Partager la publication "5G : progrès ou menace pour l’environnement et la santé ?"
Article initialement publié dans la revue We Demain n°27 (septembre/novembre 2019), disponible sur notre boutique en ligne
Printemps 2019. Une manifestation trouble la quiétude suisse. À Berne, ce vendredi 10 mai, des centaines de personnes sont réunies pour demander un moratoire sur la mise en place de la 5G, la nouvelle norme de communication mobile.
La mobilisation fait suite à deux pétitions, signées par près de 90 000 personnes à l’heure où nous écrivons ces lignes. Un mois plus tard, l’installation d’un opérateur de télécommunications est endommagée par une explosion à Denens, à une vingtaine de kilomètres de Lausanne.
Une contestation inattendue, alors que les opérateurs suisses se pressent pour lancer leurs nouveaux services autour de la 5G. Swisscom espère ainsi avoir couvert de ses nouvelles antennes 90 % du territoire helvétique d’ici à la fin de l’année. À Bruxelles, la ministre de l’Environnement, estimant que “les Bruxellois ne sont pas des rats de laboratoire”, attend des moyens de mesurer efficacement le rayonnement des antennes avant de laisser la 5G s’installer dans la capitale belge.
Car, avec son arrivée, se pose à nouveau la question de l’exposition aux ondes électromagnétiques. Un sujet suivi en France par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui reste prudente. Lors d’une commission parlementaire sur le sujet, l’un des responsables de l’Anses, Olivier Merckel, relevait que les études sur les champs électromagnétiques ne permettaient pas “d’avoir une position définitive”. Quant à la 5G, elle va rassembler des fréquences très diverses, de 700 mégahertz à 26 gigahertz, dont l’impact, souligne-t-il, “n’est pas du tout le même”.
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“Pourra-t-on disparaître ?”
Les militants suisses ne sont pas les seuls à vouloir torpiller la 5G. En France, où le déploiement industriel n’est pas attendu avant 2021, l’astrophysicien collapsologue Aurélien Barrau s’est ému, sur les réseaux sociaux, du coût environnemental de l’installation de nouvelles antennes (voir aussi p. 101). Une “débauche insensée […] pour la jouissance mortifère de la consommation pure”, regrette l’auteur du best-seller Le Plus Grand Défi de l’histoire de l’humanité (éd. Michel Lafon, mai 2019).
Quant au philosophe Dominique Bourg, il appelait tout simplement à l’abandon de cette technologie avec sa liste Urgence écologie lors des élections européennes. Les griefs sont nombreux : surenchère d’ondes donc, mais aussi hyperconnexion, obsolescence annoncée des smartphones… À cela, on peut ajouter la mauvaise pub provoquée par l’affaire Huawei et les questions de sécurité et d’espionnage (voir We Demain n°26). “Nous ne sommes plus dans l’euphorie du développement technologique, résume le sociologue Francis Jauréguiberry. Il y a eu une digestion du caractère fantastique des premières innovations dans la téléphonie mobile.” Se pose aussi la question de notre empreinte numérique, appelée à s’étendre un peu plus avec les objets connectés.
“Pourra-t-on disparaître ? Et si on disparaît, sera-t-on suspect ?”, questionne-le chercheur.
Le front écologique concentre enfin une partie des critiques. Le fournisseur d’équipements Vertiv et le cabinet de conseil 451 Research estiment d’ailleurs que la consommation totale d’énergie du réseau devrait augmenter de 150 à 170 % d’ici à 2026.
Nouveaux usages pour les entreprises
En somme, c’est l’intérêt même du progrès technologique qui est en question. Alors pourquoi faut-il une nouvelle norme puisque la 4G n’est pas encore totalement déployée ? Les deux technologies coexisteront un moment : les premières antennes en 5G doivent être installées en même temps que la finalisation de la couverture du réseau en 4G.
Les propriétaires d’un téléphone ancienne génération pourront certes continuer à se connecter au réseau, mais sans profiter des nouveaux services faute de terminal adéquat.
“Pour le consommateur, nous allons être dans la continuité : l’essentiel des nouveaux usages va se situer du côté des entreprises”, reconnaît Jean-Paul Arzel, directeur réseau chez Bouygues Télécom.
