Planté sous Henri IV, le plus vieil arbre de Paris a vécu l’incendie de Notre-Dame

À l’ombre de Notre-Dame de Paris se cache un trésor qui a traversé les époques, jusqu’à braver la chaleur de l’incendie qui a frappé la cathédrale en avril. Du haut de ses 15 mètres, le Robinier du square René Viviani (Ve arrondissement) est un monument à lui-seul.

Le plus vieil arbre de la capitale est âgé de 418 ans et, grâce à la politique de préservation de la Ville de Paris, il trouve aujourd’hui une seconde jeunesse. Retour vers le passé, et coup d’oeil vers le futur, de cet arbre quatre fois centenaire.

Il était une fois… le robinier faux-acacia

Son histoire commence par une petite graine en provenance de l’est Américain, dans la région montagneuse des Appalaches. Nous sommes à la fin du XVIe siècle, Jean Robin, le jardinier simpliciste (celui qui s’occupe du jardin médicinal) d’Henri IV, introduit l’espèce en France.

Le robinia pseudoacacia, de son nom latin, est d’abord planté dans un petit jardin au bout de l’Île de la Cité, désormais connu sous le nom de square du Vert-Galant. À la construction du Pont Neuf, Robin doit déplacer son jardin. Il récupère quelques arbres, et les replante de l’autre côté de la Seine, dans différents collèges du Quartier Latin et au Jardin des Plantes.

Un des robiniers se voit attribuer une place de choix, devant l’Église Saint-Julien-le-Pauvre, la plus vieille de la capitale. Quelques dizaines de mètres à peine le séparent de la Seine et de Notre-Dame de Paris. L’arbre s’y est enraciné en 1602 et n’a, depuis, jamais bougé.

Témoin du temps qui passe

En 418 ans, le robinier faux-acacia du square René-Viviani a été un témoin privilégié de la vie parisienne. Des écrivains illustres du Ve arrondissement aux touristes munis de perches à selfie, il a vu défiler les gens et les époques. 

Avec l’âge, le vieil arbre s’est affaibli et a eu besoin d’un peu de soutien. Un étai en béton, construit il y a une quarantaine d’années, permet d’éviter que son tronc ne s’effondre, car il pousse de biais. 

Mais son âge avancé n’est pas une tare, bien au contraire. “Un arbre vieillissant a des qualités autres qu’un petit gamin tout nouveau, par rapport au réchauffement climatique, mais aussi la faune, la flore, les insectes et les oiseaux qui profitent de ses nombreux recoins et cavités. Les vieux arbres sont très précieux”, affirme Georges Feterman, président de l’association A.R.B.R.E.S.. 

Un arbre remarquable

En 2015, l’association A.R.B.R.E.S. a décerné à ce robinier faux-acacia, ainsi qu’à 14 autres végétaux parisiens, le“arbre remarquable de France”. “Il est remarquable par son âge, pas par son esthétique”, précise Georges Feterman. “Ce n’est pas le plus bel arbre de Paris, mais c’est à coup sûr le plus vieux. Et c’est aussi le premier robinier qui a été introduit en France.”

Ce label engage le propriétaire de l’arbre – la Ville de Paris – à protéger le robinier tant qu’il est vivant. Un titre honorifique mais efficace, puisqu’il a permis de le sauver : 
 

“L’attribution du label a réellement relancé l’idée de préserver cet arbre qui sombrait un peu dans l’oubli et qui aurait été viré pour raisons de sécurité”, explique le président de l’association. 

Ce faux-acacia n’est pas le seul dont le sort a été épargné par l’association. Pour entreposer le matériel de restauration après l’incendie de Notre-Dame de Paris, il a un court instant été question de couper tous les arbres à son chevet, dans le square Jean-XXIII. “On a évité le pire”, raconte Georges Feterman. “Une catastrophe déjà ça va, pas la peine d’en ajouter une autre, plus modeste certes, mais catastrophique quand même !”

Un patrimoine souvent oublié

Le robinier était aux premières loges lors de l’incendie de Notre-Dame, en avril dernier, mais la Seine l’a protégé des flammes. Dans le square René-Viviani, les touristes et passants lui tournent souvent le dos, pour admirer Notre-Dame, et désormais s’attrister sur sa toiture calcinée.

Peu de gens savent qu’ils se tiennent à côté d’un autre morceau de l’histoire : “Tout l’enjeu de notre association est de montrer que ces vieux arbres aussi sont un patrimoine, ce dont n’a pas spontanément conscience le public.”

Parfois, des guides font le détour par le square pour montrer le plus vieil arbre de la capitale, mais les touristes semblent moins sensibles au charme des feuillages qu’à ceux de la cathédrale : “Il se passe ce qui se passe toujours, les gens font un selfie et ils s’en vont, ils n’en ont rien à faire de l’arbre”, déplore Georges Feterman.  

Il y a quarante ans, avant l’installation d’un panneau explicatif sur le tronc du robinier, un autre arbre lui volait même la vedette : “À 20 mètres, il y avait un gros noyer du caucase, pas très vieux, moins d’un siècle, mais il paraissait énorme par rapport au robinier. Les gens s’extasiaient devant le noyer en pensant que c’était lui le plus vieil arbre de Paris”, s’amuse le professeur de sciences naturelles. 

Depuis, le noyer du caucase a été abattu pour des raisons du sécurité, et le robinier faux-acacia est davantage valorisé. 

De beaux jours devant lui

Un banc circulaire a été installé autour de l’arbre, en plus d’une barrière de protection, pour éviter le piétinement – qui abîme les racines – et empêcher les curieux de toucher le tronc de 418 ans : “C’est la mode de faire des câlins aux arbres pour prendre leur énergie. Celui ci on ne peut pas lui faire de câlin, et tant mieux pour lui !”

Désormais à l’abri, le robinier continue de s’épanouir, et de se reproduire. S’il n’est pas sûr que le vieux tronc tienne encore longtemps, les rejets, eux, ont de quoi assurer la pérennité de l’arbre, pour lui donner une seconde vie, presque à l’infini :

 “Un spécialiste a observé qu’à l’intérieur du vieux tronc, il y a une repousse. C’est une jolie perspective d’avenir, fait remarquer le président de l’association. Avec les rejets, qui sont des clônes de l’ancêtre, le robinier est inépuisable, il a de beaux jours devant lui.”

Le plus vieil arbre de Paris a donc tout son temps pour observer l’avancée des travaux de sa voisine, Notre-Dame, et attendre patiemment qu’elle retrouve sa grandeur d’antant. 

Retrouvez notre dossier sur les arbres dans le n° 27 de We Demain, en kiosque, librairie, et sur notre boutique en ligne. 

Georges Feterman publiera L’arbre dans tous ses états, aux éditions de La Chenelière, fin septembre 2019.
 

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