Partager la publication "Healthy, anxieux, décomplexé… découvrez votre profil alimentaire"
Le 3 octobre 2022, le groupe brésilien JBS, producteur de bœuf, poulet et porc a annoncé la fermeture de sa filiale américaine dédiée aux alternatives à la viande, deux ans après le lancement de ses premiers substituts. La firme brésilienne a indiqué se concentrer sur les marchés brésiliens et européens qui semblent plus réceptifs aux produits alternatifs à la viande.
Comprendre ce qui guide les préférences et les choix alimentaires des consommateurs est ainsi crucial pour les entreprises du secteur agroalimentaire. Or, ces choix résultent d’un processus complexe basé sur plusieurs facteurs tels les propriétés intrinsèques et extrinsèques du produit, les croyances et connaissances du consommateur ou encore le contexte de consommation.
Parmi les facteurs explicatifs des choix alimentaires, dans notre recherche, nous nous sommes intéressées à la prise en compte des conséquences de l’alimentation pour savoir : 1/ dans quelle mesure les consommateurs anticipent-ils certaines conséquences lorsqu’ils font un choix alimentaire ; et 2/ quelles sont ces conséquences et peut-on les classifier pour en dresser une typologie de consommateurs ?
Considération des conséquences futures
Lorsqu’un individu agit, le fait-il en tenant compte des conséquences futures que pourrait engendrer son action ou bien, au contraire, prend-il uniquement en considération les conséquences immédiates ? Selon la littérature, chaque individu aurait tendance à se préoccuper des conséquences futures de ses actions à des degrés divers. La Consideration of Future Consequences(CFC) serait une variable relativement stable, une disposition psychologique pouvant néanmoins évoluer selon l’environnement de vie de l’individu.
Des mesures spécifiques de CFC ont été développées au fil des années mais, les mesures existantes ne permettent pas de savoir de quelle(s) conséquence(s) il est question. Deux consommateurs peuvent obtenir un score identique et prendre en compte des conséquences complètement différentes : l’un pensera à des conséquences sur sa santé et l’autre sera motivé par des conséquences sur l’environnement.
Il n’est donc pas pertinent dans une logique marketing de s’adresser à eux de la même manière, c’est-à-dire avec les mêmes arguments. Il apparaît donc utile de savoir de quelles conséquences il est question lorsque l’on parle des conséquences futures de son alimentation. Nous avons mené une étude qualitative pour analyser cela plus en profondeur.
“On est devenu toxique”
Dans notre étude, 28 participants aux profils variés en termes sociodémographiques et de comportements alimentaires ont été interrogés. Les conséquences évoquées par les participants se regroupent dans deux catégories : les conséquences sur les autres et sur soi.
Dans la catégorie “conséquences sur les autres“, les conséquences sur l’environnement sont le plus souvent citées :
“Aujourd’hui on puise dans les réserves de la planète, on est devenu toxique pour la planète, on produit mal, on extrait mal.”
Cela illustre à quel point les consommateurs sont sensibilisés et sensibles à la question de l’impact environnemental de leurs choix alimentaires. S’en suivent les conséquences sur la condition animale :
“Je ne pense pas qu’un être sur cette Terre mérite de ne pas voir le soleil, vive dans 3m2, se fasse décapiter.”
Vient ensuite l’enjeu du lien social et des relations humaines, renvoyant ainsi à la notion de “commensalité” (l’acte de manger ensemble) de l’alimentation mais en tant que conséquence des choix alimentaires. Dans une moindre mesure, les participants ont également évoqué les conséquences de leur alimentation sur les conditions économiques du pays, l’emploi en soulignant notamment le caractère complexe des choix liés aux canaux de distribution sur l’emploi. Enfin, des conséquences sur les conditions de vie des producteurs ont été citées.
Au sein de la catégorie “conséquences sur soi“, les conséquences sur la santé physique sont les plus récurrentes :
“Les pommes que tu achètes au supermarché, tu la poses trois mois sur la table et elle ne bouge pas. En revanche, tu la prends chez ton maraîcher, une semaine après c’est foutu. En fait, on allonge l’espérance de vie de la pomme en raccourcissant la nôtre.”
