Partager la publication "Gerhard Krinner : “En Arctique, de grands enjeux internationaux se déploient”"
Un froid polaire, de la glace à perte de vue et des espèces endémiques emblématiques. L’océan Arctique, situé aux confins de l’hémisphère Nord, est une source de mystère sans fin. Pourtant, les scientifiques espèrent y faire de nombreuses découvertes dans les prochaines années. Mais, bien que difficilement accessible et méconnu du grand public, il suscite la convoitise des pays voisins.
WE DEMAIN a pu interroger Gerhard Krinner, climatologue, directeur de recherche au CNRS et expert du GIEC. Le scientifique de renom prendra part à l’une des expéditions à bord de la Tara Polar Station, la station polaire à la dérive imaginée par la Fondation Tara Océan. En attendant de pouvoir y étudier les causes, effets et conséquences du dérèglement climatique, le climatologue revient sur l’importance de cet écosystème hostile, mais non moins prodigieux.
Gerhard Krinner : Les océans couvrent 71 % de la surface du globe et l’océan Arctique est relativement petit donc de ce point de vue là, ce n’est pas forcément étonnant que quand on parle de l’océan de façon générale, l’Arctique n’en représente qu’une petite partie. Pourtant, depuis très longtemps déjà, on sait que c’est un des hotspots du changement climatique. Sur les 50 dernières années, il s’est réchauffé deux fois plus vite que la moyenne globale. C’est là que le dérèglement va être le plus intense, et c’est aussi en Arctique que les bouleversements dans la biologie vont être particulièrement forts.
Ce qui est problématique c’est que, tout comme l’Antarctique, cette région du monde est très difficile d’accès. Donc la quantité de données qui existe est évidemment beaucoup plus faible que dans des zones comme la Méditerranée ou l’océan Atlantique.
L’éloignement de cet écosystème et le manque de données qui existent expliquent que l’Arctique soit plus en retrait que d’autres océans. Les enjeux pour le grand public n’y sont pas les mêmes. Il n’y a pas de pêche par exemple. En termes de ressources et d’exploitation, ce n’est pas là qu’il y a – pour l’instant – des intérêts économiques immédiats.
Il n’empêche qu’en Arctique il y a de grands enjeux internationaux qui se déploient. Notamment entre la Russie et les autres pays qui y ont plus facilement accès. Il y a quand même une course à la banquise. On se souvient du drapeau planté en 2007 par la Russie sous le pôle Nord, à 4 261 mètres de profondeur. Si l’Arctique est oublié du grand public, je ne pense pas que ce soit le cas pour les puissances riveraines…
Encore une fois, c’est loin, c’est mystérieux dans l’imaginaire du grand public et il y a moins de données. Mais c’est aussi pour cela qu’il y a des projets majeurs qui émergent, comme la Tara Polar Station.
On savait que le changement climatique serait plus percutant en Arctique et on sait aussi que ça va continuer sur les vingt prochaines années, quoi qu’on fasse… L’épaisseur de la glace va diminuer, la durée de la saison libre de glace va augmenter, c’est inéluctable sur les deux prochaines décennies, même si on n’émettait quasiment plus de carbone dès aujourd’hui.
De plus, le changement climatique en Arctique a des conséquences globales : la fonte irréversible de la calotte de glace du Groenland, une forte augmentation du niveau des mers, le dégel de larges zones de permafrost en Sibérie et au Canada… Tout cela pourrait générer de fortes émissions supplémentaires de gaz à effet de serre et amplifier encore le réchauffement. Documenter cette transition, avoir une vision très claire de ce qu’il s’y passe et comprendre les mécanismes de cette transformation est d’une importance capitale.
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