Partager la publication "Invasion de sargasses : et si ces algues servaient à éliminer le CO2 de l’atmosphère ?"
Et si, pour capturer les gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique, les algues avaient un rôle à jouer ? C’est le pari de la société britannique Seafields. Comment ? En cultivant des champs de sargasses puis en les faisant couler au fond de l’eau. Sachant que les scientifiques estiment que les algues, dans leur ensemble, captent environ 1,3 milliard de tonnes de carbone par an, l’idée n’est pas aussi incongrue qu’il y paraît.
Dès le XVe siècle, Christophe Colomb rapportait déjà avoir observé de véritables champs flottants de sargasses au milieu de l’Atlantique. Mais on a constaté depuis le début des années 2010 une expansion inédite et d’ampleur de cette algue dans le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes. Bienfait ou fléau ? D’un côté, ces algues flottantes servent d’abri à nombre d’espèces marines. De l’autre, en trop grande quantité dans une zone, elles viennent asphyxier les écosystèmes en captant trop de CO2 dans l’eau. En outre, en s’échouant sur les côtes et en se décomposant, elles émettent une odeur pestilentielle (due au sulfure d’hydrogène).
Une ferme de sargasses de la taille du Portugal au milieu de l’Atlantique ?
Comment passer d’une prolifération massive nuisible à une matière première durable ? Seafields a imaginé son business model autour de la “bioéconomie bleue”, c’est-à-dire en exploitant tous les bienfaits des sargasses. La firme ambitionne développer une ferme de la taille du Portugal au beau milieu de l’Atlantique à horizon 2026. “Notre ferme se développera de manière modulaire jusqu’à ce qu’elle atteigne une superficie de 94 000 km². Selon nos estimations, environ 2 000 personnes seront nécessaires sur le site une fois qu’il aura atteint sa capacité opérationnelle”, explique Seafields.
Actuellement, la société britannique a lancé une ferme test dans les Caraïbes, à St. Vincent et les Grenadines. Dans un premier temps, une barrière d’1 kilomètre de long sera installée en mer. Elle permettra de capturer les sargasses qui dérivent. Ensuite, ces algues seront utilisées à des fins industrielles (pour fabriquer des bioplastiques, des engrais, des émulsifiants ou encore du bioéthanol). Une fois les nutriments et les combustibles extraits, ce qui restera sera pressé puis coulé en grosses balles denses. Ces résidus riches en carbone finiront alors par couler dans les grands fonds marins pour séquestrer du carbone.
Des incertitudes demeurent autour du projet et de son puits de carbone
“Nous stockerons des balles de sargasses compressées dans des endroits sélectionnés du fond marin pour assurer l’élimination à long terme de milliards de tonnes de carbone de l’atmosphère sans créer de charge environnementale pour les profondeurs marines“, affirme John Auckland, cofondateur de Seafields.
Mais, pour séduisant qu’il soit, le projet de méga ferme basée dans l’Atlantique Sud – entre l’Afrique et l’Amérique du Sud – reste encore aujourd’hui très hypothétique sur son aptitude réelle à créer un puits de carbone d’une dimension inédite. Si les sargasses possèdent un rapport carbone/azote très élevé, il n’en demeure pas moins que leur capacité à séquestrer du CO2 est très variable. On estime que le facteur peut varier de 1 à 8 selon l’environnement.
Une méga ferme qui peut faire peur
Des sargasses flottant sur des centaines de kilomètres au beau milieu de l’Atlantique, cela peut faire peur. Les bateaux qui traversent l’océan Atlantique seront-ils gênés par cette masse d’algues flottantes ? Quid de la pollution engendrée par les milliers de personnes qui se relaieront tous les 3 mois dans l’usine flottante de transformation des sargasses ? Quid des émissions de gaz à effet de serre générées par le transport des matières premières créées loin de tout ?
On peut aussi se demander si une telle surface de l’océan recouverte d’algues ne va pas créer de nouveaux déséquilibres aujourd’hui inconnus. Que ce soit dans les écosystèmes marins comme sur nos côtes. Cependant, sans être parfait, ce projet pourrait être un début de solution en la matière. À l’heure actuelle, Seafields travaille en partenariat avec le National Oceanography Center (NOC) britannique pour affiner les estimations de séquestration du carbone par les sargasses dans les fonds marins. Et continue ses tests dans la Caraïbe.
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