Huit jours de fête en plein désert: “L’AfrikaBurn m’a transformée”

Certaines expériences vous transforment. AfrikaBurn est de celles qui m’ont permis de toucher des parts de moi que je ne soupçonnais pas. Vu de notre société bien cadrée, l’événement est répertorié dans la catégorie des festivals. Mes yeux, mon esprit et mes sens ont pourtant vécu une tout autre expérience en avril. AfrikaBurn n’est pas un simple festival, c’est un état d’esprit.

Chaque année depuis maintenant huit ans, au cœur de l’Afrique du Sud, le désert du Karoo accueille des « burners » venus du monde entier. Cette communauté éphémère de 9 500 habitants s’installe au milieu de nulle part pour vivre pendant sept jours sous le signe de tous les possibles. Petit frère du Burning Man américain, Afrika­Burn a été fondé par des “burners” du Nevada. Le principe ne change pas : un désert, une ville créée de toutes pièces, d’immenses constructions artistiques en bois et une philosophie fondée sur le respect, la créativité et le partage.

Ni eau courante ni réseau électrique

La préparation du séjour est déjà une aventure. Tout est à prévoir : nourriture, eau, tente, en prévision des 28 °C qui m’attendent en journée. Mais la véritable épopée commence dans le désert, après cinq heures de voiture au départ du Cap. La route se termine en cul-de-sac aux portes d’AfrikaBurn. Nous présentons notre billet acheté des mois auparavant par Internet. On nous délivre un bracelet, comme dans n’importe quel festival. Mais la comparaison s’arrête là.

Derrière les portes, le désert semble infini. Avant de l’explorer, un rituel se présente à moi. La tradition veut que chaque novice sonne un gong pour marquer le début de son expérience. Je n’y déroge pas. Me voilà sur la planète Burn ! Sur cette planète, le respect de la nature prime. Chacun est responsable de son impact sur l’environnement et la règle est de ne laisser aucune trace. De jour comme de nuit, les “burners” se baladent avec leur eau et un sac pour récolter leurs déchets.

Évidemment, pas d’eau courante ni de réseau électrique en plein désert. Quelques groupes électrogènes alimentent les chars et les espaces équipés de systèmes de sonorisation, alors que les campements se contentent de lampes solaires. En ce qui concerne l’eau : chacun la sienne. Pour ma part, je disposais de 5 litres par jour pour boire, faire la vaisselle et me laver. Je n’ai pas tout utilisé, même à raison d’une toilette quotidienne.

L’argent n’existe plus

L’argent n’existe plus – si ce n’est pour acquérir de la glace –, seul le partage est au programme. Selon la coutume, tous les participants apportent un cadeau. J’en recevrai plusieurs au cours de la semaine : porte-bonheur, shots de rhum, jus de citron bien frais… Un campement voisin offre même des douches chaudes, un bonheur après des nuits où les températures peuvent atteindre 12 °C en plein désert. Avec mes amis, ce sont des pastèques que l’on distribue autour de nous.

C’est avec une “tribu” que j’ai vécu l’aventure : la NowNow Tribe, qui depuis deux ans réalise des installations artistiques à AfrikaBurn. Ce collectif de douze personnes, principalement sud-africaines (hormis une Américaine, un Finlandais et deux Français : Yann, le photographe, et moi), débarque avec un grand arbre en kit. Ses branches et ses feuilles apportent de l’ombre et les racines accueillent ceux qui souhaitent “chiller”, autrement dit se détendre et profiter de l’instant. Pendant six mois, la NowNow Tribe s’est affairée à fabriquer cet arbre et à préparer l’événement.

C’est grâce à des amis qui en sont membres que j’ai eu la chance d’intégrer cette tribu, un mois seulement avant le départ. Comment pouvais-je imaginer me retrouver là, dans le désert, il y a encore un an et demi ? Je découvrais alors l’Afrique du Sud au hasard d’un voyage professionnel et ce fut le coup de foudre. Depuis maintenant huit mois, j’ai posé mes valises au Cap, où j’ai entendu parler d’AfrikaBurn dès les premiers jours. L’enthousiasme des “burners” et leur maxime – “Il faut le vivre pour le comprendre” –, ont suscité ma curiosité.

