Partager la publication "Enquête : les patchs anti-ondes pour téléphones sont-ils vraiment utiles ?"
Téléphones portables scotchés à la main, objets connectés partout dans la maison … Les ondes ont envahi notre quotidien. Et soulèvent de nombreuses questions, face par exemple au cas des personnes électrohypersensibles. Les champs électromagnétiques de radiofréquence – comme les ondes émises par les smartphones – sont classés par l’Organisation mondiale de la santé dans la catégorie des cancérogènes possibles. Certaines études recensées par l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) montrent un risque potentiellement accru de tumeur cérébrale pour les utilisateurs intensifs. Pourtant, l’ANSES affirme ne pouvoir établir de lien de cause à effet.
Face à cette controverse scientifique, un marché de protection aux ondes a fait surface. Nous vous avions déjà parlé des solutions pour protéger votre maison. Mais connaissez-vous les patchs anti-ondes pour téléphone ? Celui de l’entreprise française Fazup, avec ses “résultats prouvés scientifiquement“ et accessibles sur leur site internet, a attiré notre attention. D’après l’entreprise, il est même recommandé par les médecins généralistes, et utilisé par des groupes tels AirFrance, la MAIF ou des institutions publiques comme la CPAM. D’où la question fatidique : “est-ce que je dois dépenser 30 euros pour éviter de mourir d’une tumeur au cerveau ?” Nous avons enquêté pour vous.
“Le seul produit scientifiquement prouvé !”
Fazup, c’est un patch rond à coller à l’arrière de votre smartphone, qui ressemble un peu à un circuit imprimé. Il est fourni avec un gabarit qui permet de le positionner précisément, selon votre modèle de téléphone. “Le patch est une antenne passive qui nous permet de diminuer la puissance maximale du téléphone“, explique Antoine Samakh, co-fondateur de la société. Selon ses concepteurs, il réduirait l’exposition des utilisateurs aux ondes jusqu’à 99 %. “90 % des utilisateurs ont un avis positif sur notre patch, et nous sommes le seul produit scientifiquement prouvé !“, affirment-ils, citant des sources internes.
Une étude qui teste les limites extrêmes
Effectivement, l’entreprise a fait réaliser des mesures dans un laboratoire accrédité. Elles montrent une diminution d’au moins 50 à 99 % du DAS. Le DAS, c’est le Débit d’Absorption Spécifique. Notre corps, exposé aux ondes émises par le téléphone, peut subir un échauffement interne. Le DAS mesure l’échauffement maximum possible, et les constructeurs de téléphones mobiles doivent respecter des valeurs limites. Mais il faut comprendre que cette mesure de laboratoire a été choisie pour appliquer le principe de précaution. Elle ne représente donc pas l’exposition réelle des utilisateurs, mais le pire cas.
Un “détail” que l’Agence Nationale des Fréquences (ANFR) prend soin de préciser : “Les valeurs de DAS mesurées en laboratoire ne reflètent pas l’usage le plus courant d’un téléphone.”Alors en pratique, le patch Fazup est-il efficace ? “Nous les avons également testés, il y a une réelle réduction du DAS”, avance Serge Bories, ingénieur de recherche au service télécommunication du CEA Leti. “Mais dans environ 95 % des cas, cela ne sert à rien !”
On vous explique : l’exposition réelle de l’utilisateur dépend du réseau utilisé (2G, 3G, 4G), de la puissance d’émission et de l’usage fait du téléphone. Par exemple, en l’éloignant à 50 centimètres du corps, l’énergie absorbée par l’utilisateur sera réduite à … 1 % du DAS ! Le problème d’échauffement lié aux ondes se pose donc plutôt lorsque vous passez un appel, téléphone collé à l’oreille.
Utile dans de très rares cas
Autre exemple, le DAS est mesuré pour un téléphone qui émet à sa puissance maximale. “C’est une situation rare dans la vie réelle. C’est un peu comme si vous téléphoniez tout le temps dans un ascenseur au troisième sous-sol“, détaille Serge Bories. Il y a quelques années, avec les réseaux 2G, les téléphones émettaient effectivement plus souvent à leur puissance maximale. “Le téléphone n’a pas le même comportement selon le protocole de communication“, indique Joe Wiart, titulaire de la chaire “Caractérisation, modélisation et maitrise des expositions“ de l’Institut Mines-Télécom à Paris.
“En 3G, la puissance moyenne ne vaut que 1% du maximum lors d’un appel, et même moins en 4G.”
