Partager la publication "J’ai testé le pouvoir antidouleur du clitoris"
Je me roule dans la couette. J’ouvre le premier tiroir de ma commode. J’en tire un sac en tissu noir. J’hésite : plutôt gode vibromasseur ou stimulateur clitoridien ? Je me décide pour le second. Je positionne son embout en silicone sur le capuchon de mon clitoris. J’allume le sextoy et ressens aussitôt la stimulation par « air pulsé » qui aspire légèrement mon organe. Je repense à la dernière vidéo pornographique que j’ai regardée. J’atteins l’orgasme en quelques secondes. J’éteins mon appareil. Je m’étire sur le lit et me demande quels vêtements porter. Une culotte ? Elle me fait mal. Un pantalon ? Il me fait mal. Une robe ? Ok.
Je souffre de vestibulodynie depuis quatre ans. Une douleur chronique de la vulve, également appelée vulvodynie ou vestibulite. Elle touche le vestibule, une zone minuscule située près du vagin. Chez moi, la douleur s’étend progressivement. Aux origines de ma pathologie, des infections urinaires à répétition, soignées par des antibiotiques dont l’action a entraîné des mycoses récidivantes. Un cercle vicieux dont je ne me sors qu’en interrompant la pénétration des pénis dans mon vagin.
Mais trop tard : les infections ont traumatisé ma vulve, et tout contact volontaire ou accidentel envoie un message de douleur à mon cerveau.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n° 34, paru en mai 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.
Aujourd’hui, je souffre de douleur chronique. Je ne supporte plus aucun rapport sexuel, plus aucun vêtement moulant, plus aucun vélo… Journaliste et aventurière, je ne porte que des leggings qui m’irritent légèrement. Je randonne énormément. La vestibulodynie touche une femme sur six à un moment de sa vie. Les traitements médicaux proposés sont nombreux, mais mal connus et inaccessibles en dehors des grandes villes.
Les douleurs génitales sont taboues, et je vis l’errance médicale depuis quatre ans. J’ai expérimenté: séance de sexothérapie, psychothérapie, kinésithérapie périnéale, traitements par corticoïdes, antidépresseurs, crèmes anesthésiantes, massages vulvaires. Certaines optent même pour l’opération chirurgicale, la vestibulectomie: on retire la peau du vestibule. Le résultat est aléatoire car les cicatrices peuvent créer d’autres douleurs.
Je n’abandonne pas la lutte. Je veux trouver un traitement. Ma sexologue parisienne me parle d’une consœur normande qui étudie « le pouvoir anesthésique de l’orgasme ». J’écris à la sexologue en question, Manon Bestaux. Elle me corrige: « C’est un peu raccourci » de parler d’orgasme et d’anesthésie. Elle travaille en réalité sur « la fonction analgésique du clitoris ». Sa simple stimulation pourrait être «antidouleur», comme le paracétamol, et soulager les douleurs utérines en cas de règles douloureuses, d’accouchement ou d’interruption volontaire de grossesse, par exemple.
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Manon Bestaux travaille au CHU de Rouen (Seine-Maritime) et mène une étude sur la fonction analgésique potentielle du clitoris : « Je suis la première à faire cette recherche en France et dans le monde. »
Elle doit trouver trente-deux femmes enceintes et les inviter à utiliser un sextoy, appelé ici « objet vibrant de détente », au moins deux fois pendant la grossesse et l’accouchement, pour soulager leurs contractions utérines. Simple étude de faisabilité. Peut-on convaincre les volontaires d’utiliser cet objet dans un contexte d’enfantement, sans gêne ? Manon Bestaux cherche la réponse.
Je m’interroge aussi. Son travail peut- il s’appliquer à ma vestibulodynie ? Puis-je soulager mes douleurs chroniques en me masturbant ? Mes orgasmes ne m’ont jamais guérie. Je propose à la sexologue de nous rencontrer, et elle me reçoit dans sa maison, en banlieue de Rouen, un matin ensoleillé de mars. Je connais déjà le pouvoir antidouleur de la masturbation sur les crampes menstruelles, pendant mes règles ou sur les douleurs d’endométriose chez certaines femmes.
