Partager la publication "Gynéco face caméra : les tâtonnements de la téléconsultation"
Les gynécologues du centre médical Europe, à Paris, ne proposent plus que des rendez-vous par vidéo. Sauf si le médecin estime l’examen urgent et nécessaire. Sur les quinze gynécos du Centre, deux seulement assurent une permanence physique. Car depuis le 24 mars “
les sorties médicales ne sont autorisées [par le gouvernement]
que pour les soins qui ne peuvent être différés ou ne peuvent être assurés à distance”. Résultat, le nombre de téléconsultations gynécologiques en France a plus que doublé d’une semaine sur l’autre, selon les chiffres de l’Assurance Maladie : elle en enregistrait 726 la semaine du 9 au 15 mars, 1 401 la semaine du 16 au 22 mars, et près de 9 000 la semaine du 30 mars au 5 avril.
À l’accueil du centre médical, Célia est débordée : “
Avant je mettais cinq minutes à déplacer un rendez-vous. Maintenant je passe un quart d’heure avec les patientes pour leur expliquer cette nouvelle procédure. Et certaines viennent quand même, au risque d’être congédiées par l’échographe, reconverti en videur. ”
Comme Lise, une mère de famille, qui refuse de se connecter: “La docteure m’a proposé une téléconsultation sur Qare. Mais comment va-t-elle m’examiner ? Par camera ? ” Une question récurrente depuis fin mars.
Garder le lien pendant le confinement
“
Jamais une vidéo-consultation ne remplacera un examen en cabinet, reconnaît la gynécologue Joëlle Peyron-Chamoun
. Mais en ce temps de confinement, elle permet de garder le lien avec les patientes, de détecter d’éventuels problèmes, d’éviter des complications, et se révèle donc “mieux que rien” s’il n’y a pas d’urgence.
“On peut parfois établir un diagnostic différentiel (par élimination) ; par exemple, récemment, une inflammation du sein que la caméra m’a permis de voir.”
En cas de grossesse, la téléconsultation permet aussi de vérifier que la patiente n’a pas perdu ou pris trop de poids, que le bébé bouge bien. Ou encore la mise en place ou le changement de pilule, la prescription d’un traitement pour une pathologie qu’un questionnaire a suffi à établir, comme une mycose vaginale. “Surtout, on peut transmettre les résultats d’un examen en face-à-face et non par téléphone. C’est important de lire la réaction de la patiente à ce moment-là, de pouvoir la rassurer. Et puis d’être rémunéré pour ce moment”, précise le docteur Olivier Ami.
Formaliser la téléconsultation pour éviter les dérives
Une rétribution que certaines patientes ont du mal à comprendre, comme Laetitia. “Il me fallait uniquement un renouvellement d’ordonnance pour ma pilule. J’ai trouvé ça gros de prendre 30 € pour 2/3 minutes, me demander si tout va bien et si je n’ai pas de problème avec cette pilule et m’envoyer l’ordonnance ”. Joëlle Peyron-Chamoun précise : “On ne facture pas au prorata du temps passé avec la patiente, mais à la consultation.” Et souligne toutefois que “poser des questions fait partie de l’examen clinique. Celles qui semblent les plus anodines ne le sont pas”.
”Même si ce n’est pas un rendez-vous au cabinet médical, il convient de le formaliser, ajoute le docteur Yéhouda Benchimol, créateur du site Doctinet : une patiente m’a appelé de son portable alors qu’elle était en voiture. Je lui ai demandé de reprendre RDV quand elle serait disponible et au calme. Une autre m’a appelé, en train de fumer… Ce ne sont pas de bonnes conditions pour établir un diagnostic fiable.”
Des femmes plus détendues
Toutefois ces cas sont des exceptions. ”
Généralement, les patientes sont plus concentrées que d’habitude, elles vont à l’essentiel, selon Karine Morcel, qui exerce à Brest.
Je les trouve moins angoissées, plus naturelles dans la discussion. Je suis spécialiste de la fertilité, et le confinement me permet de les voir avec leur conjoint, de fournir au couple toutes les indications souhaitées ; et finalement d’avancer alors que les centres de procréation médicalement assistée (PMA) sont fermés et que l’horloge biologique, elle, ne s’arrête pas… “ Charlotte, enceinte du 8e mois a elle été soulagée de pouvoir suivre ses cours de préparation à l’accouchement pendant l’épidémie – un temps suspendus – avec une sage-femme en ligne, sans prendre de risque, sans avoir de déplacement à faire, et en associant là aussi son conjoint. “Nous sommes deux ou trois par séance sur Zoom, la discussion est fluide et l’ambiance est détendue.”
Fracture numérique
L’Assurance Maladie encourage actuellement cette nouvelle pratique par le remboursement à 100 % des téléconsultations, et la possibilité de prendre rendez-vous avec un gynéco que l’on ne connaît pas, sans passer par son médecin traitant. Une quinzaine de sites (Doctinet, Doctolib, MédecinDirect, Qare, CompuGroup Medical, etc.) offrent ce service… à condition de rentrer ses coordonnées, y compris bancaires. “
C’est là le frein principal, pour nos patientes, explique Célia
. Plusieurs refusent d’être prélevées de 30 euros alors qu’au centre elles ne payaient pas, elles se contentaient de présenter leur carte vitale”. D’autres femmes ne sont tout simplement pas à l’aise avec les outils numériques et sont donc privées de consultations.
Une autre gynécologue qui consulte notamment sur Doctolib s’inquiète elle du lien de dépendance que cette plateforme est en train de créer. “S’y inscrire devient la condition sine qua non pour être bien référencée.” En mars et avril, le service de consultation vidéo a été proposé presque gratuitement aux médecins. La startup prélève juste 1% des honoraires payés par le patient. “Oui mais en mai, combien nous coûtera-t-il ? Et que nous coûtera-t-il de sortir de ces plateforme, si nous le souhaitons ?…”