Partager la publication "Quand la peinture révèle l’assiette de nos ancêtres"
Comment retracer l’évolution de la fraise, du blé ou de la carotte à travers les âges ? Plusieurs approches tentent de mieux connaître le contenu des assiettes de nos ancêtres. Notamment la recherche archéologique et ADN ou le recueil d’informations historiques dans les textes. Mais voilà qu’une nouvelle méthodologie fait son apparition… Elle complète les deux précédentes, en alliant les compétences d’un généticien et d’un chercheur en histoire de l’art, deux Belges, amis de longue date. Ive De Smet, biologiste à l’Institut flamand de recherche en biotechnologie de Gand (VIB/UGent) et David Vergauwen, professeur d’histoire de l’art à Amarant, ont baptisé leur démarche #ArtGenetics.
Elle utilise des œuvres d’art pour étudier les aliments et leur mutation au fil des siècles. Les résultats de leurs recherches, publiés dans la revue Trends in Plant Science en juillet 2020, ouvrent des perspectives inédites sur la véritable histoire de nos aliments, leur apparition, leur emplacement géographique, leurs apparences, leurs changements de forme et couleurs. « Le projet, explique Ive De Smet, vise à sensibiliser et éduquer le public en génétique sur les variations naturelles et ses conséquences. Mais aussi sur l’art afin de regarder attentivement une peinture. »
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°34, paru en mai 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.
Cette méthode originale soulève forcément quelques interrogations. Quelle fiabilité accorder à l’iconographie pour témoigner de faits scientifiques ? Les artistes n’ont pas toujours opté pour le réalisme. Et cela n’a pas attendu l’invention de l’abstraction et de la fragmentation, au XXe siècle, par Picasso, entre autres.
Prenez ces œuvres flamandes de Pieter Aertsen (1508-1575) et de Joachim Beuckelaer (1533-1674) qui montrent des scènes exubérantes de marchés. Il semble très improbable que de tels marchés, à Anvers au XVIe siècle, aient vendu autant de denrées à la même saison. Les grands maîtres réalistes ne sont donc pas des sources fiables pour expliquer les phénotypes des aliments.
Les chercheurs pointent ainsi la nécessité de vérifier cela, en mesurant, par exemple, la fréquence d’apparition des aliments sur les toiles. « Si un aliment n’est représenté qu’une seule fois, il s’agit peut-être d’une anomalie. Cependant, si plusieurs peintres à plusieurs moments et en plusieurs lieux représentent un même aliment, c’est qu’il a bien dû exister comme tel », raconte Ive De Smet.
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Au XVI siècle, les plants de fraises sont représentés dans les manuscrits scientifiques. Un bel exemple se trouve dans le codex Historia Plantarum (1395-1400, bibliothèque Casanatense, Italie). On en retrouve aussi dans la peinture religieuse, même si la taille n’est pas toujours respectée. Symbole de l’humilité, le fraisier, à l’époque, penche souvent vers le sol. Jusqu’au XVIIIe siècle, les fraises sont toujours petites et sauvages. Ce sont des fraises des bois. Le gros fruit juteux que nous consommons est le résultat de la variation de deux espèces américaines, il y a deux cent cinquante ans, en France. La Fragaria chiloensis (fraise du Chili), introduite par Amédée François Frézier. Et la Fragaria virginiana (fraise de Virginie), rapportée par Jacques Cartier.
Cette fraise hybride est née naturellement car les agriculteurs français cultivaient les deux espèces l’une à côté de l’autre. L’une des plus anciennes illustrations est celle de Madeleine-Françoise Basseporte, première femme peintre. Elle retranscrivait en miniature les plantes du jardin de Louis XV (Fleurs et Pied de feuilles, xviiie siècle, portefeuille 53, folio 15, Coll. des vélins, MNHM). « Le roi était fasciné par le fraisier. Comme il est représenté sans fruits, nous ne pouvons pas vraiment savoir quelle était sa taille exacte », explique David Vergauwen. Le succès commercial de la fraise se propage sous Napoléon. « Les plus belles fraises peintes au XIXe siècle sont de loin celles de la peinture d’Eloise Harriet Stannard (Blue Tits beside a basket of strawberries, 1896) », conclut le chercheur.
L’origine de la carotte est complexe. Différentes études se sont intéressées à la façon dont elle se serait diffusée dans le monde. Sa version orange serait née de façon spontanée à partir d’une variété jaune cultivée au XVIe siècle aux Pays-Bas, avant d’être exportée.
