Partager la publication "Montagnes d’Europe : comment sortir de la sur-industrialisation ?"
En décembre 2021, la marque Patagonia a dévoilé “Vanishing Lines”, un court-métrage de 18 minutes, pour dénoncer l’expansion des stations de ski qui menace les derniers glaciers existants dans les Alpes. Une manière de plaider pour la défense des derniers espaces sauvages dans nos montagnes et de dénoncer le projet de liaison entre les stations Pitzal et Ötzal dans le Tyrol Autrichien. Un film qui soulevait également des questions cruciales : quel futur y-a-t-il sans les glaciers naturels ? De combien de stations de sports d’hiver avons nous réellement besoin ?
Patagonia a organisé ce jeudi 24 février une table ronde pour évoquer l’avenir de ce massif montagneux le plus industrialisé du monde (plus de 25.000 km de pistes !). Pour discuter de ce sujet, étaient invités quatre experts : Fiona Mille (Mountain Wilderness France), Jean-Baptiste Bosson (scientifique glaciologue), Niels Martin (La Grave Autrement) et Mathieu Ros Medina (POW, Protect Our Winters, Les Passeurs et Backcountry Magazine). L’occasion d’évoquer l’origine du problème, les enjeux actuels mais aussi l’espoir pour l’avenir alors que les montagnes ont été désignées comme un enjeu crucial de la COP26.
“En France, tout commence dans les années 60 avec le Plan Neige, explique Fiona Mille, consultante Résilience et Écologie Industrielle et Territoriale. De là, sont nées des stations de ski comme La Plagne, les Ménuires, Val Thorens, etc. Ce fut aussi le début d’une vision aménagiste des territoires de montagne. Une vision dont il faut maintenant sortir mais ce n’est pas simple : il y a la difficulté de la dépendance actuelle des territoires. Rien qu’en stations, cela représente 120.000 emplois. Il faut aussi avoir une vision globale : la construction de remontées mécaniques , ce n’est qu’un petit maillon du problème. Il y a aussi les routes, les lacs aménagés, les terrassements multiples pour, par exemple, assurer des retenues d’eau en prévision de l’utilisation de canons à neige l’hiver.”
Rappelant que cette chaîne de montagnes est la plus peuplée et la plus industrialisée du monde, le scientifique Jean-Baptiste Bosson rappelle que “les glaciers sont une composante clé de l’équilibre de la planète. Ils représentent environ 10 % des terres émergées sur la planète. Le climat va changer si on perd les glaciers car ils stockent énormément d’eau et donc influencent les niveaux marins. L’eau de fonte des glaciers est aussi très importante pour fournir de l’eau douce aux êtres humains à proximité. Les glaciers et les écosystèmes qui en découlent sont eux aussi très intéressants car ils augmentent la résistance et la résilience des territoires face aux changements globaux.”
Il y a 220.000 glaciers sur Terre, dont 600 glaciers en France. Et 3000 à 3500 glaciers dans l’ensemble des Alpes.
Jean-Baptiste Bosson, glaciologue
Mais, aujourd’hui, qui plus est avec le réchauffement climatique, il est très compliqué de protéger les glaciers. “Le mot glacier n’existe pas dans les lois en France, rappelle le glaciologue. Ce sont pourtant sont les premières victimes des aménagements humains. Face aux gros enjeux écologiques, il faut donc trouver un nouvel équilibre hommes-nature. Il faut avoir une autre lecture sur la haute montagne pour partager les biens communs.”
Alors, comment faire en sorte de trouver la balance entre économie et écologie ? “Il faut déjà réaliser le coût pharamineux des nouvelles installations. On parle de 110 millions d’euros pour la nouvelle gare de téléphérique à Chamonix. La liaison inter-stations entre Les Deux Alpes et l’Alpes d’Huez en Oisans, c’est 60 millions d’euros. A-t-on aussi besoin d’une nouvelle ère de stationnement pour camping-car en haut du col du Lautaret ?”, interroge Fiona Mille.
Fin septembre 2021, se sont tenus les États Généraux de la Transition du Tourisme en Montagne dans le but de réfléchir collectivement à un avenir pour la montagne. “On oppose souvent écologie et économie mais, à moyen ou long terme, les deux sont forcément le même chemin, souligne Jean-Baptiste Bosson. S’il n’y a plus de glaciers, le coût économique sera énorme. Durabiliser les pratiques est donc le meilleur choix économique que l’on peut faire.”
“Il faut respecter la richesse et la singularité des montagnes. Pourquoi construire toujours à l’identique les stations de ski quand la spécificité des terrains devraient guider les pratiques sportives…, pointe Fiona Mille. Cela ne peut pas être pareil partout. De même, il faut abandonner les mono-activité économiques, qui ne peuvent pas faire vivre la montagne à l’année, pour privilégier la variété. Notamment en favorisant des activités qui ne sont pas directement liées à la montagne. Je pense à des activités sociales, de l’agriculture ou encore de l’artisanat.”
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