Quatre ans après avoir publié What’s Mine Is Yours: The Rise of Collaborative Consumption (en français, Ce qui est à moi est à vous : la montée de la consommation collaborative), quel regard portez vous sur l’évolution de ce mouvement mondial ? Ce qui m’a surpris positivement, c’est la rapidité du développement de la communauté des start-up liées à cette nouvelle économie. C’est une vraie disruption. On me demande souvent: « mais quelle est la prochaine étape ? », « Quand est-ce que l’économie collaborative deviendra majoritaire ? » Mais quatre ans, c’est très court si l’on se replace dans la perspective des mouvements économiques et sociaux. On a vite fait d’oublier que la consommation collaborative est un bébé. Quand on regarde la façon dont cela impacte les comportements et de larges secteurs économiques, on peut déjà se dire que jamais un nouveau paradigme n’aura fait un chemin si rapide !
Qu’est ce qui relie des projets comme Bitcoin, Airbnb, ou Kickstarter ? Les journaux définissent parfois la consommation collaborative comme le fait de préférer l’usage à la propriété. Ce n’est pas pour moi le fait central. Ce qui relie AirBnb, Kickstarter, mais aussi les Moocs ou les fablabs, c’est le passage d’institutions centralisées à des communautés distribuées et connectées. Bitcoin en est l’illustration parfaite : on passe d’institution financières centralisées qui contrôlent la production et la distribution d’argent à un réseau d’agents, sans autorité centrale. De même pour Airbnb, on passe de la construction d’hôtels détenus par des propriétaires à de l’échange direct entre particuliers, parfois locataires.
Y a-t-il des secteurs interdits à la consommation collaborative ? Il s’agit d’un changement structurel dans notre manière de faire société. Nous pouvons être tous financiers, nous pouvons être tous professeurs, nous pouvons être tous producteurs. Mais c’est vrai que certains secteurs sont plus réfractaires que d’autres, comme la santé. Et encore, une nouvelle start-up, Cohealo, se décrit comme « le Uber du matériel médical » et veut aider les hôpitaux à mieux affecter leurs équipements et à en mutualiser l’usage.
Quel rôle joue le numérique dans l’émergence de ce nouveau mouvement ? La technologie est un facilitateur qui permet de diminuer les frictions, d’accélérer les échanges et de créer de la confiance entre les utilisateurs. C’est cette confiance, comme la note attribué aux co-voitureurs ou aux préteurs d’appartements, qui permet de court-circuiter les institutions autrefois responsables de réguler les relations entre acteurs économiques. La confiance sera la nouvelle monnaie de XXIe siècle.
Quel rapport l’économie collaborative entretient-elle avec le système capitaliste ? S’agit-il d’une évolution, d’une mutation, ou d’une alternative au modèle dominant ? J’entends souvent la question de savoir si la consommation collaborative peut « hacker » les fondements du capitalisme où être une alternative. En réalité, certains fonctionnent en dehors du système capitaliste, et d’autres font des profits. Ils n’ont pas à en rougir. Je pense que ce qui se joue vraiment est que l’on invente de nouvelles façons de générer de la valeur. Et à ces nouvelles valeurs doivent correspondre de nouveaux outils de mesure. Or c’est là que le bat blesse : le PIB ne mesure pas toute la valeur créé par l’économie collaborative. Lorsque je parle des bénéfices sociétaux ou environnementaux de la consommation collaborative à des capitalistes, on me traite de communiste ! Nous ne pouvons pas continuer à examiner ce nouveau modèle avec des loupes héritées du XXe siècle.
On parle souvent des aventures entrepreneuriales individuelles de l’économie collaborative. Les territoires et les gouvernements ne peuvent-ils pas eux aussi s’en emparer ?
L’économie collaborative est le secteur le plus ouvert pour devenir entrepreneur. Et une fois qu’on a pris goût à être entrepreneur, on a envie de le rester toute sa vie ! Les villes et les gouvernements doivent accompagner ce changement culturel et encourager l’esprit d’innovation. Cela passe notamment par une fiscalité avantageuse. Il faut aussi se projeter dans l’avenir : quelle place l’économie collaborative pourrait-elle prendre dans nos sociétés à horizon quinze ans ? Les municipalités peuvent par exemple mettre en place un pass commun pour toutes les solutions de mobilité alternative. Les gouvernements doivent comprendre que la consommation collaborative est un formidable outil de durabilité et de résilience.
En France, comment jugez vous la dynamique ?
Je n’ai pas passé tant de temps en France. Mais il y a ici une énergie que je ne retrouve pas dans beaucoup d’autre pays. La communauté et l’écosystème sont très développés et très soudés. Ce que fait OuiShare est d’ailleurs remarquable. On a l’impression que l’économie collaborative est prête à changer la société française !
Quel est votre sentiment sur cette seconde édition du OuiShare Fest ?
C’est magique et c’est gratifiant ! Ca permet de prendre conscience du changement parcouru et de l’impact que j’ai pu avoir auprès d’une génération. C’est important d’avoir ces réunions fédératrices, mais nous devons veiller à nous garder de devenir un club fermé. Nous devons sortir de là avec de nouvelles idées, prêtes à essaimer en dehors de notre communauté !