Partager la publication "Jeux olympiques et climat : les athlètes se préparent à souffrir"
Ce 28 septembre 2019, aux Championnats du monde d’athlétisme de Doha, il fait encore 32 °C à 23 h 30, lorsque le départ du 50 kilomètres marche est donné. Le taux d’humidité de l’air est de 75 %. Après 16 kilomètres péniblement parcourus en une heure et vingt minutes, le Français Yohann Diniz, champion en titre et détenteur du record du monde qui se prépare aujourd’hui pour les Jeux olympiques de Tokyo, abandonne. Mis K.-O. par la chaleur.
“J’étais en péril”, se souvient-il. “J’avais l’impression de respirer de la vapeur d’eau. Comme si j’étais au-dessus d’une casserole en ébullition ou dans un hammam. Je n’avais plus de souffle, je n’avançais plus.”
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°31, paru en août 2020, disponible sur notre boutique en ligne.
L’organisation des championnats avait pourtant pris en compte les conditions climatiques particulières du Qatar. La compétition, qui se déroule en aout depuis sa création, avait été décalée à fin septembre-début octobre, lorsque les températures y sont plus clémentes. Normalement. Car le Qatar, bien qu’habitué à la chaleur, subit aussi le réchauffement climatique. Lors de ces championnats, les conditions se sont révélées encore plus difficiles que prévu.
“On mettait vraiment sa santé en jeu”, résume Yohann Diniz.
À l’épreuve du 50 km marche, treize autres athlètes ont comme lui abandonné la course. Parmi les vingt-huit qui sont allés au bout, aucun ne l’a fait en moins de quatre heures. Très loin du record mondial de Yohann Diniz (3 h 32).
Cette course a été une claque pour le sportif français, alors âgé de 41 ans. “Si je n’étais pas allé à Doha, j’aurais peut-être gardé des certitudes qui n’étaient pas les bonnes”, assure-t-il. Car le réchauffement climatique est parti pour durer. La température moyenne mondiale a déjà grimpé de 1 °C par rapport à l’ère préindustrielle (soit les années 1850-1900). Et elle pourrait aller jusqu’à 1,5 °C supplémentaire dès 2030, selon le Giec, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Les sports d’endurance et en extérieur sont ceux qui subissent le plus fort impact. Car leurs efforts sont longs et ils ne peuvent bénéficier d’équipements climatisés. Or, lorsqu’on n’y est pas préparé, la performance baisse de 0,5 % par degré, dès lors qu’on est au-dessus de 10 °C.
Ces nouvelles conditions ont convaincu Yohann Diniz d’adopter une méthode d’entrainement spécifique pour habituer son corps aux températures élevées. D’autres, qui ont terminé la course du 28 septembre, s’y étaient déjà mis. Depuis décembre 2019, l’athlète a donc mis en place un programme d’entrainement dans une chambre thermique au Portugal, en vue des prochains Jeux olympiques d’été au Japon. D’abord prévus en juillet-août 2020, les Jeux olympiques ont finalement été reportés à 2021 en raison de la pandémie de Covid-19. Mais à la même période de l’année, qui se caractérise au pays du soleil levant par son climat chaud et humide. Le Comité olympique international (CIO), qui a aussi retenu la leçon de Doha, a toutefois décidé de délocaliser les épreuves de marche et de marathon de Tokyo à Sapporo, dans l’ile d’Hokkaido, plus au nord.
À lire aussi : Jeux olympiques : Quel est l’impact carbone des compétitions ?
Au Portugal, Yohann Diniz est suivi par une équipe dirigée par le professeur Amândio Santos, de la faculté des sciences du sport et de l’éducation physique de l’université de Coimbra. Désormais, le marcheur français a compris que “la chaleur, c’est un peu comme l’altitude”. Il faut habituer son corps à ce type de condition. Et pour cela, il s’entraine dans une cabine dont on peut régler la température et le taux d’humidité. En France, la société qui domine le marché est Thermo Training Room. Il existe actuellement une quinzaine de ses chambres thermiques dans le pays, dont une au club de foot du Paris-Saint-Germain.
La plupart ont ouvert ces deux dernières années, selon le dirigeant de la société Thermo Training Room, Vincent Leclerc. La première a été développée en 2013, en partenariat avec le département de la recherche de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), à Paris. Cyril Schmit, alors chercheur à l’institut, a suivi les programmes d’entrainement de plusieurs athlètes dans cette cabine, en vue des Jeux olympiques de Rio, en 2016. Avec eux, il a analysé les effets des séances pour acclimater le corps à la chaleur.
