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Désobéissants et fiers de l’être

Difficile, a priori, de trouver le lien entre une éleveuse de chèvres du Tarn, un professeur de lettres à Amiens, une assistante sociale creusoise, une jeune Parisienne cadre dans le BTP, un restaurateur niçois, un ingénieur à la retraite clermontois et… le pape ! Ces femmes et hommes ont pourtant un point commun : ils font de la désobéissance civile. Ce sont des rebelles, des séditieux, des réfractaires à la loi, qu’ils transgressent au nom “de la justice, la solidarité, du bien commun”.

Pratiquant la désobéissance civile, l’éleveuse de chèvres refuse de se soumettre à “une logique gestionnaire et informatique” en puçant son troupeau ; le prof, opposé à la réforme du lycée, de remettre les copies du bac ; et l’assistante sociale de faire remonter à des fins statistiques, à sa hiérarchie, des données d’usagers.

L’ingénieure en BTP, elle, a occupé le siège du groupe de grande distribution, dont elle fustige le greenwashing (image de responsabilité écologique trompeuse) ; le retraité auvergnat résiste aux injonctions d’Enedis, qui veut installer un compteur Linky chez lui ; et le restaurateur bravant la réglementation Covid n’a pas baissé son rideau de fer.

Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n° 34, paru en mai 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.

La désobéissance civile, une rébellion éthique

Quant au pape, depuis peu, il pousse ses ouailles à la révolte : “Faites du désordre. Le monde est sourd. Il faut lui ouvrir les oreilles”, conseillait-il à Cyril Dion, qu’il recevait avec trois jeunes Français le 15  mars. “Il nous a encouragés à mettre le bazar dans les rues, à faire la révolution”, explique, un peu sidéré, le militant écologiste.

Désobéir… face aux interdictions et contraintes liées à la pandémie, le vocable n’est plus l’apanage d’extrémistes. Discrète ou proclamée, la désobéissance civile (conceptualisée en 1849 par le philosophe américain Henry David Thoreau, qui inspira Gandhi et Martin Luther King) fait des adeptes parmi les paisibles citoyens. Jusqu’alors respectueux de l’ordre établi. Une rébellion “éthique” qui est tout à fait légale !

Le droit moral à résister à l’oppression est en effet inscrit comme un droit naturel et imprescriptible dans la Déclaration des droits de l’homme et donc notre Constitution. Et, depuis 1983, dans le code de la Fonction publique. Ce qui permet au fonctionnaire de “ne pas obéir à un ordre illégal ou de nature à compromettre un intérêt public”.

Pour le sociologue Albert Ogien et la philosophe Sandra Laugier, auteurs de Pourquoi désobéir en démocratie (éd. La Découverte), “le terme de désobéissance civile ne renvoie pas indifféremment à tous les gestes de contestation, de résistance ou de révolte. Mais nomme une forme d’action politique ; ce refus doit être exprimé publiquement, de façon collective. En expliquant pourquoi il bafoue un droit élémentaire vis-à-vis d’un principe supérieur, égalité, justice, solidarité. Que cela fasse l’objet d’une action en justice afin que la sanction provoque un débat.” Le tout de façon non violente et avec l’objectif de faire évoluer la loi. Comme ce fut le cas pour les faucheurs d’OGM emmenés par José Bové jusque dans les années 2010.

“Ils risquaient la prison”

“Électriciens, conseillers Pôle emploi, forestiers, enseignants : le service public, policiers compris, connut à cette époque une étonnante période de désobéissance pour défendre le bien commun, le respect de l’autre et une certaine idée de leur métier”, se souvient la journaliste Élisabeth Weissman. “Ils risquaient leur salaire, leur emploi, parfois la prison”, explique cette auteure d’une vaste enquête sur La Désobéissance éthique (éd. Stock). Comme Dominique, “Robin des bois de l’énergie”, qui avec nombre d’agents d’EDF rétablissaient le courant aux familles en difficulté.

