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Vieille Matériaux : le pari audacieux du béton de chanvre

C’est à Merey-sous-Montrond, un village niché au sud de Besançon, en plein cœur du Doubs, que l’histoire prend racine. Situé dans une région où l’industrie et l’artisanat se côtoient depuis des décennies, le site de Vieille Matériaux témoigne d’un savoir-faire local solidement ancré. Fondée en 1963, l’entreprise a d’abord prospéré grâce à la production de blocs de béton traditionnels, avant de prendre un virage audacieux au milieu des années 2010 pour répondre aux défis environnementaux contemporains. Elle s’est lancée dans le béton de chanvre.

Ce territoire, riche en ressources naturelles et en traditions agricoles, a joué un rôle clé dans le choix du chanvre comme matière première. Historiquement cultivée dans la région pour ses multiples usages – textiles, cordages ou encore huiles –, cette plante revient aujourd’hui au centre des innovations écologiques. “Nous avons ici un atout incomparable avec Eurochanvre, une coopérative locale spécialisée dans le traitement de cette ressource. Cela nous permet de travailler en circuit court, en valorisant une matière première locale et durable”, explique Sébastien Vieille, dirigeant de l’entreprise.

Sébastien Vieille, un des dirigeants de l’entreprise familiale Vieille Matériaux. Crédit : Jérémy Lempin.

Une filière en plein essor

La culture du chanvre connaît un véritable renouveau en France. Selon l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), près de 21 000 hectares sont aujourd’hui consacrés à cette plante, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2017. L’e pays’Hexagone se place ainsi comme le premier producteur européen, fournissant environ 70 % du chanvre industriel du continent.

Cette expansion s’explique par les nombreuses applications possibles du chanvre, notamment dans le secteur de la construction. “Le béton de chanvre représente un potentiel énorme pour l’isolation des bâtiments neufs et en rénovation. Ses qualités thermiques et écologiques séduisent de plus en plus d’acteurs, mais la filière reste encore émergente”, souligne Julien Compain.

En France, de plus en plus de logements, en rénovation ou en construction, utilisent le béton de chanvre pour l’isolation des murs ou des toitures. De par ses caractéristiques, on lui promet une croissance rapide dans le contexte de la transition énergétique et de la réglementation environnementale (RE2020), qui privilégie les matériaux de construction biosourcés.

Une histoire familiale de plus d’un demi-siècle

Depuis sa création, Vieille Matériaux s’est adaptée aux mutations du marché et des attentes des consommateurs. “Je suis la troisième génération de la famille, raconte Sébastien Vieille. Quand j’ai repris l’entreprise, j’ai réalisé qu’on ne pouvait pas continuer à puiser dans des ressources finies comme les matériaux minéraux. Il fallait explorer une base végétale, plus durable. Le chanvre s’est imposé comme une évidence.”

En 2015, l’entreprise a décidé d’investir 10 % de son chiffre d’affaires en recherche et développement pour se lancer dans la transformation du chanvre pour la construction. “On a commencé petit, sans savoir si ça marcherait. Aujourd’hui, on peut dire que le pari est réussi.”

Le béton de chanvre : un matériau magique et complexe

Julien Compain pose à côté de blocs de béton de chanvre en cours de séchage. Crédit : Jérémy Lempin.

Fabriquer du béton de chanvre nécessite une grande maîtrise. Julien Compain, responsable du service béton de chanvre, détaille les étapes : “Nous avons besoin de trois éléments. Le premier, c’est la chènevotte, obtenue à partir de la tige de chanvre concassée et dépoussiérée. Le deuxième, c’est un liant naturel, du ciment prompt Vicat à prise rapide, qui laisse passer la vapeur d’eau. Et enfin, un peu d’eau pour activer le mélange.”

Ce processus, bien que simple en apparence, exige une précision absolue. “Une fois que le tout est mélangé, on le moule dans une presse pour obtenir des blocs, puis on les usine pour leur donner la forme souhaitée. Mais ce n’est pas fini. On les laisse sécher à l’air libre, sous hangar, entre deux et quatre mois, en fonction des conditions météorologiques”, ajoute-t-il.

Le béton de chanvre offre également une alternative intéressante aux bétons traditionnels. “Contrairement au béton classique, nos blocs sont directement utilisables sur les chantiers, sans nécessiter de cure supplémentaire [temps de sèche, NDLR]. C’est un gain de temps pour les professionnels et cela simplifie énormément le processus”, affirme Julien Compain.

Le chanvre, un excellent isolant hiver comme été

La chènevotte est issue de la tige de chanvre, concassée et dépoussiérée. CRédit : Jérémy Lempin.

