Partager la publication "REPORTAGE – Avec les militants d’Extinction Rebellion qui débranchent panneaux et enseignes la nuit"
“On attend encore ‘’Chaton rebelle’’ et on se lance !” Face à la bouche de métro de la ligne 2 parisienne, adossée aux grilles du parc Monceau, Elicha* coordonne une nouvelle opération de l’antenne parisienne d’Extinction Rebellion (XR). Le collectif écologiste, qui organise des actions non violentes de désobéissance civile, a lancé le 17 octobre dernier sa campagne “C’est pas Versailles ici”. Les derniers retardataires rejoignent, essoufflés, leurs camarades regroupés en cercle sur le trottoir. Ils sont une trentaine au total. Elicha termine de composer les équipes autour de quatre militants aguerris désignés comme référents.
Le but pour les activistes parisiens, qui ont coordonné leur action à celles d’autres groupes locaux un peu partout en France : éteindre un maximum d’enseignes, vitrines, panneaux publicitaires et abribus, allumés toute la nuit durant. Avant le départ, rapide inventaire du matériel : scotch, affiches, perches, outils antipub. Il est 21 heures, chaque groupe a été briefé et équipé. L’opération peut commencer.
En 2022, WE DEMAIN a noué un partenariat avec le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Onze jeunes journalistes en contrat de professionnalisation ont travaillé à la production d’une série d’articles autour du thème de la sobriété. Retrouvez ici l’ensemble des sujets publiés sur la question.
L’une des équipes de sept “rebelles”, comme ils se nomment entre eux, se dirige vers la place des Ternes. Dans le sillage du longiligne Sima, référent du groupe, il y a Circée, Green Stirner, Hérisson, Mayarah… Ils ont rejoint le mouvement il y a quelques mois seulement. Nouvelles recrues, Délé et Paul complètent la troupe. Tous deux ingénieurs, ils se sont inscrits en ligne quelques jours plus tôt. Ils ont “enfin franchi le pas” et vivent là leur première action avec XR, motivés par “une action accessible et concrète”.
Leur cible : la partie nord de l’avenue Wagram, dans le 17e arrondissement. “On vise les endroits où il y a de l’activité et plutôt les arrondissements chics, explique Sima, 25 ans et déjà une dizaine d’années de militantisme au compteur. Il faut aussi qu’il y ait du passage et que ce soit vu pour sensibiliser un maximum de personnes.”
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Concrètement, ces débrancheurs écolos ont besoin a minima de deux outils pour mener à bien leur mission. Tout d’abord une perche télescopique bricolée avec un crochet de cintre. C’est l’accessoire parfait pour pouvoir attraper et abaisser le loquet des coffrets de coupures des enseignes lumineuses. En effet, ils sont placés souvent à près de trois mètres de hauteur. Les devantures des bijouteries, des agences immobilières et des banques ne sont pas épargnées ce soir-là.
Les petits commerces le sont parfois, même si “tout le monde est concerné par le gaspillage d’énergie et doit prendre conscience de la situation d’urgence climatique”, tempère Sima. L’autre indispensable, un kit de clés, dont des clés Allen basiques, qui permettent d’ouvrir les panneaux et autres abribus. Il faut ensuite trouver les bons fils pour débrancher l’installation publicitaire. Un jeu d’enfant pour Circée, 26 ans, qui n’a rejoint Extinction Rebellion qu’en septembre, mais fait déjà preuve d’une sacrée dextérité.
L’action se veut également anti-pub, dans la lignée du positionnement de XR depuis sa création en 2018. “Car la publicité consomme beaucoup d’énergie, de jour comme de nuit, et parce qu’elle pousse à la surconsommation”, justifie Mayarah, 30 ans, ingénieure informatique et membre du collectif depuis avril. Une fois ouverts par les rebelles, les panneaux lumineux sont vidés de leur(s) affiche(s) publicitaire(s). “Pensez à vérifier qu’il y a des poubelles à proximité, leur explique Sima. Il faut pouvoir se débarrasser rapidement des affiches”.
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Pour éviter les mauvaises surprises, notamment avec la police, deux ou trois activistes font le guet, pendant que les autres entrent en action. Si aucune casse n’est à signaler, au regard de la loi, démonter ce type de mobilier urbain peut être considéré comme “une dégradation légère, qui entre dans la catégorie du vandalisme léger, tempère Joad, l’un des responsables de la campagne de XR. Pour toutes nos actions, les gardes à vue ou amendes ont été très rares.”
Alors que l’enseigne d’une agence de voyages vient d’être obscurcie, Green Stirner laisse une trace de son passage : une affiche, parfois un tract, avec les contacts du collectif. Une consigne que chacun applique à la lettre. “Utilisez du scotch plutôt que de la colle, avait aussi précisé Elicha avant que les groupes de militants ne se séparent en début de soirée. L’objectif n’est pas que les commerçants et services de la Ville galèrent à enlever nos affiches… »
Avant de durcir potentiellement ses actions (en journée ; contre des grands groupes…), Extinction Rebellion tient à rester dans une phase de sensibilisation. Et d’échanges. “73 % des retours de commerçants sont positifs, chiffre Joad. Beaucoup nous disent qu’ils ont agi après notre passage ou qu’ils vont faire l’effort d’éteindre plus tôt. Cela prouve que notre campagne a du sens.“
Si la campagne de XR a pour vocation de sensibiliser les enseignes, commerçants, entreprises et grand public, l’objectif est aussi d’alerter les pouvoirs publics. À Paris, depuis le 1er novembre 2022, bureaux et commerces sont d’ores et déjà tenus d’éteindre leurs lumières en fin de journée. Depuis 1er décembre, après une délibération votée en Conseil de Paris, ce sont les différents panneaux publicitaires qui doivent être mis en veille de 23h45 à 6 heures du matin (1 heure pour les abribus et colonnes Morris).
“Si la question du gaspillage d’énergie et de la pollution lumineuse ne date pas d’hier, il y a une urgence à la fois climatique et économique à agir, confirme David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge de la transformation de l’espace public et des transports. Il faut en finir avec cette procrastination écologique, alors que l’on peut prendre des décisions rapides et faciles.”
Pour les militants, “l’initiative parisienne est bonne, mais évidemment insuffisante, surtout quand on voit que ce n’est pas respecté”. L’élu parisien répond : “Ils ont raison d’exiger qu’on aille plus loin. Je soutiens ce type d’actions, qui permettent de changer les mentalités et d’alimenter le débat, pour éventuellement voter des délibérations plus restrictives.” Extinction Rebellion vient de lancer une campagne de pétitions locales. Objectif : interpeller les élus, en lien avec d’autres collectifs, dont Greenpeace.
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En attendant que d’autres villes statuent ou non sur la question, les militants de XR poursuivent leurs débranchages. Ce soir-là, Sima et sa bande auront éteint une bonne trentaine d’abribus et autant d’enseignes du 17e arrondissement parisien. “On a fait la moitié de ce qui est faisable”, estime le militant sur la route du retour.
Il est 23h30, près du métro Ternes. Les participants se rassemblent par grappes devant un bar, point de chute de l’action. Conseillés par Mayarah, Paul et Délé discutent des modalités d’adhésion à un groupe local. Sima fait le point avec Elicha. Tous se sont déjà donnés rendez-vous pour une prochaine sortie nocturne à travers les rues allumées de Paris.
*Tous les noms de militants cités sont des pseudos librement choisis et utilisés par chacun durant les actions d’Extinction Rebellion.
Auteur : Emile Vaizand.
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