Partager la publication "Monnaies hélicoptères : un nouveau revenu universel ?"
À Kyjov, en République Tchèque, début mars à la réouverture des commerces, les habitants pourront régler leurs achats en corrent, nom de la nouvelle monnaie locale – une contraction des termes Covid et currency (monnaie en anglais). La devise a été pensée pour relancer la consommation locale et pour relocaliser la production, dans le contexte de pandémie.
La monnaie sera distribuée gratuitement aux 2 000 personnes qui se sont portées volontaires. Ces dernières recevront chacune 400 corrents, l’équivalent de 400 couronnes tchèques (15 euros). Ils auront 30 jours pour dépenser cette somme dans les commerces qui participent à l’expérience, comme des bars, des restaurants, des épiceries de produits locaux, une auto-école, des coiffeurs, des cinémas… Pour chaque achat, les clients payeront la moitié de la somme en corrents et l’autre en couronnes tchèques.
“Le projet vise à relancer l’économie en incitant les habitants à réaliser leurs achats dans des commerces locaux”, explique l’auteur du projet, Pepe Rafaj. “La monnaie reviendra ainsi dans l’économie locale, elle permettra de limiter l’effondrement des commerces, réduira le chômage et renforcera les liens entre citoyens”, détaille l’économiste sur son site.
La somme initiale de 800 000 couronnes a été offerte par une fondation mais, selon Pepe Rafaj, à l’avenir, le projet pourrait aussi être financé par l’État, des collectivités ou des fonds européens.
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D’autres initiatives comparables ont été mises en place dans plusieurs villes. Ainsi, Genève a décidé de soutenir la monnaie complémentaire, le léman. Pour relancer l’économie locale, la ville offre des bons d’achats avec 33 % de rabais à ceux qui payent leurs achats dans les commerces qui acceptent la devise citoyenne du bassin lémanique. Ces “bons solidaires” sont disponibles jusqu’au 28 février 2021 et utilisables jusqu’au 31 décembre 2021.
Même principe à Québec qui a récemment déployé des “dollars solidaires” sur son territoire. La ville a procédé à trois émissions pour un montant total de près de 500 000 dollars solidaires. En juin dernier, 130 000 dollars solidaires ont été proposés avec différents bonus : 20 dollars s’échangeaient contre 30 dollars solidaires, 50 dollars contre 100 dollars solidaires et 100 dollars contre 250 dollars solidaires. En moins de 24 heures, les forfaits avaient tous été écoulés !
L’avantage est indéniable puisque, en boutique, les dollars ont la même valeur et les commerçants se font ensuite rembourser auprès des autorités. Lors de la deuxième émission, le “bonus” était de 25 % et la troisième émission est toujours en cours.
“Dans le contexte de faible taux d’inflation et de fort taux de chômage, cet outil de relance monétaire par la demande est efficace, c’est un moyen de reterritorialiser les échanges”, précise Maxence Joseph Fontugne, économiste et cofondateur du dollar solidaire.
Ces monnaies locales avec un effet bonificateur sont pensées pour être utilisées rapidement, cette rapidité dynamisant théoriquement les territoires. “L’idée est en train d’essaimer ! Des projets comparables voient le jour dans les provinces alentour”, se réjouit l’économiste.
“À Genève avec le léman ou au Québec avec le dollar solidaire par exemple, les autorités ont mis en place des dispositifs pour distribuer un pouvoir d’achat utilisable sur un territoire donné. L’objectif est de réinjecter des revenus dans l’économie réelle sur un territoire restreint. Ces distributions de monnaies locales combinent des effets de relance par injection de revenu à des dispositifs de soutien à l’activité locale. Cela peut aider à protéger et soutenir les économies de proximité qui souffrent énormément en ce moment”, estime Jérôme Blanc, économiste spécialiste des monnaies locales.
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Ces projets se rapprochent du principe de monnaie hélicoptère. La paternité de ce terme revient au néolibéral Milton Friedman qui, en 1960, a imaginé un système où de l’argent tombe du ciel, lâché depuis un hélicoptère ! Ces billets directement versés au consommateur peuvent théoriquement stimuler rapidement l’économie. Certains économistes plaident pour le déploiement d’une monnaie hélicoptère à l’échelle européenne. Dans ce cas précis, la banque centrale européenne verserait une somme d’argent directement aux citoyens de la zone euro et sans contrepartie. C’est la proposition détonante de l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran !
“Aujourd’hui, la monnaie créée par la banque centrale tourne en boucle dans la sphère financière. La transmission à l’économie réelle ne se fait pas assez”, explique l’économiste. “Il faut que la monnaie centrale soit directement transférée aux ménages et aux entreprises pour stimuler à la fois la demande et l’offre”, plaide la spécialiste. Cette dernière explique que l’institution centrale pourrait transférer pendant un an 200 euros aux 288 millions les citoyens de plus de 15 ans de la zone euro pour un coût de 60 milliards d’euros par mois, “l’équivalent du montant mensuel des achats d’actifs sur le marché obligataire en 2015, bien en dessous de ce que pratique la BCE aujourd’hui”, indique la maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Une initiative comparable a été mise en place à Hong-Kong en février dernier. Pour amorcer la reprise économique, le gouvernement a décidé de distribuer 10 000 dollars hongkongais (environ 1 180 euros) à tous les résidents permanents de la ville, qui ont au moins 18 ans, un système proche du revenu universel. Mais, ici “le transfert vient du budget de l’Etat et fait augmenter la dette“, indique Jézabel Couppey-Soubeyran qui défend elle la création “d’une monnaie libre de dette”. Pour l’heure, ce principe de “monnaie hélicoptère” reste donc encore purement théorique.
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