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Romain Millet : “Les glaciers nous donnent une raison d’agir”

À l’occasion du festival Agir pour les Glaciers, la marque Millet a annoncé la création d’un fonds de dotation pour structurer son engagement climatique. Entretien avec Romain Millet, dirigeant d’une entreprise centenaire qui veut s’assurer que l’on pourra encore rêver en montagne dans cent ans.

Le 24/03/2025 par Florence Santrot
Romain Millet
À l'instar de Romain Millet, adepte du trail, les pratiques en montagne se diversifient et s'adaptent au changement climatique. Crédit : P.DESMOTTES / Millet.
À l'instar de Romain Millet, adepte du trail, les pratiques en montagne se diversifient et s'adaptent au changement climatique. Crédit : P.DESMOTTES / Millet.

Dans l’univers de la montagne, peu de noms résonnent avec autant de constance et d’engagement que celui de la marque Millet. Fondée au cœur des Alpes il y a près d’un siècle, l’entreprise familiale a traversé les époques, les rachats, les cotations en bourse et les mutations industrielles, pour redevenir, en 2020, un groupe à capital familial, piloté par Romain Millet et ses proches. Ce retour aux sources s’est accompagné d’un recentrage stratégique : faire de la pérennité une obsession. S’assurer que la marque, qui a fêté son centenaire en 2021, sera encore là en 2121. Car pour Romain Millet, l’enjeu n’est plus la performance financière trimestrielle, mais la capacité à “faire vivre un rêve en montagne, pour toutes et tous, dans un siècle encore”. Et pour cela, les glaciers sont incontournables.

C’est dans cet état d’esprit qu’est née l’implication de Millet dans le festival Agir pour les Glaciers, initié notamment par le glaciologue Jean-Baptiste Bosson. Ce rendez-vous, qui s’inscrit dans le prolongement du spectacle Agir pour le Vivant organisé par les éditions Actes Sud, a rapidement trouvé un écho chez Romain Millet. “Lors de nos discussions, Jean-Baptiste m’a donné l’espoir qu’en tant qu’entreprise, on pouvait être un bout de la solution”, raconte-t-il. Vulgarisateur passionné, le scientifique lui ouvre alors les portes d’un engagement pluriel : scientifique, juridique, social et bien sûr climatique. À l’occasion de cette première édition du festival, qui s’est tenu du 20 au 22 mars 2025 à Bourg-Saint-Maurice, Millet a annoncé la création d’un fonds de dotation : Millet pour les glaciers.

Pourquoi avoir choisi les glaciers comme symbole de votre engagement ?

Parce que ce sont eux qui racontent l’histoire de la montagne. Depuis plus de deux siècles, les glaciers nourrissent notre imaginaire collectif, façonnent nos paysages et donnent naissance à une culture de l’altitude. Chez Millet, on équipe les alpinistes depuis cent ans. Il y avait des sacs à dos Millet en haut de l’Annapurna en 1950 pour le premier 8 000 jamais gravi par l’Homme [deux Français : Louis Lachenal et Maurice Herzog, NDLR]. Ce lien avec la haute montagne, il est dans notre ADN. Mais au-delà de leur beauté, les glaciers jouent un rôle fondamental dans l’équilibre planétaire. Ils régulent les ressources en eau douce, influencent les températures, et leur disparition bouleverserait l’écosystème mondial.

Ce que m’a transmis Jean-Baptiste Bosson, glaciologue et fondateur du festival, c’est cette idée que même quelqu’un à l’autre bout du monde, à Shanghai ou ailleurs, sera impacté par la fonte des glaciers. Et pourtant, ils restent dans un angle mort de la conscience collective. Trop peu protégés, trop peu étudiés, et encore moins défendus juridiquement. On s’est donc dit que c’était notre responsabilité, à notre échelle, de les remettre au centre. Les glaciers nous donnent une raison d’agir

glacier des bossons
Détail du glacier des Bossons dans la vallée de Chamonix. Crédit : Samuel Zeller photography/Stocksy / stock.adobe.com.

Comment cette conviction s’est-elle traduite en action concrète ?

Tout a commencé par une rencontre. Celle avec Jean-Baptiste, lors d’une conférence à l’OSV (Outdoor Sport Valley), m’a profondément marqué. Ce n’était pas juste un exposé scientifique, c’était un moment de clarté. Moi, je suis un commerçant, pas un scientifique. Mais pour la première fois, j’ai compris à quel point les glaciers étaient essentiels – et surtout, à quel point on pouvait agir. J’ai tout de suite ressenti cette envie d’être utile, de faire partie de la solution.

Alors j’ai envoyé un mail, on s’est rencontrés, on a échangé longuement, et l’évidence s’est imposée : il fallait qu’on s’engage, que notre entreprise s’implique dans cette cause. On est donc devenus l’un des premiers partenaires du festival, et depuis quatre ans, on suit Jean-Baptiste dans ses “folies”, comme je les appelle affectueusement. C’est aussi lui qui nous a aidés à formuler notre propre cap stratégique : recentrer notre mécénat, qui partait un peu dans tous les sens, autour d’un axe clair et cohérent.

Vous créez donc en 2025 un fonds de dotation dédié aux glaciers. Pourquoi cette structure ?