Leurs conséquences sur des secteurs économiques comme l’industrie ou la médecine s’annoncent spectaculaires. Avec la très faible latence (le temps de transmission des informations) de la 5G, les professionnels de santé espèrent pouvoir mener des opérations chirurgicales à distance. Et avec le déploiement massif d’objets connectés permis par la 5G, la production industrielle pourra être ajustée en temps réel, les chaînes de production pouvant alors se passer de câblage.
Côté services, les outils de réalité augmentée promettent de pouvoir s’affranchir des contraintes géographiques. Cette technologie pourrait même apporter sa contribution à la conduite des futures voitures autonomes, ainsi qu’à leurs loisirs embarqués.
Tous antennes relais
Mais revenons à nos smartphones, auxquels la 5G promet d’offrir des débits de données dix fois supérieurs à ceux de la 4G, et un délai de transmission dans les communications divisé par 20. La conséquence pourrait être étonnante. Directeur réseaux et sécurité à l’institut privé de recherche technologique B<> Com à Rennes, l’ingénieur Mathieu Lagrange imagine le futur de notre téléphonie mobile.
Sa prédiction ? Une sérieuse cure d’amaigrissement de nos smartphones, allégés de leurs encombrantes cartes graphiques et processeurs à plusieurs cœurs. La très forte connectivité de la 5G pourrait ainsi permettre à nos téléphones de sous-traiter certaines opérations de calcul à des calculateurs disséminés dans la ville.
“Aujourd’hui, ces opérations diminuent drastiquement l’autonomie de nos téléphones, notamment dans le cadre de jeux 3D, précise-t-il. Encore faut-il savoir quelles seraient les bonnes opérations à déporter.”
Plus économes en matériaux, nos smartphones pourraient aussi devenir plus autonomes en réseau. Comment ? En devenant eux-mêmes des antennes-relais. “Cela permettrait d’augmenter la zone de couverture, d’améliorer la réception dans les bâtiments et de diminuer l’énergie utilisée pour communiquer avec le réseau”, détaille Mathieu Lagrange.
L’idée, proposée par l’opérateur de télécommunications néerlandais KPN, a été reprise à son compte par l’organisme international de normalisation des communications mobiles, le 3GPP. À l’origine, l’industriel voulait améliorer la réception téléphonique dans les logements.
Mais l’idée a séduit les ingénieurs et les professionnels du secours, comme les sauveteurs en montagne qui y voient une méthode astucieuse pour établir la communication avec une personne en détresse dans un massif montagneux. Cette évolution pourrait aussi faire baisser la consommation d’énergie de nos terminaux. En émettant moins fort pour atteindre son relais radio, notre téléphone serait moins énergivore.
“Plus nous avançons, plus nous faisons des technologies frugales”, assure Nicolas Demassieux, le directeur recherche et stratégie des Orange Labs, les laboratoires de recherche de l’opérateur.
“Avec la 5G, nous nous attendons à d’énormes progrès sur l’efficacité énergétique : on ne verra rien mais cela va changer le monde”, ose-t-il.
Le coût écologique
Reste qu’avec la 5G nous devrions être de plus en plus connectés… Et faire augmenter, malgré tout, le bilan écologique de nos communications. Parmi les nouveaux usages attendus de cette technologie, il y a la démocratisation de la réalité virtuelle. En Bretagne, les doctorants d’Orange ont remarqué l’enthousiasme de leurs bêta testeurs pour ces escapades numériques.
Les débits musclés de la 5G vont-ils révolutionner le monde du spectacle ? Suivre sous tous les angles une course de voiliers au large de Quiberon ou se déplacer virtuellement dans un stade de foot pour suivre un match pourrait devenir possible depuis son siège de train – sous réserve d’investissements dans des caméras de dernières générations pour les diffuseurs. “Nous allons devenir notre propre réalisateur, mais cela va demander l’invention de nouvelles formes d’écriture de l’évènement”, observe Nicolas Demassieux.
Mais les usages les plus surprenants de la 5G seront peut-être ailleurs. Plus que les histoires de tuyaux, ce sont les nouvelles formes d’interactions qui interpellent les sociologues.
Qui aurait imaginé que les jeunes utilisateurs d’iPhone profitent de la fonction Air Drop pour créer des réseaux éphémères autour d’eux et partager instantanément des fichiers avec les autres appareils présents alentour ? Son activation, à la surprise des usagers non initiés, s’apparente pour le chercheur Nicolas Nova à de “nouveaux contes au coin du feu”.