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La Joie Errante : en Lozère, une compagnie de théâtre va au plus près des habitants
Chanac (Lozère, 48), Occitanie – Originaire de Lozère, Thomas Pouget aurait pu poursuivre une carrière classique de comédien dans les grandes villes. Après plusieurs années de formation et d’expérience, notamment au Festival d’Avignon sous la direction d’Olivier Py, il fait pourtant un choix radical : revenir sur ses terres natales et y implanter sa propre compagnie.
Ce retour s’explique par un engagement profond en faveur du service public de la culture. “Moi, je suis un enfant du service public. Mes cours aux conservatoires ont été payés par les impôts. Et je trouvais ça juste de rendre ce qu’on m’avait donné”, explique-t-il. Pour lui, la culture ne doit pas être réservée aux métropoles ni aux initiés : elle doit aller vers les publics qui en sont éloignés.

Un théâtre qui va à la rencontre du public
La Joie Errante ne se contente pas de jouer dans des lieux conventionnels. La compagnie investit les salles des fêtes, les médiathèques, les fermes et même les étables et les champs. Grâce à sa “scène errante”, une remorque-scène financée par la région Occitanie, elle peut s’installer partout en quelques heures. “On joue dans des salles polyvalentes, dans des champs, des bergeries. Une fois, on s’est retrouvés avec des veaux derrière nous. Ça fait partie du décor !”, s’amuse Thomas Pouget.
Ce choix de l’itinérance répond à un constat : en milieu rural, les déplacements sont une contrainte forte. “Pour des gens qui traient le matin et le soir, qui ont des journées hyper remplies, ce n’est pas une évidence de faire 30 kilomètres pour aller au théâtre à 20h. Bien souvent, c’est hors de question”, souligne-t-il. En allant au-devant du public, La Joie Errante lève ces barrières et crée une véritable dynamique culturelle locale.

Une parole ancrée dans le territoire
Les spectacles de la compagnie ne sont pas de simples représentations : ils s’appuient sur un travail de collectage auprès des habitants. Thomas Pouget et son équipe mènent des entretiens avec des agriculteurs, des artisans, des enseignants, des lycéens… pour nourrir leurs créations. “On arrive à retranscrire cette ruralité dans la mesure où on l’écoute. Des ruralités, il y en a plein”, précise-t-il.
Ainsi, le spectacle Vacarme(s), qui raconte la vie d’un paysan à travers une année, repose sur 150 témoignages recueillis auprès d’agriculteurs, vétérinaires, élus et autres acteurs du monde rural. “On entend souvent que les paysans sont des taiseux, qu’ils ne disent rien. Ou au contraire qu’ils sont d’une extrême violence. En fait, c’est juste plus complexe que ça”, explique Thomas Pouget. Loin des clichés, il s’agit de donner une vision nuancée et humaine de la ruralité.
Une culture qui crée du lien
Au-delà de la représentation, chaque spectacle devient un moment d’échange. “Après le spectacle, on descend de scène, on discute avec les gens, on entend les retours, les bons comme les moins bons, et on partage un verre”, raconte Thomas Pouget. Loin d’une culture de consommation, il revendique une approche participative et conviviale.
L’implication des habitants va encore plus loin. Certains participent à des stages de théâtre, d’autres se retrouvent impliqués dans la création des spectacles. “On essaie le plus possible de croiser les publics. Les élèves que j’ai au lycée viennent voir les spectacles. Les parents viennent voir des lectures. On interroge des habitants pour préparer nos pièces, et certains viennent faire un stage. On essaie de fédérer”, explique-t-il.
Cette dynamique culturelle contribue aussi à l’attractivité du territoire. “Il y a des familles qui s’installent à Saint-Chély-d’Apcher parce qu’il y a un cinéma, une médiathèque, des activités culturelles pour les enfants”, donne-t-il en exemple. Une commune qui compte un peu plus de 4 000 habitants. Contrairement aux idées reçues, la culture en milieu rural ne se résume pas à un désert : elle participe activement à la vie locale.

Un engagement local et économique pour La Joie Errante
Une autre volonté de la compagnie La Joie Errante est de ne pas se limiter à une approche artistique : elle s’intègre pleinement dans l’écosystème local. “Pour nos costumes sur Vacarme(s), nous habillons les acteurs de jeans Tuffery. Les t-shirts viennent de Sainte-Radegonde, dans l’Aveyron, le département limitrophe. On essaie de créer les décors à partir d’éléments locaux, on se nourrit chez les producteurs locaux…”, détaille Thomas Pouget.
Cet ancrage va de pair avec une réflexion plus large sur le rôle de la culture dans les territoires. “On parle souvent d’isolement. On peut parler en kilomètres mais il y a aussi l’isolement de l’anonymat dans les grandes villes. Mais éloigné de quoi, en fait ? Qui est loin de qui ?”, interroge-t-il. Plutôt que de considérer la Lozère comme un territoire déconnecté, il la voit comme un espace riche d’initiatives et d’échanges.
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Un théâtre populaire au sens noble
Loin d’un théâtre élitiste, La Joie Errante revendique une approche accessible et exigeante. “On n’est pas plus légitimes qu’un boulanger qui se lève à 5h du matin. On a beaucoup mis les artistes sur un piédestal, en disant ‘c’est formidable, c’est génial, quel métier incroyable !’. Mais pas du tout. C’est un métier qui a son importance, mais comme les autres”, affirme Thomas Pouget.
Pour lui, la priorité est de rester au service du public, sans jamais trahir la parole des témoins qui nourrissent ses spectacles. “Quand on joue Vacarme(s), les retours sont unanimes : ‘C’est trop vrai !’. On ne se contente pas de raconter une histoire, on retranscrit des vies”, souligne-t-il.
À travers cette approche, La Joie Errante prouve que le théâtre en milieu rural n’est ni un sous-théâtre ni un simple outil de divertissement. Il est un vecteur de lien social, un miroir des réalités locales et un moteur d’innovation culturelle. Une preuve que la culture, loin d’être un luxe, est une nécessité, où qu’on se trouve.
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