Partager la publication "Sous le sable, les câbles : l’Internet invisible de vos vacances"
Pour ceux qui auront la chance de partir en vacances à la mer cet été, et qui partageront leurs plus belles stories Facebook, TikTok et autres photos Instagram de plages ensoleillées, n’oubliez pas de coller votre oreille sur le sable chaud, vous entendrez peut-être des milliers de gigabits passer au travers des câbles sous-marins de fibre optique enterrés au fond des océans mais aussi sous le sable des plages.
Car c’est bien au travers des câbles sous-marins de fibre optique, véritable colonne vertébrale du réseau Internet mondial, que circulent la majorité des données échangées à l’international, soit entre 95 et 99 % du total. Les satellites, même avec l’arrivée des constellations de satellites de basse orbite de type StarLink et OneWeb, offrent une connexion à Internet quasiment partout sur la planète jusqu’aux coins les plus reculés, mais les câbles sont et risquent de rester encore longtemps le meilleur moyen d’envoyer des paquets de données vers les grands foyers de population rapidement, de manière fiable et pas chère.
Une première entre la France, la Grande-Bretagne et les USA
Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, le télégraphe électrique a permis de relier les continents par câbles sous-marins. Mais c’est à partir de la fin des années 1980, et avec l’arrivée des premiers câbles de fibre optique que l’on va disposer d’une capacité incroyable de voix et de données. Notamment grâce au tout premier câble sous-marin de fibre optique : TAT-8, qui a été posé entre la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis.
Grâce à Internet, la demande en capacité de transmission de données par câble sous-marin ne va cesser d’augmenter.Les grandes entreprises de câbles que sont le français Alcatel Submarine Networks, le japonais NEC et l’américain Subcom ne vont cesser de relever le défi et augmenter le nombre et le débit des câbles. Depuis 1996, on est passé de 25 câbles posés, à 600 posés ou en projet/annoncés, ce qui représente au minimum 1,4 million de kilomètres de câbles en service, pour une capacité globale estimée en 2025-2026 de 8 758 terabits par seconde (Tb/s), contre 50 Tb/s pour toutes les constellations de satellites à basse orbite.
Seul l’Antarctique n’est pas encore connecté au reste du monde (un projet de câble existe) et bientôt l’Arctique devrait voir des projets de câbles traverser cet océan qui n’est plus aussi gelé qu’il ne l’était, finissant de connecter tous les continents à Internet. C’est une réponse à une demande toujours plus grande de capacité, avec en tête bien sûr les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), auxquels on pourrait ajouter ByteDance maison mère de TikTok.
Nouveaux investisseurs
Ces géants du numérique investissent massivement dans les câbles sous-marins afin d’obtenir directement de la capacité de transfert de données entre leurs infrastructures et leurs utilisateurs. C’est notamment le cas de Microsoft, Meta et Google, ou encore Amazon, qui financent de plus en plus de câbles pour assouvir leurs besoins exponentiels en transfert de données. Ils détiennent en tout ou partie à eux cinq 59 câbles, Google en détenant pas moins de 33.
Enfin, il faut noter que dans le secteur, la France est un leader mondial au travers de plusieurs entreprises. D’abord avec Alcatel Submarine Networks, qui un temps racheté par le finlandais Nokia est très récemment revenu dans le giron français. Cette entreprise est capable de fabriquer, poser et réparer des câbles sous-marins de fibre optique à l’aide d’une flotte de 7 navires câbliers, ressource très rare, car il en existe qu’une cinquantaine dans le monde. Des câbliers quasi aussi nombreux chez Orange Marine, filiale d’Orange, qui dispose de 6 câbliers, capables de poser et réparer des câbles dans le monde entier. On peut également citer l’entreprise Nexans qui produit des câbles et dispose de 2 et bientôt 3 câbliers qui se concentrent plutôt sur les câbles d’énergies, mais qui sont également capables de poser des câbles de télécommunications.
L'Etat rachète 80 % d'Alcatel Submarine Networks, entreprise stratégique dans la production et la pose de câbles sous-marinshttps://t.co/4g67EF1yEZ pic.twitter.com/F3RiY828FT
— France 3 Nord Pas-de-Calais (@F3nord) June 28, 2024
Mais qu’est-ce qu’un câble sous-marin de fibre optique ? Il s’agit d’un tuyau un peu plus gros qu’un tuyau d’arrosage comme il est de coutume de le présenter, qui est constitué de plusieurs couches, chacune ayant une fonction soit pour protéger (armure et polyéthylène), alimenter en énergie (cuivre) ou pour transmettre le signal (fibre optique), comme on peut le voir sur ce schéma :
Une installation largement invisible
Mais un câble sous-marin de télécommunication est d’abord et avant tout un système (de câble), avec une partie à terre (dry plant) et une partie sous-marine (wet plant). La partie à terre permet de fournir en énergie et en données le câble depuis des câbles terrestres connectés à des points d’échanges ou directement à des fermes de serveurs. Le câble lui va transmettre les paquets de données et faire parvenir ces données entres les continents, grâce à des répéteurs, qui redonnent de la force au signal dans la fibre optique tous les 70 à 100 kilomètres et qui constituent sûrement un des équipements les plus onéreux des systèmes de câbles. La durée de vie d’un câble est de 25 ans.
