Partager la publication "Au Japon, le premier boys band hologramme remplit les salles"
Après la première chanteuse virtuelle, Hatsune Miku, voici le premier boys-band hologramme. Créés au Japon en 2016 par les jeux vidéo Yuke’s, les ARP (pour Augmented Reality Performers) semblent s’être échappés d’un manga ou d’un dessin animé japonais pour faire carrière dans la J-pop.
Sous contrat avec Avex, célèbre maison de disques à l’éclectisme assumé (elle produit des chanteurs pop à succès, comme des ensembles instrumentaux traditionnels), les quatre garçons virtuels ont une vingtaine de concerts, quatre albums, et bientôt – fin mars – un dessin animé à leur actif.
Ni Yuke’s ni Avex n’ont souhaité communiquer d’autres chiffres. Selon la boutique en ligne du groupe, son dernier album, sorti fin décembre dans un coffert de 2 CD et 3 DVD, se serait déjà vendu comme des petits pains… à 120 € l’unité. Les vidéos du groupe totalisent à peine un million de vues sur YouTube et ne rivalisent pas encore avec celles de Hatsune Miku ou d’IA, autre hologramme à succès, qui comptent des dizaines de millions de vues.
Mais les ARP remplissent les salles : ils donnent des concerts live, sans playback, durant lesquels ils sont capables d’improviser, d’échanger avec le public, presque comme des artistes de chair et d’os. Leurs performances ont attiré 5 000 spectateurs au Cultural Gymnasium de Yokohama les 5 et 6 janvier, un événement couvert par la chaine de télévision NTV. Et mi-avril, ils chanteront à quatre reprises à l’Holographic theater de Yokohama, qui a doublé le nombre de représentations initialement prévu.
Les ARP doivent la “vie” à ALiS Zero, une technologie 3DCG développée par le studio de jeux vidéo Yuke’s, qui permet la diffusion d’images 3D et de son en temps réel. Rendez-vous backstage pour comprendre. Là se trouvent les véritables artistes, trois équipes de marionnettistes 4.0, coordonnées au millième de seconde près. Quatre chanteurs donnent leur voix aux quatre idoles. Ils interprètent les créations de compositeurs sélectionnés par Yuke’s dans divers domaines : pop, rock, soul… Simultanément, les mouvements de quatre danseurs sont enregistrés par des capteurs, pour être retransmis sur scène, sous forme d’hologrammes. Quant aux visages des membres du boys band, ils sont modélisés en live par quatre techniciens, chacun étant chargé de révéler le potentiel émotionnel de son Ikemen (“beau gosse”) attitré.
“Notre technologie permet de créer un nouveau genre de divertissement, fondé sur le mélange de la réalité et de la fiction, (…) en virtualisant le travail professionnel et les talents, expliquait en 2018 Akari Uchida, le Pygmalion à l’origine des ARP, dans une interview diffusée par la maison de disques Avex. Par exemple, un chanteur qui n’aurait jamais dansé auparavant pourra le faire en empruntant virtuellement le talent d’un danseur, le temps d’un concert live. J’espère que nous pourrons avoir un monde comme cela un jour.” Une vision encouragée aussi par l’ouverture de nombreux théâtres holographiques, depuis 2013, à Osaka, à Yokohama, mais aussi à Hollywood.
Akari Uchida n’a eu de cesse, au cours de sa carrière, de chercher à transfigurer le réel grâce à des personnages de fiction. Ancien producteur de jeux vidéo de séduction virtuelle chez Konami, il devient si populaire avec le succès de “LovePlus”, en 2009, qu’il est surnommé “Beau-Papa” au Japon. Le jeu consiste à rendre le plus heureux possible le personnage féminin de son choix, en lui proposant des sorties, en lui offrant des cadeaux, en l’aidant à résoudre ses problèmes, pour progresser d’un niveau à l’autre. Cette même année, le joueur SAL9000 va jusqu’à épouser sa propre “date” virtuelle, Nene Anegasaki, lors d’une cérémonie célébrée par un prêtre à Tokyo, suivie d’une lune de miel sur l’île de Guam.
Akari Uchida quitte Konami en 2015. Trop de pression pour créer toujours plus vite de nouveaux personnages à la fois attachants et éphémères, confie-t-il. “J’ai saisi l’occasion que m’offrait Yuke’s. Ils possèdent une technologie de pointe qui permet de percevoir des images comme des personnes. Pourquoi ne seraient-elles pas capables de susciter l’émotion qu’on attend d’un concert ? J’ai pensé qu’en offrant régulièrement aux fans la possibilité d’interagir avec leurs idoles, cela leur permettrait de rester en vie, d’évoluer, et d’être aimées, sans fin.”
La réalité semble déjà rejoindre la fiction, comme un témoigne un tweet des ARP, daté du 18 février, assorti de photos de monceaux de cadeaux, de courriers, de fleurs, envoyés par les fans : “Saint-Valentin ! Cette année, le bureau est plein des sentiments tendres des gens, et les interprètes sont très heureux…”