Lorsqu’ils sont réguliers, ces entrainements permettent d’éviter les effets négatifs de la chaleur. Qui peut entrainer selon lui une “dérive physiologique généralisée”. En multipliant les passages en chambre thermique, le corps s’habitue progressivement à ces effets et adopte de nouveaux réflexes. Il apprend à bruler un peu moins de sucre et à stocker davantage d’eau pour moins se déshydrater. Mais apprend aussi à transpirer davantage, pour essayer de maintenir la température corporelle à 37 °C. La fréquence cardiaque ralentit pour mieux s’adapter aux sensations d’effort. Résultat, le confort face à la chaleur s’améliore.
L’athlète est capable de prendre de meilleures décisions, plus rapidement. Car lorsqu’une personne n’est pas habituée à la chaleur, elle réagit de manière plus impulsive ou oublie de s’écouter. Les chambres thermiques permettent aussi de s’acclimater à l’humidité, pour en inverser les effets sur le corps. Sans entrainement, un taux d’humidité de l’air élevé augmente en effet la température corporelle. Et il devient plus difficile de transpirer. Ce type d’entrainement doit néanmoins être “long et répété pour permettre à l’athlète de revenir à ses performances de départ dans des conditions de chaleur et d’humidité”, conclut Cyril Schmit. L’idéal est de compter quatorze jours complets d’acclimatation, à raison d’une heure d’exercice par jour en chambre thermique.
Les effets du “thermo training” varient cependant sur chaque athlète. L’égalité face à la chaleur, ça n’existe pas. C’est comme pour l’altitude, tout le monde n’a pas le même bagage physiologique. Pour Yohann Diniz, les premiers jours d’exposition à la chaleur ont été “assez compliqués”. Heureusement, il est bien suivi. L’équipe qui l’encadre le soumet à une batterie d’examens afin de personnaliser au mieux son entrainement. Test d’urine pour mesurer sa température corporelle et son taux d’hydratation, pesée, mesure de la variabilité de sa fréquence cardiaque, prise de sang pour connaitre le volume de son plasma ainsi que son taux d’acide lactique (qui détermine comment le corps métabolise le glucose)…
C’est seulement après qu’il peut grimper sur le tapis de course pour une heure d’exercice, dans les conditions de température et d’humidité d’un été à Sapporo. Soit un effort fourni entre 30° et 34 °C et entre 75 % et 90 % de taux d’humidité dans l’air. Tous les quarts d’heure, une caméra thermique détecte les zones de son corps qui se réchauffent le plus. Et le nombre de litres d’eau perdus est mesuré. Pour Yohann Diniz, ça peut monter jusqu’à trois litres par heure. Ce qui veut dire que sur plus de 3 h 30 d’effort, il faut apporter près de 10 litres d’eau à son organisme.
D’autres techniques peuvent être prises en compte, en plus de l’acclimatation en chambre thermique. Grâce à la caméra thermique, Yohann Diniz sait désormais que c’est surtout au niveau de sa carotide que sa température augmente le plus. Cela touche donc son cou, sa nuque et jusqu’à sa tête. Pour rafraichir cette zone lors de la compétition, son équipe essaye de concevoir avec des ingénieurs une sorte de casquette-cagoule. Avec un tour de cou rempli de poches de glace, à changer régulièrement. Le marcheur teste aussi des boissons avec différents dosages en minéraux. En particulier en sodium. Très rapidement éliminé par la transpiration et qui aide pourtant à retenir les pertes d’eau pendant l’effort.
L’alimentation peut ainsi jouer un grand rôle dans l’acclimatation du corps à la chaleur. Patrice Gergès, directeur technique national à la Fédération française d’athlétisme, s’en est rendu compte lors des Championnats d’Europe de 2018, à Berlin, où il faisait déjà très chaud : “Les assiettes des Français n’étaient pas du tout adaptées à la chaleur, parce qu’ils ne sont pas habitués à ces conditions. Alors que les Turcs, eux, prennent de la soupe le midi, qui apporte à la fois du liquide et des sels minéraux.”
Changer la localisation des compétitions internationales pourrait-il aussi changer la donne ? Une étude scientifique publiée en 2016 dans la revue britannique The Lancet évaluait qu’en 2085, la plupart des villes de l’hémisphère nord, où vit 90 % de la population mondiale, auraient un climat trop chaud pour accueillir des Jeux olympiques d’été “tels que nous les connaissons actuellement”. Seules huit villes de plus de 600 000 habitants, la taille jugée nécessaire pour accueillir les JO, en seraient encore capables.
Et si on inventait à la place les JO d’automne ? Avant l’annonce du report des Jeux olympiques de Tokyo, Yohann Diniz ne décolérait pas contre la planification de l’évènement. “Pourquoi ont-ils été programmés entre juillet et août ? On sait que c’est la pire des périodes. Décaler à octobre mettrait beaucoup moins en danger les athlètes.” Ce serait en outre un clin d’œil à 1964, où Tokyo avait déjà accueilli les Jeux olympiques d’été… en plein mois d’octobre.
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