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Mais pendant l’accouchement ? J’ai entendu parler de naissance orgasmique, c’est vrai… « L’orgasme ne soulage pas forcément la douleur », m’interrompt la sexologue. Elle ne s’intéresse qu’à la phase de stimulation du clitoris, « qui libère des endorphines » et provoque la détente. Les personnes enceintes peuvent utiliser un « objet vibrant de détente » pendant les contractions et elles en tirent un bénéfice. Manon Bestaux a déjà suivi sept femmes pour sa recherche. « J’ai du mal à en trouver car personne n’a encore le réflexe de leur proposer de participer. » Le sujet est tabou dans le milieu médical. Les laboratoires pharmaceutiques ne financent aucune étude. Le clitoris les effraie-t-il ? Sa stimulation, gratuite, pourrait remplacer des traitements médicamenteux… Manon Bestaux milite pour la création d’outils adaptés, différents des sextoys, afin de séparer la stimulation à visée analgésique de la sexualité. « Pour quelqu’un qui investira, il y a moyen de se faire de l’argent », assure la sexologue.
Concernant ma vestibulodynie, elle me conseille de « jouer avec mon vibromasseur, juste au-dessus du capuchon du clitoris », pour évaluer son effet sur mes douleurs, sans orgasme. Je dois réhabi- tuer mon corps au plaisir, au confort, à la détente. Manon Bestaux insiste : « Il faut bander. Les endorphines sont libérées quand le clitoris bande en phase d’excitation. L’orgasme n’est qu’un réflexe. » Je repense à l’affirmation féministe : « Le clitoris est le seul organe du corps humain dédié uniquement au plaisir sexuel. » C’est faux : il a aussi une fonction antidouleur.
Nous poursuivons notre discussion dans son jardin et elle me montre les « objets vibrants de détente » avec lesquels elle travaille. Un simple vibromasseur violet, et un « doigt vibrant de détente »,qu’elle enfile comme une bague. Il permet de masser longuement le clitoris, sans se fatiguer la main.
La sexologue ne peut me donner les premières conclusions de son étude : « C’est confidentiel tant qu’elle n’est pas terminée. » Mais elle a conseillé sa méthode à ses patientes. L’une d’elles « a trouvé ça génial, me glisse Manon Bestaux. Pendant son accouchement sans péridurale, elle a ressenti moins de douleurs grâce à la vibration. Dès qu’elle avait une contraction, elle utilisait le sextoy, et ça lâchait. » Je veux bien le croire, mais je doute de son efficacité sur ma vestibulodynie. Je prends néanmoins note de ses recommandations et retourne en voiture chez moi, à Alençon (Orne).
Une fois sous la couette, je privilégie mon gode vibromasseur pour éviter l’orgasme immédiat provoqué par le stimulateur clitoridien. Je le positionne sur le capuchon de mon clitoris, je l’allume et je me détends. Je ne pense à rien, j’attends dix minutes et je prends garde à ne pas jouir. Matin et soir, je renouvelle la méthode, espérant que mes douleurs diminuent en journée. Je suis pleine d’espoir. Je tiens le rythme trois-quatre jours. Pendant la stimulation, je ne ressens aucune douleur : c’est positif. Mais je ne porte aucun vêtement, cela m’étonne peu. Pendant la journée, en revanche, je souffre toujours de la vulve. Ma vestibulodynie ne recule pas. Elle s’accroche, et je me lasse des tentatives répétées pour l’éloigner. J’en conclus que la stimulation du clitoris a un effet analgésique immédiat qui ne dure pas. Je devrais utiliser mon vibromasseur 24/24 h pour voir mes douleurs disparaître. C’est impossible.
Je remercie Manon Bestaux de m’avoir initiée au pouvoir antidouleur du clitoris. Son étude devrait faire des émules, et c’est déjà le cas, puisqu’elle travaille avec des étudiantes en médecine et des sages- femmes qui préparent thèses et mémoires sur le sujet. La recherche, historiquement dirigée par des hommes, démarre à peine. « Dans d’autres cultures, je suis convaincue que la fonction analgésique du clitoris est utilisée depuis des millénaires », affirme Manon Bestaux. J’attends que les scientifiques s’intéressent à nos corps, à ma vestibulodynie. Je ne désespère pas de guérir un jour. Je patienterai.
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