Partager la publication "Des cours de récré non-genrées, une étape dans l’apprentissage de l’égalité"
“Des parkings en bitume, brûlantes en été, et trop réservées aux pratiques des garçons” : voici les mots employés par le nouveau maire de Grenoble, Eric Piolle, pour décrire les cours de l’un des établissements scolaires de sa ville.
Le maire EELV dépeint ici une cours de récré plutôt classique, avec son espace central bétonné, souvent utilisé pour le football et monopolisé par les garçons. Les filles sont cantonnées à la périphérie de ce terrain improvisé, qu’elles préfèrent contourner plutôt que traverser. Ce n’est pas une caricature, mais un phénomène étudié et critiqué.
Des élèves littéralement marginalisées
En novembre 2018, Unicef France soulignait le problème dans son étude sur les inégalités de genre. “La cour de récréation illustre la séparation des sexes à l’école, notamment en primaire, par la place qu’occupent les filles et les garçons : les garçons au large et au centre, les filles sur le côté”, résument les auteurs du rapport.
Même constat chez Édith Maruéjouls, docteure en géographie du genre, qui s’est longuement immergée dans les cours d’écoles primaires et de collèges. “Ce que l’on peut observer, c’est que dès qu’il existe un espace central, un groupe de garçons va se l’approprier pour ses jeux collectifs – dans 95 % des cas, le foot – et ce que le terrain soit dessiné ou non.”
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La grande majorité des enfants est reléguée en périphérie. On y retrouve les filles, mais aussi des garçons exclus par leurs pairs “parce qu’ils ne correspondent pas à ce que l’on attend d’un garçon”. Les élèves en surpoids, ou les moins bons joueurs, sont rejetés, ainsi que ceux dont les pratiques sont considérées comme “féminines”, comme la lecture, par exemple.
La hiérarchie des genres s’apprend dès l’enfance
Dans ce petit monde très segmenté, les jeux mêlant filles et garçons n’existent pas, ou peu. Pour les jeunes garçons, intéragir avec l’autre sexe est une action socialement sanctionnée. “Ils ont peur d’être traités de filles, explique Édith Maruéjouls. C’est une phrase que j’ai entendue dans toutes les écoles.”
Le réaménagement de l’espace récréatif est le premier pas vers la disparition de ce sexisme intériorisé dès l’enfance. Notamment parce qu’il marque la fin de la valorisation des pratiques masculines par l’institution scolaire.“Si on dessine un terrain de foot au centre de la cour, si on organise des parties non-mixtes à la récré, si on laisse faire, on légitimise”, tranche Édith Maruéjouls.
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Les petits garçons apprennent qu’ils ont le droit de s’approprier l’espace public. Et les petites filles, qu’il est “acceptable” qu’elles en soient exclues. “Elles vont progressivement renoncer à cet espace public. Et c’est un comportement qu’elles vont continuer à appliquer une fois adulte.” La géographe ajoute que les petites filles ont parfaitement conscience de ce phénomène: “Dès le collège, j’ai des filles qui me disent ‘nous avons moins de droits que les garçons‘.”
Penser la récréation “non-genrée”
Depuis la publication de la thèse d’Édith Maruéjouls, en 2014, les “cours non-genrées” se sont multipliées. L’exemple le plus connu est celui de l’école Michel-de-Montaigne, à Trappes, dans les Yvelines. Dans cette cour rénovée en 2018, le terrain de bitume central a été remplacé par une pelouse synthétique, parsemée de toboggans, tourniquets et autres balançoires. Le foot n’est pas interdit, mais il ne peut plus monopoliser la cour.
Plusieurs municipalités ont suivi. À Rennes, deux groupes scolaires ont fait leur rentrée avec une cour non-genrée : le terrain de foot, encore une fois, a été déplacé. À Grenoble, des travaux similaires ont débuté durant l’été pour le groupe scolaire Clémenceau.
Mais pour Édith Maruéjouls, ces travaux ne suffisent pas toujours. “L’aménagement n’est pas la seule condition à la mixité, même si c’est essentiel. Si vous ne sensibilisez pas les élèves à la question, la cour peut redevenir un espace de football.”
Pour la géographe, c’est aussi sur les loisirs qu’il faut travailler. “Il ne faut pas que les garçons puissent choisir qui joue, mais qu’ils demandent ‘qui joue ?’ et apprennent à s’organiser avec. On me dit que ces jeux mixtes créent des disputes entre filles et garçons, mais ces échanges ne sont pas violents. C’est l’absence d’interaction qui est le terreau des violences.”