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Mon psy est un chatbot !

Dans le chat, le psy me salue d’un petit émoticône. “C’est sympa d’avoir de tes nouvelles aujourd’hui, écrit-il, qu’aimerais-tu faire ? Plusieurs réponses sont possibles : j’aimerais évaluer mon humeur, j’ai un problème, journal de gratitude… Si je sélectionne “j’ai un problème”, il me demande de le décrire. Il répond à mon long message dans la seconde et je comprends qu’il a détecté, dans mon texte, les mots “relations” et “chagrin”, car ce sont les deux thèmes sur lesquels il me propose de travailler.

Dix minutes plus tard, nous avons listé ensemble des pensées négatives récurrentes et il m’a enseigné le concept de distorsion cognitive. À la fin du “rendez-vous” je n’ai même pas besoin de sortir ma carte bancaire. Ce psy ne fait pas payer ses consultations : c’est un robot.

Pas de divan, pas de bureau et pas de paiement… Ces thérapeutes tiennent dans votre poche et n’ont pas vraiment le profil de l’emploi. Owlie est une petite chouette jaune et bleue, Mon Sherpa un petit personnage à bonnet et Woebot – avec qui je viens de discuter – ressemble au robot Wall-E des studios Pixar.

Tous trois sont des chatbots conversationnels inspirés par les TCC, les thérapies comportementales cognitives. Et chacun a vu son nombre d’utilisateurs augmenter pendant le confinement.

Clara Falala-Séchet, psychologue à l’origine de l’application Owlie, estime que son chatbot a gagné entre 100 et 500 utilisateurs quotidiens supplémentaires par rapport à la même période l’an passé. Du côté de Mon Sherpa, les 50 000 téléchargements enregistrés fin mai ont poussé les créateurs de l’application à y ajouter un module spécifique pour lutter contre les angoisses suscitées par la pandémie. La start-up américaine Woebot Labs déclare également avoir constaté une utilisation croissante de son application, même si elle n’a pas publié de chiffres précis.

Le Covid-19, maladie pulmonaire aux conséquences psychologiques

Selon l’OMS – l’Organisation Mondiale de la Santé – 1 Européen sur 4 sera touché par un trouble psychique au cours de sa vie. Le Ministère des Solidarités et de la Santé estime qu’en France, 15 % des 10-20 ans ont  besoin d’un suivi psychologique, et que 7,5 % des 15-85 ans ont souffert de dépression au cours des 12 derniers mois.

 

 

Selon les psychologues, la pandémie de coronavirus pourrait aggraver la situation. Les soignants des services de psychiatrie alertent depuis mai sur les conséquences psychologiques de la crise sanitaire. Le 16 juin dernier, ils se mobilisaient aux côtés de leurs confrères contre un “retour à l’anormal”. Ils ont déjà constaté une augmentation du nombre de patient atteints de pathologies mentales. Comme toujours, en psychiatrie, cela apparaît après coup, déclarait Roland Jouvent, psychiatre, à France Info. Les gens ont tenu, tenu, et maintenant ils craquent.

Les Nations Unies s’inquiètent également des “traces durables” que le Covid-19 pourrait laisser sur l’état de santé de leurs ressortissants : troubles psychologiques, deuil, anxiété, dépression, stress post-traumatique… “L’isolement social, la crainte de la contagion et la perte d’êtres chers sont aggravés par l’anxiété due à la perte de revenus et souvent de son emploi”, note le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS, dans ce rapport de l’ONU.

Comme un psy ?

Un chatbot permet-il réellement de lutter contre ces troubles ? “Vingt ans de recherche rigoureuse prouve que les thérapies comportementales cognitives DIY (Do It Yourself – Faites le vous-même) fonctionnent”, expliquent les créateurs de Woebot sur leur site internet. “Pour l’anxiété et la dépression, une TCC effectuée par Internet (voire grâce aux jeux-vidéo) peut être aussi efficace qu’une TCC délivrée par un thérapeute.”

Ils appuient notamment leurs dires sur une étude de 2012 identifiant les chatbots comme alternative potentielle à la thérapie pour les adolescents affectés de troubles dépressifs. Une seconde étude, menée en 2017, établi des conclusions similaires pour les adultes. Les premiers travaux universitaires menés sur Woebot montreraient, quant à eux, une réduction effective des symptômes dépressifs chez les personnes utilisant le chatbot, par rapport aux membres du groupe témoin.

L’initiative française Owlie, accessible par Messenger, fait d’ailleurs partie des outils numériques “pertinents dans la lutte contre l’épidémie” du Ministère de la Santé. Cette petite chouette manque peut-être de personnalité, mais elle vous permet d’évaluer votre humeur ou votre niveau d’anxiété, et vous propose de petits exercices pour vous améliorer. Et contrairement à un vrai thérapeute, elle a l’avantage d’être accessible à toutes les bourses, 24h/24.  “Owlie : ta chouette ressource disponible jour et nuit !” peut-on lire sur sa page Facebook.

L’application Mon Sherpa propose quant à elle des exercices destinés à calmer l’anxiété provoquée par la pandémie. Mais elle n’est pas gratuite : passé les 7 premiers jours, vous devrez débourser 5,99 € par mois pour continuer à profiter du service. Les anglophones peuvent miser sur Woebot, qui allie le meilleur des deux mondes : le logiciel est gratuit et a modifié son algorithme pour faire face aux spécificités de la crise.

 

Mais ces chatbots ne sont pas parfaits : Woebot a beau être le plus performant de tous – ce petit robot demande de vos nouvelles tous les jours, ajoute des gifs à ses conversation et se permet même quelques pointes d’humour –, il ne possède bien sûr pas l’empathie d’un être humain.
 

“Woebot n’est pas un service de crise, précise la page d’accueil du logiciel, écrivez SOS dans le chat et il vous suggérera des ressources extérieures.” En cas de passage à vide très sévère, les réponses du chatbot peuvent générer plus de frustration que de réconfort. “Je vois, ça ne doit pas être facile” : une réponse stéréotypée, pas forcément à la hauteur de nos confidences.

Mais les créateurs de ces chatbots n’ont jamais eu pour ambition de voir leurs petits robots remplacer psychologues ou psychiatres. Owlie et Woebot ont d’ailleurs été créés par des thérapeutes. Le chatbot français est né des efforts conjoint de Clara Falala-Séchet (psychologue) Igor Thiriez (psychiatre) et de Lee Antoine (pair aidant en santé mentale).

Quant à Woebot, il a été développé par une équipe de psychologues de l’Université de Stanford. “C’est la triste vérité : plus de la moitié de la population mondiale n’a toujours pas accès à un système de santé de base. Pour beaucoup d’autres, prendre soin de sa santé mentale n’est pas une option”, regrettent les créateurs du chatbot. Tant que les soins psychologiques ne seront pas accessibles à tout le monde, Woebot et ses jeunes cousins resteront d’utiles compléments.
 

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