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Rio de Janeiro : face aux canicules, les favelas en quête de fraîcheur et d’espoir

Sur le boulevard qui longe la plage bondée de Copacabana, des panneaux électroniques indiquent que la barre des 40 degrés est atteinte. Alertée par son système météorologique Alerta Rio, la Prefeitura (municipalité de Rio de Janeiro, Brésil) a déclenché un plan d’alerte de niveau 4. Selon le protocole en vigueur, elle doit mettre à disposition des lieux ombragés et des stations de distribution d’eau. Des camionnettes municipales sont censées sillonner la ville, remplies de petites bouteilles. Les nombreux catadores (ramasseurs de déchets) sont au bord de l’asphyxie. Les commerçants du bord de mer leurs tendent de quoi s’hydrater.

Alors que les touristes regagnent les hôtels où l’air conditionné est roi, les habitants des favelas – près d’un tiers des habitants de la métropole – descendent en masse pour retrouver un peu de fraîcheur. Un grand nombre va y passer la nuit pour éviter la torpeur. “En haut, dans nos habitations, le ressenti est de 50 à 60, commentent Anne-Claudia et Gabriela. C’est insupportable.” Les deux copines se précipitent sur les douches publiques normalement destinées aux baigneurs. “Ils disent que cet été sera le plus chaud, comment on va faire là-haut ?

Les rares points d’eau de la favela sont pris d’assaut. Crédit : Gilles Trichard.

La favela de Babilônia, en quête d’îlots de fraîcheur

Là-haut, c’est la favela de Babilônia, située sur la colline du même nom. Sacs de ciment sur les épaules, des ouvriers du bâtiment ruissellent de sueur. Le seul point d’eau de la rue est pris d’assaut. Les habitants sortent de la fournaise de leurs maisons de fortune et se ruent sur les rares zones d’ombre comme les “jardins de Babilônia”. La végétation luxuriante qui entoure ce nouvel espace est très appréciée.

Un ouvrier du BTP en sueur, épuisé par son travail et les chaleurs extrêmes. Crédit : Gilles Trichard.

On y vient pour se ressourcer dans l’air rafraîchi par les arbres et même apprendre à cultiver. À la tête du projet Favela Orgânica, Regina apprend à faire pousser des légumes dans le peu d’espaces disponibles et à recycler peaux de bananes, tiges de brocolis, peaux de citrouilles et autres matières organiques pour en faire des mets. L’idée est d’utiliser pleinement les fruits, les légumes et les légumes verts, de la racine à la pulpe. “Ce que l’on ne peut utiliser en cuisine devient du compost pour les potagers, précise-t-elle. Avec l’exode rural, beaucoup de gens ont perdu leurs racines. Ici, ils se reconnectent avec la nature“, explique Alberto, un ancien de la favela. Et de rappeler qu’il a fallu batailler contre l’armée qui voulait s’approprier la forêt située juste au-dessus.

Regina (au premier plan) en plein recyclage culinaire. Crédit : Gilles Trichard.

Des forêts limitrophes ni entretenues, ni valorisées

Unique ville au monde à posséder une forêt tropicale – le Parc national de Tijuca – à l’intérieur même de l’agglomération, Rio de Janeiro est bordée de forêts qui jouxtent les favelas mais qui ne sont pas entretenues et valorisées. “Ce sont pourtant des poumons verts qui vont devenir vitaux avec le dérèglement climatique.”

C’est tout le sens de la mission de Coop Babilônia, la coopérative soutenue par la municipalité et financée par le centre commercial Shopping Rio Sul. Son programme Reflorestamento a permis de reverdir le sommet de la colline. “Non seulement, c’est un havre de paix pour échapper à la chaleur, mais c’est aussi un moyen de réduire l’érosion en cas de pluies diluviennes qui se transforment en torrent de boue, explique Carlos Palo, son président. L’autre enjeu est de créer de ‘l’emploi vert’ pour les familles pauvres puisqu’il est prévu de les aménager en zones touristiques avec un point de vue unique sur la baie de Rio.” Encore faut-il changer l’image des favelas associé à la violence.

Des favelas bientôt alimentées à l’énergie solaire ?

Le solaire se fraye peu à peu son chemin dans les favelas de Rio, au Brésil. Crédit : Gilles Trichard.

Le volet Ecoturismo de la coopérative prévoit un Corredor solar (tour solaire), qui montre l’engagement de la favela dans l’énergie solaire. Pittoresque, offrant des perspectives variées, le parcours touristique est quelque fois gâché par des individus peu accueillants qui tiennent, fusils à la main, les points stratégiques des trafiquants de drogue. Le fils de Dinei Medina, directeur de la coopérative Percilia e Lucio, se veut rassurant. Guide attitré, carrure imposante, Victor, issu de la favela, préfère parler avec fierté des nouveaux toits avec des panneaux photovoltaïques intégrés. “Regardez, c’est tout nouveau, cela va révolutionner le solaire dans les favelas.”

Victor, guide du Tour solaire dans la favela Babilônia à Rio. Crédit : Gilles Trichard.

Nous croisons un groupe d’enfants qui participe au projet Educação ambiental (Éducation à l’environnement et au développement durable), autre action de Coop Babilônia. On leur apprend à ne pas jeter de déchets plastiques, véritable fléau à Rio. “Vous qui aimez vous baigner, la pollution plastique menace les mers et les océans. C’est tout l’écosystème marin, animaux comme végétaux, qui est menacé par les négligences.” Les regards sont attentifs. Le message semble passer.

L’éducation, clé de la résilience

Pour Rodrigo, ingénieur forestier à la coopérative, tout part de l’éducation. “Les enfants sont même encouragés à influencer les parents sur l’importance de changer de comportements.” Mais il s’inquiète de voir que les discours sur les réseaux sociaux et le contexte actuel peuvent ruiner leurs efforts. “Il y a ce qu’on fait et il y a ce qui circule sur les téléphones portables. Notre implication depuis des années est battue en brèche par les déclarations de Trump et les climatosceptiques, relayées par les bolsonaristes [partisans de l’ex-président Jair Bolsonaro], c’est catastrophique et cela détruit des années de travail“, conclut-il.

Ici, l’urgence quotidienne – joindre les deux bouts – se conjugue avec une nouvelle conscience de la fragilité de leur environnement. La favela Babilônia fait figure de laboratoire à ciel ouvert où la solidarité communautaire et l’innovation dessinent un futur possible loin des clichés selon lesquels “l’écologie n’est pas pour les pauvres”. 

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