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François Gabart : “Il faut penser nautisme durable dès la conception des bateaux”

“Je ne me souviens plus si on s’est affronté un jour sur une course mais nous nous connaissons bien avec Roland Jourdain. Nous sommes tous les deux installés à Concarneau.” Ce jour-là, François Gabart est de passage à Paris pour venir voir pour la première fois le film-documentaire “Gabart, quand gagner ne suffit plus”, qui sera diffusé le 14 janvier 2024 à 21h sur Canal+. Deuxième de la Route du Rhum 2022 sur son bateau SVR-Lazartigue, le skipper est aussi un entrepreneur engagé. Dès 2006, il fonde son écurie de course au large, MerConcept. Avec un bureau d’études qui, avec le temps, s’intéresse de plus en plus au nautisme durable.

Un centre d’intérêt commun avec un autre skipper, Roland Jourdain, qui est le fondateur de Kaïros, autre écurie de course, elle aussi très impliquée dans les démarches environnementales du secteur. Les deux sociétés sont d’ailleurs labellisées “entreprise à mission”. À la compétition, les deux navigateurs préfèrent la coopétition. Ils ont décidé de créer un groupement d’intérêt économique (GIE) pour agir dans la recherche et le développement de solutions durables et innovantes dans le nautisme.

Comment s’est décidée la création de ce GIE Kaïros x MerConcept ?

Kaïros s’est spécialisé dans les matériaux composites bio-sourcés. Le bureau d’études de MerConcept travaille lui aussi sur le nautisme durable, notamment dans le domaine de la construction navale par le biais de foil [une “aile d’eau”, NDLR] et de voiles innovantes. Nous sommes littéralement installés en face l’un de l’autre sur le port de Concarneau. Un jour, avec Roland, on s’est dit que c’était trop bête de ne pas collaborer.

Il a suffi d’une discussion pour se dire que nous sommes plus forts et plus solides ensemble. C’est ainsi que nous avons créé un GIE autour des sujets d’éco-conception dans le domaine du nautisme il y a un an maintenant, en décembre 2022. Nous savons tous que des solutions durables existent. Mais encore faut-il les peaufiner et les déployer à grande échelle. Le challenge est énorme, autant mutualiser nos efforts.

À gauche, François Gabart. À droite, Roland Jourdain. Sur le port de Concarneau. Crédit : Tifenn Mouton / Explore.

Sur quoi va se concentrer ce GIE ?

Nous voulons notamment mettre au point un outil précis de mesure d’impact environnemental des bateaux tout au long de leur vie. En utilisant des matériaux bio-composites, en recyclant du carbone ou de la fibre de verre pour la coque, en pensant, dès la conception, à la fin de vie du bateau… il y a de nombreux points d’amélioration. Nous voulons être capable de faire une ACV [analyse du cycle de vie, NDLR] détaillée pour pouvoir comparer les différents procédés et faire les bons arbitrages.

Cet outil, baptisé S³, permettra de faciliter l’éco-conception des bateaux avec l’aide de Quantis, un cabinet de conseil en stratégie environnementale. S³ va nous permettre de mieux comprendre les impacts mesurés pour en établir la source, et ensuite travailler à leur réduction.

Jusqu’à présent, il y avait trois éléments cruciaux pour la course au large : coût / temps / performance. Pourquoi ne pas ajouter un quatrième critère qui serait l’impact ? C’est-à-dire les émissions de gaz à effet de serre. Il est nécessaire de se fixer des limites dans ce domaine pour que, pendant la construction des bateaux, on fasse des choix afin de rentrer dans un certain volume. Il faut penser nautisme durable dès la conception du bateau.

Éco-conception sur un chantier. Crédit : Robin Christol.

Cela vaut aussi pour la course au large ?

L’innovation pour la voile de plaisance vient souvent des voiliers de la course au large. Par exemple, l’hydrogénérateur [un appareil qui produit de l’électricité au moyen d’une hélice mue par le déplacement du bateau, NDLR] a été inventé pour la compétition avant d’être décliné pour le grand public. En course, le principe est simple : on va plus vite quand on est plus léger. Et pour être plus léger, il faut moins de matière. La compétition nous amène donc à la sobriété. Mais le problème qui se pose avec ces bateaux ultra-performants, c’est leur durabilité. Le temps de vie d’un tel bateau est de 10-15 ans maximum. Car il faut innover constamment pour rester compétitif… Certains bateaux bénéficient d’un “refit” et sont transformés pour devenir des voiliers de plaisance mais c’est loin d’être systématique.

Et le recyclage est très compliqué par définition. Qui dit matériaux composites, dit mélange de deux éléments très différents. Comme la fibre de verre – ou la fibre de lin dans le meilleur des cas – et le polyester. Le plus souvent, pour les recycler, on broie ces matériaux pour les réutiliser autrement. Mais nous ne savons pas encore désosser complètement les bateaux. Parfois, ils ont la chance d’être uplcyclés mais cela reste encore l’exception. Il faut vraiment que l’on trouve une solution de recyclage plus efficace.

Le Vendée Globe, la Route du Rhum… ce type de courses XXL, c’est aussi toute l’organisation autour qui pèse sur le bilan carbone…

Oui, il est nécessaire de réussir à faire rentrer la course au large dans les accords de Paris. Il faut créer des événements sportifs plus propres. Pour autant, je n’ai pas envie de faire de course au large “virtuelle”, sans public à Saint-Malo ou aux Sables-d’Olonne. En revanche, aménager, repenser les courses pour en réduire l’impact, c’est nécessaire. Le collectif La Vague a eu le mérite de placer les enjeux environnementaux et sociétaux au centre des discussions. Le monde de la voile est déjà assez sensible au sujet mais il va néanmoins falloir trouver des compromis.

Jusqu’à présent, le critère de la performance, donc de la vitesse, était quasiment le seul qui pesait dans la course au large. Mais on peut sans doute imaginer d’autres ressorts. Certains trouvent de nouvelles histoires à raconter : des bateaux sauvés de la destruction et restaurés pour éviter la construction d’un nouveau trimaran, des voiliers sans carbone mais avec une coque en aluminium…. Ce sont des histoires qui intéressent les sponsors et les médias et c’est une chance. Il y a peut-être aussi la question du budget à étudier. Il est certain que les projets les plus chers sont ceux qui ont le plus important impact environnemental.

Vous réfléchissez aussi à l’évolution des navires commerciaux, par le biais de Vela…

Oui, MerConcept est partenaire de ce projet de transport de marchandises à la voile et je fais partie des cofondateurs de Vela Transport. Nous voulons proposer une solution entre l’Europe et les USA qui serait entièrement propulsée par le vent. Du fret 100 % à la voile, sans polluer ou presque. De port à port, la réduction des émissions de gaz à effet de serre serait de 95 %. Qui plus est, notre trimaran vélique, qui devrait être mis à l’eau en 2025, sera plus rapide que les navires conventionnels. Entre 10 à 15 jours pour rallier la France à New York. C’est, pour moi, une autre forme de nautisme durable…

À lire aussi : Cargo à voile : Grain de Sail double la mise

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