Un espace hors du temps, sans montres et smartphones

Ma tribu et moi sommes arrivés la veille de l’ouverture du festival. Belle entrée en matière que de voir cet univers se mettre en place. Avant le départ, on craignait de se perdre, alors on a investi dans des talkies-walkies. On ne les a jamais utilisés. Pour ma part, j’ai vite compris que je ne voulais pas être encombrée par cet appareil. Plus question d’imposer mes envies à qui que ce soit.

Car dans cet espace hors du temps, les montres et les smartphones restent à l’écart. On est loin de notre société hyperconnectée. J’ai l’impression de maîtriser mon temps ; de l’allonger quand je le veux ; de l’arrêter quand je le désire. Le désert y est pour quelque chose. Au cœur d’un environnement brut, la nature régente tout.

Les trois premiers jours, je reste dans l’observation et, pour être honnête, une pointe de peur est encore en moi. Le quatrième jour, je lâche prise. J’accepte de me laisser aller vers l’inconnu. Ce jour-là, je suis une princesse pirate, je vogue sur un bateau en plein désert, je danse sur un rhinocéros avec un magicien bleu, accompagnée d’un personnage tout droit sorti de Mad Max et d’un roi africain. Ce soir-là, la lune est une planète rouge sur les montagnes du désert.

Je suis ailleurs. Je côtoie des gens sans même savoir ce qu’ils font dans la vie ; on échange, on rit, parfois on refait le monde. Mais avant tout, on est. Je croise des hommes déguisés en femmes, des personnages surréalistes, des cracheurs de feu, des unijambistes, des naturistes, etc. Je me perds entre les campements et m’émerveille devant les œuvres artistiques présentées. J’ai des discussions profondes avec des enfants et je ris aux éclats avec des plus grands.

75 euros l’entrée

Les “burners” vivent l’instant présent. Ils font la “fête”. Un mot auquel, dans ce désert, chacun donne la définition qu’il souhaite. Certains absorbent des drogues, d’autres choisissent la grenadine. Il y a ceux qui dansent toute la nuit, ceux qui vaquent à des activités la journée (musique, yoga, improvisation théâtrale, Frisbee…), ceux qui célèbrent la vie en silence à l’écart de l’effervescence… et ceux qui font un peu de tout à la fois ! C’est mon cas.

Si les “burners” viennent du monde entier, on peut s’étonner du peu de diversité ethnique : le public est majoritairement occidental. Cela tient à des raisons économiques. Le ticket d’entrée est trop onéreux pour la population noire d’Afrique, qui reste majoritairement moins riche que la population blanche.

Et ce, même si le prix d’AfrikaBurn est trois fois moins élevé que celui du Burning Man : 1 000 rands l’entrée pour sept jours, soit 75 euros, contre 300 dollars pour son grand frère américain (270 euros). Au total, en comptant le transport et les articles achetés au préalable (eau, nourriture, matériel, location de la toile de tente…), j’ai dépensé 4 000 rands, environ 300 euros. Une somme qui peut représenter jusqu’à un mois de salaire en Afrique du Sud, où l’écart entre riches et pauvres reste aujourd’hui l’un des plus élevés au monde.

La semaine touche à sa fin. Cette plénitude que je suis venu chercher, je la ressens pleinement au cours des derniers jours, lorsque l’ensemble des œuvres artistiques en bois se met à brûler, comme le veut la tradition du Burning Man. Ce rituel m’a marquée : il est le symbole que rien n’est éternel, même ce qu’il y a de plus beau s’arrête un jour. Ce soir-là, j’ai vécu mon plus beau coucher de soleil.

Les règles imposées par nos sociétés

Huit jours après avoir sonné le gong, je ne suis plus tout à fait la même. Je suis une “burner”. Chaque jour a été une découverte, et cette expérience m’a offert une autre vision du monde et de moi-même, grâce à des codes si différents de ceux que je connaissais. Imaginez ce que nous pourrions faire si nous n’étions pas emprisonnés dans toutes ces règles imposées par nos sociétés. À AfrikaBurn, on est ce que l’on est.

Malissa Phitthayaphone
Photos : Yann Macherez

 

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