Il a créé le premier fromage vegan au lait synthétique

Hier employé dans l’industrie pharmaceutique, Craig Rouskey n’a, depuis 2007, plus de compte à rendre : il est un « biohacker ». Travaillant de façon collaborative, dans des lieux ouverts à tous, le chercheur l’affirme : « C’est dans notre ADN que de penser que la biologie doit être utile et ouverte au plus grand nombre, à contrario des labos pharmaceutiques, qui ne feront rien sans profit à la clé. »

C’est sans regrets que Craig Rouskey a quitté le sien, Novartis, après dix ans de loyaux services à San Francisco : « À l’époque, je participais au mouvement Occupy. On ne faisait que critiquer ce qui n’allait pas mais on n’avait pas les outils pour faire bouger les choses. Je me reconnaissais plus dans les structures de recherches verticales et hiérarchisées, où il faut payer pour accéder à des articles scientifiques, et faire payer à ceux qui en besoin le fruit de notre travail. » Craig Rouskey décide alors de tout plaquer pour mettre ses compétences en biologie au service de projets ouverts et utiles à tous. Il déménage à Oakland, où il vit avec des hackers et finance ses projets grâce au crowdfuding.

De passage à Paris, le scientifique était convié, vendredi 12 septembre, à présenter son travail devant quelques membres et visiteurs du biohackerpace La Paillasse. Entre autres problèmes auquel il entend se consacrer : l’impact environnemental et sanitaire du… Fromage.

Le fromage pollue

Car pour produire du lait, il faut des vaches ou des chèvres. Or ces animaux génèrent du méthane, sans parler des importantes quantités d’eau et de végétaux nécessaires à leur alimentation. S’il est moins connu que celui de la viande, l’impact environnemental du fromage est donc loin d’être négligeable. Certains végétariens choisissent ainsi de faire une croix sur le Reblochon, le remplaçant par des fromages végétaux, à base de lait de soja ou de crème de noix de cajou.
 
Problème : Craig est un bon vivant. Il l’avoue d’ailleurs : « après avoir été végétarien pendant des années, j’ai « rechuté » depuis que mon nouveau compagnon fait la cuisine. Parmi ses spécialités : le steak tartare. » Irrésistible. Et c’est pareil avec le fromage : « les fromages végétaux sont beaucoup moins savoureux. Aucun être humain ne devrait être privé de ces saveurs délicieuses ! » Le plaisir ou l’éthique, il faut choisir.

« Real Vegan Cheese »

Sauf si l’on pouvait produire du fromage à partir de lait… sans passer par les vaches ou les chèvres ? C’est en tout cas le projet du biohacker, avec une communauté de 40 personnes. Produire, grâce à la biologie synthétique, des protéines de lait (caséine) à partir de cellules de levures, qu’on pourrait ensuite faire moisir comme pour n’importe quel fromage fait à partir de lait de vache ou de chèvre. Outre ses avantages écologiques, ce fromage pourrait également être ingéré par les individus intolérants au lactose, et éviterait les souffrances animales liées à la traite mécanisée. « Mais attention, on a pas la prétention d’égaler le fromage français », précise Craig devant son auditoire. Prudent.

[Vidéo] Présentation du Real Vegan Cheese

Lancée le 1er juillet et achevée le 30 août, la campagne de crowdfunding pour le projet « Real Vegan Cheese  » a permis de récolter 37 000 dollars, au lieu des 15 000 escomptés. De quoi démontrer, non seulement la faisabilité du processus en laboratoire, mais aussi lancer la production de ces premiers vrais fromages vraiment végans. Pas moyen de savoir encore combien coutera ce gouda d’un nouveau genre. « Mais la levure et le fromage pourront facilement être produits en grande quantité », assure Craig, qui publie l’ensemble des résultats du projet en open-source.

Biologie citoyenne

Craig Rouskey est également co-fondateur du projet Getit, qui vise à trouver un traitement contre la Gonorhée, une MST résistante aux antibiotiques. Il dirige enfin une équipe scientifique autour d’un projet autrement plus ambitieux que celui de fabriquer fromage vegan : trouver et commercialiser gratuitement un vaccin contre le Sida ! Si là encore, le public l’a suivi – 462 570 dollars ont été collectés en trois semaines pour développer The Immunity Project -, la communauté scientifique est très sceptique. Ses anciens professeurs sont même furieux et l’ont fait savoir dans la revue Nature, critiquant ses méthodes. « Un sacré coup de pub !, s’amuse l’intéressé. Je crois à la participation démocratique directe au processus de recherche. Je veux que les citoyens comprennent, financent, et participent aux travaux que je fais, et qu’ils leur profitent directement. »
 
Côme Bastin
Journaliste We Demain
Twitter : @Come_Bastin

Photo : Aurélien Daily
@dailylaurel

Pour aller plus loin, découvrez Biohacking Safari, un tour des États-Unis du biohacking par des membres de La Paillasse, qui y ont repéré Craig Rouskey.

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