Posés sur le fond des océans, ces câbles atterrissent le plus souvent sur des plages de sable, parfois directement sur les plages des vacanciers estivaux, sans que ceux-ci ne s’en rendent compte. Sur ces plages, on va trouver la partie sèche du système (dry plant) dans une sorte de petite maison appelée station d’atterrissement (cable landing station ou CLS) qui contient des générateurs d’énergies doublés pour la résilience du système en cas de coupure (power feeding equipment ou PFE), ainsi que les instruments permettant de transmettre et de transformer les paquets de données en lumière via des lasers (submarine line terminal equipment ou SLTE).
Sur la plage, on va trouver (si on creuse bien) la chambre d’atterrissement ou beach manhole, qui est creusée dans le sable, et qui contient un bloc en béton protégeant les connexions et un fourreau qui permet d’amener le câble jusqu’à la station d’atterrissement situé un peu plus loin dans les terres. Une fois recouvert de sable, ce trou d’homme sur la plage est invisible au joueur de frisbee estival ou au plus zélé des terrassiers en culotte courte muni de sa pelle en plastique.
Des coûts de réparation élevés
Dans certains cas, afin de mieux protéger le câble, et surtout pour limiter l’impact environnemental de l’atterrissement du câble, il peut être décidé de creuser un tunnel de la largeur d’un câble depuis la terre, jusqu’à plusieurs centaines de mètres au large de la côte afin d’y insérer le câble sous-marin, c’est la technique de l’horizontal directional drilling. Par ailleurs, le câble est aussi enterré, ou plutôt ensouillé, sur la plage après avoir été protégé par un coffrage métallique, puis sur le fond de l’océan, là où c’est nécessaire.
De manière plus concrète, l’atterrissement d’un câble sur une plage se déroule comme suit. Après avoir étudié le meilleur chemin possible pour poser un câble entre deux clients, le lieu d’atterrissement va également être choisi en fonction des conditions offertes, permettant de connecter le plus directement les deux clients, sans oublier de protéger le plus efficacement le câble des agressions, en le posant dans une zone la plus calme possible en termes d’activités maritimes. En effet les coupures sont nombreuses, une centaine par an, et coûtent cher à réparer.
Un navire câblier (ou une barge si les fonds sont trop peu profonds près des côtes) va s’approcher du rivage, de là, une petite embarcation va amener un filin, appelé le messager qui va être accroché au câble sous-marin au moyen d’un nœud spécifique appelé chinese fingers et qui va permettre de tirer le câble depuis le navire câblier vers la terre. Le câble est tiré soit par un treuil à terre, soit par une pelleteuse qui va reculer sur la plage et tirer le câble de manière parallèle au rivage au moyen d’un quadrant.
Pendant ces opérations, le câble est maintenu à la surface par une ribambelle de bouées espacées de 5 mètres, permettant au câble de ne pas s’abimer en ne raclant pas le fond de l’océan pendant tout le temps où il est tiré vers la terre. Il est ensuite ancré à la terre après avoir tiré une longueur suffisante pour l’amener jusqu’à la chambre d’atterrissement creusée dans le sable de la plage. Une fois le câble ancré à la terre, les bouées sont détachées par des plongeurs qui vont vérifier en même temps que le câble se place sur le bon tracé jusqu’au navire câblier resté en position statique tout le long de l’opération.
Toutes ces opérations sont détaillées dans deux vidéos, en Français d’abord avec la pose par Orange Marine du câble Sea-Me-We 5 à la Seyne-sur-Mer :
Et en Anglais à partir de 4 minutes 40, jusqu’à 8 minutes 45, pour la pose du câble Marea détenu par Meta, Microsoft et Telxius :
Ensuite, de plus petits navires munis d’équipements interviennent pour peaufiner les détails et sécuriser le câble en l’ensouillant avec des plongeurs ou des engins armés de jets d’eau servant à creuser un sillon dans le fond de l’océan, ou alors des robots pilotés à distance appelés ROV, c’est la phase de post-ensouillage (ou Post Lay Inspection and Burial).
Le câble est ensuite connecté au réseau et aux équipements, alimenté en énergie et testé. À partir de là, le navire câblier peut faire route vers l’autre côté de l’océan.
Pour les curieux et les chanceux qui iront se dorer la pilule du côté de Marseille, tendez l’oreille, vous entendrez peut-être sous la plage du Prado vos données transiter via le câble Sea-Me-We 6 qui connecte la France à l’Asie sur 22 000 km.
À propos de l’auteur : Michael Delaunay. Chercheur à l’OPSA – Docteur en Sciences politiques, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.