Viennent ensuite les conséquences sur l’esthétique, le poids, la peau, sur la santé mentale, le bien-être et, pour finir, sur le pouvoir d’achat :
“Mon mode de consommation est purement budgétaire, ma première raison c’est bien le côté budgétaire.”
Six profils de consommateurs
Sur la base de cette étude, nous avons mené une analyse typologique qui révèle six profils distincts de consommateurs :
– Les peu concernés. Ce groupe s’exprime peu sur le sujet et apparaît peu impliqué dans l’alimentation. Ils semblent faire leurs choix alimentaires à l’instant t, prendre en compte les conséquences immédiates de l’alimentation, principalement la nécessité de combler leur faim. Ainsi, ils considèrent peu de conséquences futures lorsqu’ils font un choix alimentaire.
– Les altruistes. Leur point commun est la prise en compte des conséquences sur les animaux mais, celle-ci peut aboutir à différents comportements. Certains déclarent que c’est ce qui les a poussés à devenir végétariens ou végétaliens. D’autres parlent d’une récente prise de conscience à la cause animale (ils diminuent leur consommation de viande ou font attention à la viande consommée). La notion d’éthique envers les producteurs apparaît également chez certains, qui sont sensibles à leurs conditions de travail.
– Les éducateurs alimentaires. Ce petit groupe déclare se préoccuper des conséquences sur les autres, tels que sur l’économie du pays, l’emploi ou l’environnement. Ils souhaitent exercer une influence sur leur entourage en donnant le bon exemple pour leurs enfants afin de ne pas reproduire le même schéma d’éducation alimentaire que leurs parents.
– Les “healthy“. Ils s’intéressent à la nutrition essentiellement en raison de ses effets sur leur corps. L’esthétique est la conséquence la plus importante et celle prise en compte au quotidien dans leurs choix alimentaires. Dans un second temps, ils s’intéressent aussi aux conséquences sur les autres, comme s’ils recherchaient à travers l’alimentation un bien-être personnel puis collectif, un mode de vie sain pour soi, puis pour les autres.
– Les anxieux. Ils évoquent s’intéresser à beaucoup de conséquences et les prendre en compte dans leurs choix alimentaires. Il s’agit essentiellement de conséquences sur leur santé physique, parfois en raison de problèmes de santé. Concernant les conséquences sur les autres, ils évoquent quasiment toutes les conséquences, à l’exception de celles sur les animaux.
– Les décomplexés. Ils s’expriment beaucoup, mais davantage pour déclarer les conséquences qu’ils ne prennent pas en compte et ce, de manière décomplexée. Ils affirment aimer manger, aimer le côté convivial de l’alimentation, mais déclarent ne pas toujours se préoccuper de ce qu’ils mangent ou des conséquences. Ils justifient cela par un besoin de décompression, de profiter de la vie, de ne pas se prendre la tête avec le contenu de leur assiette. Faire attention à leur alimentation au quotidien leur semble difficile et démesuré.
Ainsi, il semble illusoire pour des chefs de produits ou de marques de vouloir créer un produit idéal qui prendrait en compte toutes les conséquences et mettrait, en ce sens, tout le monde d’accord.
Notre recherche montre qu’elles s’avèrent nombreuses et parfois contradictoires (difficile de concilier l’amélioration des conditions de vie des producteurs et de son propre pouvoir d’achat, par exemple) mais surtout, que les consommateurs eux-mêmes se distinguent selon celles qu’ils priorisent. Et vous, à quel profil de consommateur correspondez-vous ?
À propos des autrices :
Laurie Balbo. Professeure Associée en Marketing _ Directrice du Programme MSc in Marketing Management, Grenoble École de Management (GEM).
Andréa Gourmelen. Maître de conférences en sciences de gestion (marketing), Université de Montpellier.
de la transition écologique).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.