Partager la publication "Attentats : une thérapie numérique pour soigner les enfants traumatisés"
Aucun médicament autorisé sur le marché n’existe pour guérir le traumatisme des trois jeunes enfants de Kamal Naghchband, tué sous leurs yeux au marché de Noël de Strasbourg, mardi dernier. Aucun traitement chimique ne peut être prescrit pour soulager les centaines d’enfants en souffrance depuis l’attentat de l’école Ozar Hatorah à Toulouse, le 19 mars 2012, ou de la Promenade des Anglais à Nice, qui a fait 86 morts – parmi lesquels 10 enfants et adolescents – et 458 blessés, le soir du 14 juillet 2016.
Mais une thérapie numérique, développée à l’Institut Claude Pompidou de Nice, pourrait les aider à se reconstruire.
L’équipe de recherche Cognition-Behaviour-Technology (CoBTek) de l’Université Côte d’Azur, composée de cliniciens du CHU de Nice, d’ingénieurs de l’Inria (institut national de recherche en sciences du numérique) et de chercheurs, s’était mobilisée bénévolement, dès le lendemain du drame, afin de créer en urgence “un soin non pharmacologique, précise Philippe Robert, directeur de CoBTek, adapté aux enfants, pour diminuer la charge du stress post-traumatique, auquel on a donné le nom JeREV (Jeu Relax, Entretien Vidéo)“.
Une vingtaine de patients, entre 6 et 12 ans, ont expérimenté cette alternative aux médicaments, dans une salle dédiée.
Priorité à la relaxation
Au fond de la pièce, un fauteuil blanc capitonné fait face à un écran de projection. La séance commence par un film de 5mn dont l’effet est mesuré par électroencéphalogramme, “un bain sensoriel en quatre dimensions“, commente Florence Askénazy, chef de service psychiatrie de l’enfant au CHU Lenval et co-directrice de CoBTek, “avec de la musique, des odeurs, des images en 3D dans lesquelles il va se relaxer et lutter contre les angoisses liées au traumatisme “.
Le film s’ouvre sur un intérieur éclairé par des portes-fenêtres. De là l’enfant pourra s’envoler sur une île déserte, sur un manège de bois, ou suivre une mascotte inspirée de Totoro, un personnage inventé par Hayao Miyazaki, le tout porté par une musique féérique. Un collier connecté favorise l’immersion en libérant, crescendo et decrescendo, des notes d’iode, de barbe à papa ou de fleur d’oranger, selon le lieu.
“Films et musique ont été conçus pour réguler ses émotions“, révèle Auriane Gros, maître de conférence en neurosciences, qui a construit le film quand Julie de Stoutz, musicothérapeute, composait la musique.
“La séquence démarre de façon dynamique, pour s’accorder avec le rythme cardiaque rapide de l’enfant, puis se fait relaxante pour ralentir les battements de son cœur, avant de remonter en intensité pour accompagner son retour à la réalité.“
Auriane Gros
Serious game et entretien filmé
L’enfant quitte ensuite son fauteuil et son casque pour gagner le coin jeu, où l’attend un serious game sur tablette. Une BD interactive, créée en collaboration avec Genious Healthcare, start-up spécialisée en jeux vidéos thérapeutiques.
Les orthophonistes de CoBTek ont imaginé des scénarios en continuité avec le film, l’enfant en reconnaît les décors : île dans l’océan, carrousel ou fond azur. Il choisit son personnage, son objectif, ses obstacles, l’issue de l’aventure, pour écrire une histoire heureuse, neutre ou triste.
“Cela lui permet d’exprimer ce qu’il ressent, de stimuler son imagination, pour construire des histoires qui se finissent bien, indique Auriane Gros. Le jeu amorce l’entretien qui va suivre avec un pédopsychiatre, pour l’aider à communiquer.”
Des capteurs répartis dans la pièce enregistrent les mouvements et les paroles des individus, pour comparer d’une séance à l’autre et d’une personne à l’autre son comportement, sa gestion du stress, afin de mieux les comprendre et évaluer l’impact de la thérapie.
Des conséquences lourdes à contrer
“La souffrance qui résulte d’un stress post-traumatique, c’est de la torture”, souligne Muriel Psalmona, psychiatre spécialisée en psychotraumatologie. À Nice, tous les facteurs étaient réunis pour que le choc psychologique soit maximal, explique-t-elle : l’effet de surprise, un jour de fête et de feu d’artifice, le camion changé en arme, l’impuissance des parents à protéger leurs enfants…
S’il n’est pas pris en charge ce traumatisme peut engendrer des insomnies, des angoisses déclenchées par un bruit ou une odeur, mais aussi des troubles du comportement, voire une croissance stoppée, un parcours scolaire perturbé, et des handicaps dans sa vie d’adulte…
“Aussi notre projet, insiste Philippe Robert, vise d’abord l’amélioration de la qualité de vie de l’enfant, en stimulant ses capacités à ressentir des émotions positives, et non des émotions négatives”.
Évaluée “très favorablement” par l’Université Côte d’Azur, l’étude JeREV sera transférée en janvier 2019 au service pédopsychiatrique du CHU Lenval, à côté de la Promenade des Anglais. 400 petits patients y sont suivis régulièrement suite au drame. D’autres continuent à se présenter pour être pris en charge, encore aujourd’hui.