À défaut d’attiser la curiosité des riverains dans les proportions escomptées par l’inventeur, l’expérience relais-colis, qu’il a initié voila quelques mois, a le mérite d’arrondir ses fins de mois. Pas suffisant pour la poursuivre, juge-t-il, consterné de voir sa boutique, ouverte en 2006, en voie d’être réduite à un dépôt : « Tout ce monde de l’économie de marché dégénérée, fait de promos bidons, de marchandises pauvres, le contraire exact d’une économie libre, a tendance à déteindre sur la boutique. Un monde que j’ai rejeté en entreprenant en 1995 et que, fortuitement, je retrouve ici. »
De la science-fiction à Montrouge
Stilic Force, c’est aussi SF, comme science-fiction. Volontaire ou non, la référence fait sens aux yeux du visiteur qui arrive devant la Boutique du Futur. Un magasin-atelier un peu bordélique, qui jouxte une petite cuisine ouverte. Il offre d’ailleurs volontiers un café à celui qui ose s’arrêter pour discuter. Il a le temps, ou plutôt, il s’offre le luxe d’avoir le temps. « En pleine journée, je peux passer une heure à regarder une interview d’un philosophe des années 1980, avoue-t-il sans gêne, je suis un tout petit peu paresseux, c’est un défaut très intéressant philosophiquement ». Paresseux ? Pourtant il enseigne le design dans des écoles spécialisées, il imagine plusieurs objets par semaine, édite un « organe semestriel de propagande » et trouve même le temps d’écrire des livres, dont l’un s’intitule, ironiquement, Ma retraite à 29 ans. L’homme philosophe également sur le rapport au travail, les modes de vie, l’économie. Tout est lié. Et tout se retrouve dans les produits qu’il crée.
Du « Made in Ile de France »
A la tendance récente du « Made in France », Nicolas Trüb veut adjoindre celle d’une consommation plus démocratique. Quand on lui demande si le secteur du luxe, qui n’a jamais renoncé à la la production hexagonale, peut être pris en exemple, il tempère : « Ils peuvent fabriquer leurs produits en France mais personne ne peut se les procurer. Chez moi, le mec qui a fabriqué l’objet doit pouvoir se l’acheter à la fin du mois, c’est une question de justice ». C’est en cela que l’industrie peut, selon lui, être démocratique. « Un produit est reproductible à l’infini et, plus la série est importante, moins le prix est élevé. »
Ce n’est pas encore l’apanage des produits issus de l’impression 3D, dont les coûts restent élevés. Cette technique, « c’est l’avenir au présent », reconnait-il pourtant, tout en restant sceptique. « La 3D supprime les contraintes et ce n’est pas bon pour la créativité. » Bon, il a quand même transmis le plan d’un petit pied de lampe rouge à un copain, pour essayer. Cela n’a pas suffit à le convaincre du potentiel supposé « révolutionnaire » de cette technique. « L’imprimante 3D ne fera pas plus de bons designers que la démocratisation de l’appareil photo n’a fait de bons photographes », affirme-t-il, soulignant que pour le moment, rien de commercialisable n’est sorti de la machine, si ce n’est un bracelet en plastique extrêmement cher pour ce que c’est. Et donc réservé à une élite, à l’opposé de ses principes.
« C’est le suffrage universel appliqué à l’économie »
L’opinion du public est, pour lui, le seul indicateur qui vaille, « c’est le suffrage universel appliqué à l’économie ». « Je ne crains pas la critique populaire, je la recherche, insiste-t-il. La parole du peuple, même agressive, a toujours un fond de vérité. » Et de tacler, au passage : « Je défie n’importe quel designer connu de prendre un stand et de se confronter au public. Starck, on verra combien de produits il peut vendre dans un environnement où personne ne le reconnait ! »
Dans sa ville, Nicolas Trüb commence à l’être, connu. Davantage grâce au relais-colis qu’à ses inventions mais quand bien même. De toute façon l’expérience touche à sa fin. Il s’apprête à « refiler le bébé à [sa] fidèle quincaillerie Dessaint, qui pourra ainsi mieux se faire connaître des nouveaux Montrougiens, persuadés que rien n’existe en dehors de Leroy Merlin et Bricorama ».
Elisabeth Denys
Journaliste web / We Demain
@ElissaDen
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