Les carottes orange sont représentées sur des tableaux d’artistes flamands et néerlandais. Comme Joachim Beuckelaer (La Pourvoyeuse de légumes, 1563, Valenciennes), Lucas van Valckenborch (Marché de légumes, ca. 1655, Vienne) et Pieter Cornelisz van Rijck (Scène de cuisine, 1621, Haarlem.) L’anecdote voudrait que les Néerlandais aient cultivé le légume orange en l’honneur de Guillaume d’Orange, à la fin du XVIIe siècle. Mais l’art contredit cette affirmation ! Il existe en effet des représentations de carottes orange dans les peintures byzantines.
Notamment dans le Codex Juliana Anicia de Dioscorides de ca. 512 après J.-C., l’un des plus anciens exemplaires conservés répertoriant des plantes. Une fresque dans un bar romain (Caseggiato del Termopolio) à Ostie, en Italie, datant de 98 à 138, représente un légume de forme conique et vaguement orange, qui pourrait être l’une des premières représentations d’une carotte orange cultivée ou d’un panais. « La carotte orange a probablement toujours existé. Mais l’énigme reste grande car personne ne la mentionne avant le XVIIIe siècle puisque dans de nombreuses langues, il n’y avait pas de mot pour décrire la couleur orange », précise David Vergauwen.
La pastèque est un fruit apprécié et fréquemment représenté par les artistes de tout temps. Giovanni Stanchi, artiste italien du XVIIe siècle, a peint une variété ancienne connue. C’est une pastèque sauvage qui n’a rien à voir avec le gros fruit à chair rouge que l’on connaît. Elle est, au contraire, petite, ronde et présente une chair blanche. Mais cette représentation ne concorde pas avec une découverte mise au jour au XIXe siècle dans un tombeau de Deir el-Bahari, près de Luxor.
Dans cette tombe, qui remonterait à la 18e dynastie égyptienne, soit il y a environ 3 500 ans, au moins deux des peintures murales présentent des Égyptiens en train de déguster un fruit à la forme allongée avec des bandes claires. Ce sont les caractéristiques de l’une des pastèques que nous consommons aujourd’hui et qui ne serait alors pas une invention moderne, comme on l’a longtemps pensé. Des données génomiques récentes sur une feuille de pastèque de 3 500 ans ont effectivement démontré que les Égyptiens du Nouvel Empire cultivaient déjà ces pastèques.
On pourrait penser que nos fruits et légumes ont beaucoup changé depuis que nous avons commencé à les cultiver. En fait, ils ne sont pas tous devenus plus gros, avec un goût plus sucré et avec moins de pépins car issus de modifications génétiques. Certains sont identiques aux cultures qui remontent à plusieurs millénaires. Et d’autres sont issus de variations naturelles.
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Parmi les premières représentations claires du blé, on trouve quelques peintures murales égyptiennes du Nouvel Empire. Une peinture provenant de la tombe d’Ounsou, à Thèbes Ouest, montre une scène de moisson où la récolte montre des blés presque aussi grands que les cultivateurs. Nous savons que la hauteur moyenne de l’Égyptien ordinaire à cette époque était de 1,65-1,70 m, ce qui signifie que le blé vers 1450 avant J.-C. pouvait atteindre la taille d’un humain. Le temps ne semble pas avoir beaucoup affecté cette corrélation.
Les représentations médiévales du début du xvie siècle montrent une culture presque aussi grande que la stature d’un agriculteur. Les peintures du Flamand Pieter Brueghel l’Ancien (Les Moissonneurs, 1565) et de son fils Pieter Brueghel le Jeune (vers 1600) représentent toutes des récoltes dont le blé se situe entre l’épaule et le coude. L’avènement de l’ère industrielle, fin XIXe, et les modifications génétiques du milieu du XXe siècle ont permis de créer des variétés de blé naines afin de favoriser des plants plus petits mais plus performants qui dominent aujourd’hui le paysage agricole.
Pour pallier les difficultés d’un tel inventaire (accès limité à certaines collections à travers le monde, descriptions sommaires des catalogues en ligne), les chercheurs, toujours en quête d’un financement, travaillent au lancement d’une base de données en libre accès de photos d’œuvres. Un projet de science citoyenne qui invitera les volontaires à partager leurs clichés pour mettre l’art au service de l’histoire des aliments. En attendant, rendez-vous sur le compte Instagram #ArtGenetics.
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