Et les chiffres de l’opérateur Orange parlent d’eux-mêmes. En mai 2018, 18 % des appels ont été passés en 4G, 69 % en 3G et seulement 12 % en 2G. Joe Wiart confirme le constat : “Les patchs réduisent le DAS, mais cela ne veut rien dire sur la puissance moyenne réelle. Aujourd’hui les téléphones émettent très rarement à leur puissance maximum, même lorsque nous sommes mobiles.” Autrement dit : le patch n’a une utilité que dans de (très) rares cas.
En quête de mesures qui reflètent les usages réels
En 2015, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait déjà alerté sur les dispositifs anti-ondes pour mobiles. “Les tests portant sur le DAS ne rendent pas compte de l’effet réel des dispositifs.“ Pire, ils peuvent dans certains cas “avoir un effet contraire à celui allégué, en augmentant le niveau d’exposition aux radiofréquences […] du fait de la dégradation des performances du signal du téléphone.“
Les conclusions de la DGCCRF mettent en exergue une méconnaissance de la communauté scientifique. “Depuis les années 2000, nous cherchons à évaluer l’exposition réelle des utilisateurs de mobiles, détaille Joe Wiart. Nous travaillons aujourd’hui à réaliser des mesures plus représentatives des usages réels des gens.“
30% d’efficacité de l’antenne en moins
Dans tous les cas, Serge Bories estime que “le patch entraîne une très légère perte d’autonomie due à une diminution de 30 % de l’efficacité de l’antenne.“ A la rédaction de We Demain, nous avons testé les patchs sur trois téléphones, pendant une semaine. Nous n’avons pas constaté de problème particulier de communication ou de batterie. Mais sans effet apparent non plus sur les migraines ou acouphènes dont souffrent deux de nos journalistes.
Si cette enquête vous questionne sur votre exposition aux ondes, quelques précautions peuvent être appliquées : “En passant de la 2G à la 3G, nous avons divisé par 50 l’exposition des utilisateurs”, témoigne Joe Wiart de l’Institut Mines-Télécom. “Il n’existe pas encore de conception de téléphone qui permette de réduire aussi significativement l’exposition.“ L’ANSES recommande en effet d’émettre des appels dans de bonnes conditions de réseau. Et d’utiliser le kit mains-libres pour éloigner simplement la source d’émission de votre tête. En vente à partir de quelques euros dans vos magasins favoris.
Contacté par l’entreprise Fazup, We Demain lui octroie un droit de réponse
Cet article (We Demain-18 juillet 2018) confirme que le patch Fazup réduit bien l’exposition aux ondes, tout en alléguant que cela serait peu utile car les téléphones émettraient en réalité très peu d’ondes. Pourtant des enquêtes d’agences officielles ont montré que la majorité des mobiles peut exposer les utilisateurs bien au-delà de la limite autorisée, entraînant retraits du marché et poursuites judiciaires (voir scandale du Phonegate). Les experts interrogés par We Demain, dont il aurait convenu de préciser qu’ils travaillent ou ont travaillé pour l’opérateur France Télécom/Orange, reconnaissent l’efficacité de Fazup sur la réduction du DAS mais estiment qu’il ne serait utile que dans 5 % des situations.
Or, 95 % de l’exposition quotidienne aux ondes des téléphones peut se produire dans seulement 5 % des situations d’utilisation, précision qui fait toute la différence.Ces experts reconnaissaient également que : « Depuis les années 2000, nous cherchons à évaluer l’exposition réelle des utilisateurs de mobiles, nous travaillons aujourd’hui à réaliser des mesures plus représentatives des usages réels des gens » ce qui signifie qu’il n’existe toujours pas de données fiables sur cette exposition que l’on nous présente pourtant comme connue et très faible. Enfin, les pouvoirs publics recommandent de limiter l’usage des mobiles et de réduire le DAS autant que possible, ce que fait Fazup qui reçoit d’ailleurs constamment depuis 2013 des évaluations indépendantes attestant de son efficacité sur l’amélioration de nombreux troubles.
[MISE À JOUR : En octobre 2019, l’Anses recommande à nouveau, face aux incertitudes, de prendre des précautions d’éloignement des téléphones notamment pour ceux conformes à la réglementation précédant 2016. L’expertise met en évidence, “avec des éléments de preuves limités, des effets biologiques sur l’activité cérébrale” liés à des expositions importantes, et précise que cette situation “n’arrive a priori pas en conditions réelles”.]