Partager la publication "“Le droit a un train de retard sur l’économie collaborative”"
Pourquoi lancer ce blog ?
Michel Leclerc : Nous sommes des copains de promo en droit. Nous pensons que l’économie collaborative est une révolution qui va tout bouleverser et nous concerne tous. On a créé ce blog parce que personne ne traitait des thématiques juridiques en lien avec l’économie du partage. On voulait aborder ces questions en France et ouvrir le débat au grand public car le droit n’est pas qu’une affaire de professionnels.
Arthur Millerand : Le blog est aussi une porte d’entrée pour nos clients, surtout des jeunes entreprises de l’économie collaborative qui veulent se lancer mais n’y comprennent rien. À terme, on aimerait que le blog soit un guide pour jeunes entrepreneurs avec une boite à outils et des éléments juridiques.
Quels sont les problèmes juridiques les plus fréquemment rencontrés par l’économie collaborative ?
M. L. : Le premier problème, c’est la concurrence déloyale. Les acteurs de l’économie collaborative n’ont souvent pas les mêmes charges sociales ou barrière à l’entrée, comme la licence, coûteuse pour les taxis. Un autre problème est que la publicité effectuée par les acteurs de l’économie collaborative ne garantit pas la qualité des biens et services fournis. La campagne vidéo de dénigrement d’Airbnb récemment lancée à New-York en a joué, en présentant des utilisateurs de la plateforme déçus de l’appartement qu’ils louaient.
A. M. : Il y a aussi des questions de responsabilité civile et d’assurance qui se posent, notamment dans le covoiturage, ou le crowdfunding : on n’a pas encore beaucoup de garanties quant à la destination de l’argent récolté sur ces plateformes.
Comment le législateur réagit-il pour l’instant ?
A. M. : Beaucoup de vides juridiques sont remplis par les acteurs de l’économie du partage qui en tirent un très grand bénéfice. Actuellement, la logique est plutôt de vouloir faire entrer l’économie collaborative dans les catégories et les cases du droit commun. En fait, « tout juriste est un conservateur » : le droit est toujours en retard sur le mouvement des sociétés humaines. Il a donc logiquement un train de retard sur l’économie collaborative.
Le droit peut-il quelque chose contre les grands acteurs comme Uber, qui met actuellement en péril le monopole des taxis ?
M. L. : Les grands acteurs interprètent le droit comme un simple risque financier. Autrement dit : combien ça va me coûter si je me fais prendre. Or les moyens de contrôle sont hyper limités, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) ne peut pas vérifier, par exemple, que les taxis Uber attendent bien 15 minutes avant de prendre un client, comme l’exige un décret depuis le 1er janvier 2014. Tant que ce rapport bénéfice/risque restera en leur faveur, ils continueront.
Ce droit, qui semble aller dans le sens d’une régulation, n’est-il pas de nature à freiner les entrepreneurs désireux de se lancer dans l’économie collaborative ?
A. M. : Uber a l’arsenal et la trésorerie pour se défendre, pas les entreprises naissantes. De jeunes startups se rapprochent de nous parce qu’elles ne parviennent pas à lever des fonds. Leurs financeurs sont frileux en raisons des incertitudes juridiques qui pèsent sur le secteur. On les comprend, lorsqu’un business model peut-être balayé en quelques mois par une décision de justice imposant de nouvelles taxes ou obligations.
Peut-on se livrer à un peu de prospective sur l’avenir de la législation de l’économie collaborative ?
M. L. : C’est dur pour un secteur si jeune. À mon avis, durant les dix ans à venir, on va continuer à faire du bricolage au cas par cas car il n’y a pas de jurisprudence. À terme cependant, on ne voit pas du tout comment on pourrait, vu la diversité et l’ampleur de l’économie du partage, faire un régime séparé. Tout le monde finira par être au même régime sans qu’il y ait de protection pour les acteurs économiques traditionnels.
A. M. : Le législateur va effectivement faire le choix le plus rationnel économiquement, en faveur du maximum d’ouverture. Mais cela n’empêche pas d’encadrer le secteur. Pour le crowdfunding, on a aujourd’hui un vrai pas en avant avec une ordonnance qui donne un régime et des statuts aux acteurs. Dans le E-tourisme, les acteurs syndicaux se groupent et s’organisent pour défendre leurs droits.
Propos recueillis par :
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