À la rencontre d’Ashoka, le pionnier indien de l’entrepreneuriat social

Installé dans une vieille maison coloniale entourée d’arbres tropicaux, le siège d’Ashoka Inde est une oasis de sérénité dans la moderne Bengalore, la « Silicon Valley » indienne, où tous les géant de l’informatique ont leur antenne. Les costards-cravates y côtoient les saris et les bidonvilles semblent en voie d’être remplacés par les immeubles modernes qui poussent un peu partout.

Amener l’énergie solaire dans les régions rurales, diffuser des programmes informatiques open-source, transformer les décharges en terres cultivables, manier l’art et la pub contre le harcèlement sexuel… Les projets portés par les 3 500 entrepreneurs d’Ashoka, identifiés et accompagnés dans 85 pays, sont innovants et touchent à tous les secteurs. Objectif : « contribuer au développement d’une société où tout le monde a la capacité d’être acteur de changement. » Ce vaste réseau entretien cependant une relation toute particulière avec le sous-continent indien. « C’est ici que l’organisation fut fondée, il y a 34 ans, raconte Vishnu Swaminathan, directeur de la branche indienne de l’association, présente en France depuis huit ans. C’est ici aussi qu’il faut chercher l’origine de son nom un peu mystérieux : Ashoka fut le premier empereur à unifier l’Inde autour de la philosophie bouddhiste, trois siècles avant notre ère. Son nom est encore synonyme de paix et de progrès social dans le cœur de tous les indiens.
 
Trouver un modèle plutôt que faire du business
 
Dans le grand salon de la maison, on planche sur un concours d’idée pour améliorer la sécurité routière, on prépare le prochain magazine mensuel de l’ONG et on identifie de nouveaux entrepreneurs à accompagner, les « fellows ». Ceux ci seront formés, mis en relation avec des partenaires potentiels, et valorisés pour pouvoir passer à la vitesse supérieure. Bindi rouge sur le front – signe distinctif de l’homme marié –, ventilateur face à lui, Vishnu poursuit depuis son bureau. « C’est en Inde qu’Ashoka accompagne le plus grand nombre d’entrepreneurs sociaux. » 350, pour être précis. « Et nous visons 25 “fellows” de plus chaque année ».

Du « social business » ? Vishnu n’aime pas trop ce terme, pourtant tellement en vogue sur le Vieux Continent. « Le business, c’est dégager des marges financières grâce a une activité. Comment voulez vous gagner de l’argent en faisant progresser les droits humains ? ». L’homme préfère évoquer un « modèle » dont le profit n’est pas un ingrédient indispensable. « C’est le cas du projet de Shubhendu Sharma, qui réussit à convaincre les grandes sociétés à Bengalore de financer la plantation de micro-forêts en ville pour lutter contre la pollution et le changement climatique ». Parfois aussi, il n’y a aucun retour sur investissement. « A Bombay, Tarique Mohammad Qureshi aide ainsi les mendiants à se regrouper en communauté solidaires au lieu de chercher à se nuire. »
 
Accompagner la mutation indienne
 
La portrait que Vishnu nous dresse de « son » Inde contraste avec celui que l’on s’en fait depuis le vieux continent : un pays étouffant sous le poids des castes, d’un ordre social et religieux trop rigide. « Il y a ici une appétence énorme pour le changement. Ces dernières années, on a vu de plus en plus d’entrepreneurs sociaux émerger en Inde. L’écosystème est aussi en plein évolution : il est plus facile d’obtenir de lever des fonds, d’évaluer son impact social. Et puis la législation est très favorable aux entreprises sociales : vous pouvez lancer ici une ONG en deux jours ! »

Mais devant des problèmes aussi prégnants que les inégalités, les rivières contaminées, les villes chaotiques et polluées, l’explosion démographique n’y a t-il pas de quoi être découragé ? « S’il y a un endroit où l’on peut se sentir optimiste, c’est bien en Inde ! réplique Vishnu. Bien sûr, il y a beaucoup de défis. L’Inde est en pleine mutation politique, économique, sociétale. Mais celui qui veut aider les autres et accompagner ce changement trouvera ici plein d’opportunités de se rendre utile. C’est une source d’optimisme et de joie ». C’est afin de trouver cette joie que Vishnu, il y a six ans, s’est séparé des deux entreprises – en finance et technologie – qu’il avait lancées à Singapour, pour rejoindre l’entrepreneuriat social. Sans regrets.
 
Côme Bastin
Journaliste We Demain
Twitter : @Come_Bastin

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