Tous fabricants d’objets : vive le design libre !

Dans les ateliers de bricolage du collectif Entropie, à Grenoble, on construit des fours solaires, des éoliennes ou on s’initie à l’architecture bioclimatique. « En ce moment, on développe un modèle de ruche avec un apiculteur », ajoute Lucas Courgeon, l’un des membres du collectif, spécialisé dans la permaculture. Créée en 2008, l’association promeut l’autonomie en apprenant à qui le souhaite à fabriquer lui-même des objets du quotidien. « Les gens viennent avec leur projet, explique Lucas. On regarde ce dont ils ont besoin, quelles sont les contraintes … Ensuite on réfléchit à l’objet, à sa conception, et on le construit ensemble ». Toujours dans une optique de collaboration, l’association édite des notices pédagogiques, à destination des particuliers comme des industriels intéressés.

Les prototypes qu’ils créent peuvent être partagés, reproduits et, bien entendu, améliorés. C’est même l’un des principaux intérêts du partage des notices en open-source : « contrairement au modèle marchand où l’on va cacher les ratages, ici, on va dévoiler les difficultés. […] En dévoilant ces problèmes, en les diffusant dans l’économie des connaissances, on aura des retours suggérant des pistes d’amélioration ». Le collectif a déjà regroupé une vingtaine de ces notices dans un catalogue de « design libre ». Rapidement épuisé, il sera à nouveau disponible mi-septembre en précommande sur une plateforme de crowdfunding.

designer militant

À l’origine du mouvement pour un « design libre », on retrouve le grenoblois Christophe André, 35 ans aujourd’hui. Ingénieur de formation, il abandonne sa carrière le jour où on lui demande de créer un objet à durée de vie limitée. Il rejoint alors les Beaux-Arts et engage une réflexion sur la mort annoncée des objets et du système qui les crée. « Contre-ergonomie  », sa première performance artistique, réitérée lors de plusieurs vernissages d’expositions, pousse à son paroxysme le concept d’obsolescence programmée : il glisse des flûtes à champagne percées parmi les verres servis aux invités. La durée de vie de l’objet devient ainsi inférieure à son temps d’utilisation !

C’est dans le sillage de cette performance que  le « designer militant » co-fondera l’association Entropie avec l’artiste Gabrielle Boulanger. Tous deux appellent à se réapproprier les techniques de production et les savoir-faire, à se reconnecter aux produits que l’on consomme en privilégiant le travail à taille humaine, le tout pour court-circuiter l’industrie traditionnelle. 

Réduire le temps de travail

« Apolitique », l’association n’est pas pour autant dépolitisée. Les membres du collectif veulent « non seulement dénoncer le système capitaliste actuel, source apparemment inépuisable d’injustices et d’inégalités, mais surtout valoriser des initiatives, des organisations, des mouvements collectifs qui fonctionnent indépendamment de cette logique économique ». Selon eux, l’industrie lourde requiert des moyens techniques et des capitaux élevés, mais emploie surtout une main d’œuvre soumise à une division du travail extrême qui réduit les champs de connaissance du travailleur et retire l’autonomie qu’avait auparavant l’artisan. C’est pourquoi l’association milite pour une réduction du temps de travail, qui permettrait l’augmentation du temps consacré à l’autoproduction. Et, in fine, de rétablir le lien entre le consommateur et ce qu’il consomme.

« Pour jouir et gaspiller sans honte, il faut cacher les véritables coûts humains des produits, les lieux et modes de production, les impacts sociaux … », écrit François Brune, théoricien et critique du « discours dominant », cité par le fondateur de l’association. À l’inverse, l’objet du « design libre » est, conclut Christophe André, de faire de nous « des acteurs responsables de l’univers que nous façonnons ».

Entropie réédite le catalogue de 20 objets à réaliser en design libre en crowdfunding : http://www.kisskissbankbank.com/catalogue-20-objets-a-realiser-en-design-libre

Elisabeth Denys  
Journaliste / We Demain 
@ElissaDen

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