque transforme les bombes de la guerre du Vietnam en bijoux

“Ces boucles d’oreilles, de la marque Article 22, sont faites à partir de bombes recyclées. (…) C’est une superbe idée de transformer quelque chose de si négatif en joaillerie”.  Voilà comment Emma Watson présentait ses nouvelles boucles d’oreilles sur le plateau de l’émission américaine Ellen DeGeneres Show, le 4 mars.
 
Il peut sembler étonnant d’avoir des bouts de bombes pendues au bout de ses oreilles ou autour de son poignet. Pourtant, c’est bien ce que vend la marque de joaillerie Article 22.
 

“C’est un projet assez unique qui attire des profils différents”, explique la française Camille Hauteford, co-fondatrice de la marque.

 

Pourquoi ce nom ? Article 22 fait référence à l’article de la Déclaration universelle des droits de l’homme : “Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.”

Transformer l’horreur en beauté

270 millions : c’est le nombre de sous-munitions larguées sur le Laos entre 1964 et 1973 pendant la Guerre du Vietnam. Soit un bombardement toutes les huit minutes pendant neuf ans. Aujourd’hui, il reste encore 80 millions de projectiles dans les sols, et 30 % d’entre eux n’ont pas encore explosé.
 

“Les artisans locaux ne peuvent même pas aller au bout de leur jardin. L’espace qu’ils peuvent utiliser est extrêmement restreint.”

Ces petits pendentifs sont ainsi bien plus que de simples bijoux : chacun d’entre eux permet de déminer trois mètres carrés de terre.
 

“Aujourd’hui, nous avons déminé 18 hectares de terres, c’est-à-dire l’équivalent de 40 terrains de football”.

 
C’est au cours d’un voyage au Laos, qu’Élizabeth Suda, newyorkaise, découvre le village de Ban Naphia. Les artisans n’utilisaient pas les bombes pour créer des bijoux, mais des petites cuillères, et ce depuis les années 1970 !
 

“Au début, ils étaient un peu étonnés, voire septiques. Qui allait acheter des bracelets alors que eux vendaient des cuillères pour se nourrir ?”, raconte la co-fondatrice d’Article 22. 

Mais aujourd’hui, sept ans après la création de la marque, ce sont quinze familles qui travaillent pour créer les bijoux, ainsi que des communautés d’artisans qui s’occupent du packaging à base de feuilles de riz. En plus du déminage et du recyclage, Article 22 permet à ces villageois d’avoir un salaire cinq fois plus élevé que le salaire minimum en vigueur.
 
Aussi, 10 % des ventes sont donnés au chef du village, afin qu’il ait plus de moyens pour développer les infrastructures ou l’éducation. Enfin, une autre partie des bénéfices réalisés grâce à la vente de bijoux est reversée à l’association MAG (Mines Advisory Group) qui s’occupe du déminage et de l’éducation auprès des populations locales. 

Raconter et diffuser l’histoire

“Nous voulons permettre à tous le monde de participer, à la hauteur de ses moyens”, explique Camille Hauteford.

 
Les bijoux, vendus entre 30 et 300 dollars, sont un moyen de faire connaître l’histoire de cette “guerre secrète”. Chaque bijou acheté est accompagné d’une petite carte qui raconte ce terrible événement : “Aux États-Unis, beaucoup de gens apprennent ce qu’il s’est passé au Laos à travers la marque”.
 
En effet, ce n’est qu’en 2016 que Barack Obama a officiellement reconnu l’implication des États-Unis dans cette guerre lors de sa visite au Laos en septembre. 
 

“Ce fut une guerre secrète… Cela a fait du Laos le pays le plus bombardé, plus que l’Allemagne ou le Japon” a-t-il déclaré.

 
Article 22 est ainsi un moyen atypique de faire connaître ce pan de l’histoire auprès du plus grand nombre. 

La marque veut maintenant continuer son travail de développement sur le long terme en formant de plus en plus d’artisans locaux. Et elle nourrit un autre projet : travailler avec les victimes des explosions pour leur redonner du travail et les réintégrer dans la société. La collection développée avec eux devrait être en ligne dans les prochains mois.
 
En plus d’être vendus sur internet, ces bijoux sont disponibles dans deux points de vente en France : à la boutique Storie à Paris ou dans le concept store On Off d’Arcachon. 

Recent Posts

  • Déchiffrer

Christophe Cordonnier (Lagoped) : Coton, polyester… “Il faut accepter que les données scientifiques remettent en question nos certitudes”

Cofondateur de la marque de vêtements techniques Lagoped, Christophe Cordonnier défend l'adoption de l'Éco-Score dans…

12 heures ago
  • Ralentir

Et si on interdisait le Black Friday pour en faire un jour dédié à la réparation ?

Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…

18 heures ago
  • Partager

Bluesky : l’ascension fulgurante d’un réseau social qui se veut bienveillant

Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…

2 jours ago
  • Déchiffrer

COP29 : l’Accord de Paris est en jeu

À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…

3 jours ago
  • Déchiffrer

Thomas Breuzard (Norsys) : “La nature devient notre actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration”

Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…

4 jours ago
  • Respirer

Les oursins violets, sentinelles de la pollution marine en Corse

Face aux pressions anthropiques croissantes, les écosystèmes côtiers subissent une contamination insidieuse par des éléments…

4 jours ago