Le béton de chanvre ne se contente pas d’être un simple matériau de construction. Ses propriétés thermiques et hygrorégulatrices en font un isolant hors pair. “Ce n’est pas juste un matériau performant, c’est un matériau intelligent. Il absorbe l’humidité ambiante et réduit ainsi la température qu’il faut atteindre pour se sentir confortable”, explique Julien Compain.

Grâce à sa structure poreuse, le béton de chanvre agit comme une barrière thermique naturelle, limitant les transferts de chaleur. Selon une étude de l’ADEME, l’utilisation du béton de chanvre dans les bâtiments permet de réduire la consommation énergétique de 30 % en hiver. En été, il joue également un rôle essentiel en maintenant la fraîcheur intérieure, sans recours à la climatisation.

Un autre atout réside dans sa durée de vie. “Le béton de chanvre vieillit très bien. Il conserve ses propriétés isolantes et sa solidité, tout en continuant de stocker le carbone qu’il a capté lors de la culture du chanvre”, pointe Sébastien Vieille.

Le chanvre, un matériau écologique par excellence

Avec ses capacités de séquestration de carbone, le chanvre est un allié de taille dans la lutte contre le changement climatique. Poussant en seulement 90 jours avec peu d’eau et sans pesticide, il capte environ 1,5 tonne de CO2 par hectare cultivé, selon Eurochanvre. Une fois transformé en béton, ce carbone reste piégé tout au long du cycle de vie du matériau.

“Nos blocs permettent une réduction de 50 % des émissions par rapport à un mur en brique traditionnel”, détaille Julien Compain. “Un degré de moins pour chauffer une maison, c’est 7 % d’économie sur la facture énergétique. Ce n’est pas négligeable.”

L’entreprise a également investi un million d’euros dans des panneaux photovoltaïques pour alimenter son usine en autoconsommation. Elle va aussi installer un système de récupération des eaux usées pour moins consommer de cette précieuse ressource pour la planète. “L’objectif est clair : tendre vers une usine zéro carbone”, affirme Sébastien Vieille.

Répondre à une demande croissante en béton de chanvre

Les blocs de béton de chanvre sont filmés avec du plastique pour les transporter mais en laissant des zones de respiration car c’est un matériau vivant. Crédit : Jérémy Lempin

Face à l’engouement croissant pour les matériaux biosourcés, Vieille Matériaux prévoit d’agrandir son usine en doublant sa surface de production. Ce projet ambitieux inclut l’installation de nouvelles machines et l’amélioration des étuves pour accélérer le séchage des blocs tout en maintenant leur qualité. “Actuellement, nous alternons les phases de moulage et d’usinage, ce qui limite nos capacités. Avec cette extension, nous pourrons automatiser et paralléliser ces processus”, précise Sébastien Vieille.

L’entreprise ambitionne également de développer des blocs adaptés à la rénovation énergétique. “On vise des produits plus fins, conçus pour remplacer les isolants intérieurs traditionnels, tout en évitant les ponts thermiques”, ajoute-t-il. Un vrai pari sur l’avenir car cette nouvelle activité pourrait bien devenir moteur dans le développement de la société d’ici à la fin de la décennie.

Les obstacles d’une révolution verte

Du béton de chanvre en cours de séchage. Selon la météo, cela peut prendre 2 à 4 mois. Crédit : Jérémy Lempin.

Malgré ses atouts, le béton de chanvre fait face à des obstacles réglementaires. “Les tests imposés par le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) ne prennent pas toujours en compte les spécificités du chanvre. On nous demande de répondre à des critères conçus pour des matériaux très différents, ce qui complique la certification”, déplore Sébastien Vieille.

De plus, le lobbying des grands acteurs de la construction freine l’adoption des matériaux biosourcés. “Les innovations comme les nôtres sont encore peu soutenues, alors que les solutions traditionnelles bénéficient de normes bien établies et d’un réseau de distribution solide.”

Le coût initial des blocs de chanvre, plus cher que d’autres isolants comme la laine de verre par exemple, peut également constituer un frein, même si les économies réalisées sur le long terme en font une solution rentable. “Il faut convaincre les professionnels et le grand public de penser à l’impact global et non au prix d’achat”, insiste Sébastien Vieille.

Une vision pour l’avenir

Malgré ces défis, Vieille Matériaux ne cesse d’innover. En intégrant des procédés plus efficaces et en élargissant ses gammes, l’entreprise entend renforcer sa position sur le marché national et international. “On est des pionniers, des passionnés. On croit à notre produit et on continuera à convaincre”, affirme Sébastien Vieille.

En misant sur le béton de chanvre, Vieille Matériaux prouve qu’il est possible de concilier innovation, durabilité et performance économique. Ce pari incarne une vision industrielle inspirante et trace un chemin vertueux pour l’avenir de la construction.

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