Parce que ce fonds, Millet pour les glaciers, nous permet de structurer durablement notre action. On aurait pu continuer à agir directement avec l’entreprise, mais le fonds de dotation a deux vertus : il permet de rassembler les moyens, financiers comme humains, et d’ouvrir la porte à d’autres partenaires. Notre objectif n’est pas de faire quelque chose “pour Millet”, mais pour les glaciers. Et plus on sera nombreux, plus l’impact sera fort.

Le fonds agira sur trois axes : soutenir la recherche scientifique, sensibiliser le public – notamment via des événements comme le festival – et contribuer à la reconnaissance juridique des glaciers comme zones protégées. Car aujourd’hui, il y a un vide juridique. Quand un glacier régresse, la zone libérée peut être exploitée. Ce n’est pas acceptable. Il faut garantir une protection même au fur et à mesure de leur retrait car les écosystèmes post-glaciaires qui émergent ont une grande valeur. Ce fonds est donc un levier à la fois politique, pédagogique et climatique.

Quel impact cet engagement a-t-il sur vos pratiques industrielles ?

Ce n’est pas juste mettre son logo sur une affiche. Cela nous oblige à repenser nos pratiques. À commencer par nos émissions de carbone. On s’est fixé un objectif net zéro d’ici 2030, avec une réduction de 90 % de nos émissions à horizon 2050, comme le prévoient les Accords de Paris. C’est ambitieux, et franchement difficile. Mais on avance. En 2025, nos simulations montrent déjà une baisse de 9 % par rapport à 2024. Le gros du travail concerne les matières premières, la fabrication et le transport.

On a industrialisé notre mesure carbone, fait des analyses de cycle de vie sur tous nos produits, et développé des matériaux moins impactants – comme le e-dye [teinture qui permet de réduire la consommation d’eau de 85 %, NDLR] ou l’utilisation croissante de matières recyclées et naturelles. C’est une remise en question profonde de nos chaînes de valeur. Et aussi de nos modes de consommation, en mettant davantage en avant les solutions plus circulaires.

En la matière, quelles sont vos initiatives concrètes ?

Nous avançons sur deux axes principaux : la réparation et la location. La réparation, d’abord, parce qu’un produit Millet est souvent chargé d’émotion. Quand quelqu’un revient d’une expédition avec un sac abîmé, il ne veut pas le jeter. On répare déjà plus de 3 000 produits par an, et on travaille à industrialiser cette activité. L’idée, c’est de reconditionner les équipements pour leur offrir une seconde vie, en garantissant toujours la sécurité.

Côté location, c’est un modèle qui fonctionne bien pour les pratiques ponctuelles, comme la cascade de glace ou l’alpinisme hivernal. Louer son équipement à Chamonix plutôt que de le transporter depuis Paris, c’est plus simple, plus économique et plus durable. On croit beaucoup à ces nouveaux usages, qui permettent de limiter l’impact tout en rendant la montagne plus accessible.

kit location millet
Millet propose nombre de ses vêtements et accessoires à la location pour faciliter les pratiques plus ponctuelles. Crédit : Millet.

Vous avez aussi évoqué des actions concrètes de terrain. Quelles sont-elles ?

Oui, parce que l’engagement doit se traduire dans le réel, sur le terrain. On travaille notamment avec les compagnies de guides – celles de Chamonix, de Grindelwald en Suisse, ou encore de Cervinia en Italie – pour organiser des journées de sensibilisation dédiées aux glaciers. On prévoit aussi une opération symbolique cet été : ravitailler nos refuges partenaires non pas par hélicoptère, mais par une cordée humaine. C’est une manière de reconnecter avec l’effort, avec le collectif, avec la montagne. Par ailleurs, sur notre site, dans nos magasins, sur nos supports, on informe. L’idée, c’est de mobiliser notre communauté de clients, de pratiquants, de passionnés. Parce qu’on ne protège que ce qu’on connaît.

Enfin, en interne, comment cet engagement se vit-il au sein de l’entreprise ?

Il y a un vrai enthousiasme. Millet, c’est une entreprise de passionnés de montagne. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut cultiver cette passion, lui donner du sens. On propose donc à nos salariés de participer à des événements sportifs, de bénéficier de journées avec des guides pour mieux comprendre les enjeux du terrain. On organise des projections de conférences, pour partager ce qu’on apprend, ce qu’on vit. Et puis il y a l’exemplarité : si on veut embarquer tout le monde, on doit être cohérents entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. Ce qui m’importe, c’est que chacun ici sente que ce qu’il fait a du sens. Et que l’entreprise ne cherche pas à maximiser son profit à court terme, mais à contribuer à quelque chose de plus grand. Protéger les glaciers, c’est aussi protéger notre avenir commun.

1 % pour les glaciers
Le mouvement “1 % pour la planète” décline son initiative pour protéger ces milieux uniques que sont les glaciers et les écosystèmes post-glaciaires. Sous la houlette de la glaciologue Heidi Sevestre, 1% for the Planet France lance, jusqu’au 30 juin, une levée de fonds exceptionnelle pour le sauvetage des glaciers. L’argent ainsi récolté sera resdistribué à six associations engagées : Marge Sauvage, Mountain Riders, Protect Our Winters France, L’École des Pôles, France Nature Environnement Haute-Savoie et Mountain Wilderness. Les montants donnés, dans la limite de 20 000 euros, seront doublés par 1% for the Planet. L’objectif est de réunir 100 000 euros pour financer les actions des associations retenues.

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