“Ils partaient en groupes commandos masqués. C’était les assistantes sociales qui leur donnaient le signalement de gens privés d’électricité. Les forestiers refusaient de couper les arbres au nom d’une politique de la forêt productiviste ; les instits s’opposaient à l’évaluation en maternelle des enfants. C’était une affaire de conscience sociale. Avec les appels à la désobéissance liée à la Covid, c’est l’individu économique qui est en jeu. Celui pour lequel il est injuste de fermer son restaurant, même si c’est pour protéger le collectif. Et s’il est dédommagé par l’État !

Injustices sociales, extrême méfiance vis-à-vis du pouvoir peuvent générer la désobéissance mais j’ai peur qu’elle ne soit récupérée par des mouvements populistes. La société est moins structurée qu’il y a dix ans. On peut déraper dans une désobéissance tous azimuts qui peut naître à la faveur d’un tweet.”

Rébellion chez les édiles

Les raisons de désobéir, et ceux qui les revendiquent ont évolué. Parmi ces derniers, il y a de plus en plus nombreux, les élus. Dans le sillage de Noël Mamère, qui en 2004, alors maire de Bègles (Gironde), célébra dans l’illégalité le premier mariage gay, certains édiles n’hésitent pas à braver la loi. À l’instar de ceux d’Issoudun (Indre) et de Perpignan (Pyrénées-Orientales) décidant d’ouvrir leurs musées malgré le confinement, ou celui d’Yerres (Essonne) qui à l’image de 850 autres maires s’oppose à l’installation des compteurs intelligents d’Enedis. Allant jusqu’à envoyer la police municipale à la rescousse des anti-Linky. Dernier cheval de bataille de l’élu : le déploiement des antennes 5G.

La fée numérique suscite des actes de rébellion. Chercheur en développement des technologies, Matthieu Amiech en est convaincu, il existe, de rébellion avérée en opposition souterraine, une désobéissance des citoyens contre l’informatisation de la vie sociale. Un mouvement qui, via des collectifs comme “faut pas pucer” ou “écran total”, a pris de l’ampleur.

En 2021, c’est avec la solidarité aux plus démunis la cause environnementale qui génère le plus d’actes d’insoumission. Avec les occupations en février de la ZAD du triangle de Gonesse (Val-d’Oise) contre le projet de gare du Grand Paris Express. Mais surtout les sit-in, blocages, décrochages (du portrait présidentiel), initiés par des mouvements pour l’environnement. Selon l’étude “Il est temps” d’Arte, menée auprès de jeunes Européens de 18-30 ans, désobéir aux lois pour protéger l’environnement est acceptable pour 40  % d’entre eux, nécessaire pour 33  %.

La désobéissance civile, un acte pour la démocratie

L’obéissance rassemble, la désobéissance divise, s’inquiètent ceux pour lesquels la désobéissance civile peut être dangereuse pour la démocratie. “L’idée de la résistance en démocratie n’est pas un refus de la démocratie, au contraire. On ne désobéit pas contre mais pour la démocratie”, affirment Albert Ogien et Sandra Laugier. “Obéir dignement, désobéir éthiquement”, prône le philosophe Frédéric Gros, auteur de Désobéir (éd. Albin Michel).

“La démocratie est faite de règles mais une démocratie ne peut pas vivre sans qu’il y ait de la vigilance de la part des citoyens, poursuit ce professeur de pensée politique à Sciences-Po. Obéir oui, mais à sa propre cohérence. Désobéir est nécessaire parfois. Désobéir peut être une victoire contre le conformisme généralisé et l’inertie du monde.” Et aussi une “victoire sur soi”.

La Boétie, dans son Discours sur la servitude volontaire, conseillait déjà : “S’émanciper du désir d’obéir, assécher en soi la passion de la docilité, cesser de travailler à sa propre aliénation, taire le petit discours intérieur qui légitime d’avance la puissance qui m’écrase.” 

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