Gastronomique et pas cher, ce bistrot emploie et forme des réfugiés

En ces premiers frissons d’automne, voilà l’assiette réconfortante dont on rêvait : sur une généreuse tranche de potimarron, entre semoule, noisettes, épinards et cébette rôtie, explose la caresse d’un œuf parfait. On se délecte aussi de quelques moules crémées et pommes de terre grenailles sur un lit de chou rouge confit. Le tout suivi de poires pochées à l’hibiscus et riz au lait. Avec en bonus une addition tout aussi douce : 19 euros l’entrée-plat-dessert.

Bienvenus à la Table du Recho, un restaurant recommandé à plus d’un titre : savoureux, économique, il est aussi écologique et solidaire. “Restaurer le monde en restaurant les hommes”, telle est son ambition, qui n’est pas qu’un bon slogan.
 
L’adresse se cache dans le XVIe arrondissement, au fond de l’ancienne caserne Exelmans transformée en tiers-lieu par l’association Aurore, déjà à l’origine des Grands Voisins. Pendant deux ans, ce lieu baptisé “les Cinq toits” sera occupé par 37 porteurs de projets sociaux ainsi que 350 résidents précaires ou réfugiés. Sept d’entre eux ont été embauchés par la Table du Recho, et apprennent le métier aux côtés d’une cheffe expérimentée.
 
“Créer un restaurant dans ce quartier me semblait une super façon de provoquer le dialogue entre réfugiés et riverains, des publics qui ne se rencontrent pas forcément, de faire tomber les a priori, se réjouit Vanessa Krycève, l’une des cofondatrices du projet. Et pour cela, il fallait obligatoirement une cuisine de qualité.” Comédienne et cuisinière de formation, Vanessa Krycève n’en est pas à son premier coup socio-culinaire.

Ateliers cuisine dans les camps de réfugiés

En 2016, sa sœur lui raconte avoir rencontré un réfugié syrien à qui l’on servait du porc dans un centre d’hébergement d’urgence à Bruxelles. Pour elle, c’est le déclic. “L’hospitalité passe d’abord par la table, la cuisine est là pour développer le vivre-ensemble !” En deux jours, elle lance avec des amies un projet de foodtruck, mobilise des artistes et récolte 30 000 euros en crowdfunding.

Puis elle s’installe dans des camps de réfugiés, dont celui de Grande-Synthe, où elle nourrit jusqu’à 350 personnes par jour en faisant cuisiner ensemble toutes les nationalités. À Arras, après avoir décroché 300 000 euros de mécénat, elle crée aussi le Grand Recho, un festival de cuisine solidaire faisant dialoguer réfugiés et population locale pendant une semaine.

En 2019, après trois ans sur la route, Vanessa cherchait un endroit pour poser ses casseroles, développer ses projets. La Caserne tombe donc à pic. En cuisine, elle fait appel à la cheffe Valentine Guenin, passée par de belles tables bistronomiques, comme le Berty dans le 13e arrondissement de Paris. Tous les produits qu’elle travaille sont locaux, achetés dans des coopératives ou chez de petits producteurs comme Zone Sensible à Saint-Denis (93). Le poisson est livré par l’entreprise de pêche durable Poiscaille. Valentine le précise également, elle “épluche au minimum ses légumes” puisqu’ils sont bio et se fait “un plaisir de transformer les restes pour avoir un frigo vide en fin de semaine !” Les sept réfugiés qui apprennent à ses côtés, afghans, soudanais ou érythréens, comme Iscay qui l’accompagne ce jour-là, sont aussi invités à partager leurs recettes.

Un modèle de restaurant à répliquer ?

Le résultat est là : ce midi, des retraités du quartier, des salariés en costard et des jeunes en basket remplissent presque la salle d’une cinquantaine de couverts. Un jour, une vieille dame du 16e arrondissement a demandé à Vanessa : “Vous croyez qu’on peut leur faire confiance?”, en parlant des réfugiés. Depuis, elle revient régulièrement, visiblement convaincue.

Pour demain, la Table du Recho a encore d’autres projets. Des ateliers cuisine sont peu à peu organisés les samedis, avec un repas gratuit à la clé pour susciter d’autres occasions de rencontre entre les réfugiés de la caserne et le public extérieur, ainsi que des soirées ciné-débat. Enfin, Vanessa cherche à consolider son modèle économique avec l’aide d’Antropia, l’incubateur de l’Essec. Pour l’heure, le projet, qui reçoit diverses subventions, couvre ses frais mais ne génère pas de profit. La création d’une SAS dont l’association sera actionnaire devrait permettre de développer davantage le service de traiteur, de former des réfugiés au maraichage, de trouver un lieu pérenne. Et, qui sait, de créer d’autres Tables du Recho ?

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